jeudi 27 août 2020

LES CHRONIQUES D'EL'BIB : SURVIE EN TERRES LOVECRAFTIENNES, Alain T. Puyssegur


 

 

Difficile de classer le livre de Alain T. Puysségur, Cthulhu, survie en Terres Lovecraftiennes (Bragelonne, 2020). Ce n’est pas une fiction, ce n’est pas une étude, ce n’est pas une encyclopédie érudite comme celles de Joshi, Harms, Schultz...  Non, cela me fait un plutôt penser à l’excellent Cthulhu Mythos de Fred Pelton (Armitage House, 1998), à savoir un guide du Mythe de Cthulhu présentant ce dernier comme s’il existait vraiment, et cherchant à mettre le lecteur (naïf) en garde contre ses dangers. L’organisation de ce type de travail est très classique (les sources du Mythe, les ouvrages maudits, les créatures, les artefacts…), le tout joliment présenté avec une typographie recherchée style carnet de notes et de nombreuses illustrations et croquis de l’auteur. Un document qui sera certainement très utile à ceux qui veulent se lancer dans le jeu de rôle L’Appel de Cthulhu.

 


lundi 24 août 2020

LES CHRONIQUES D'EL'BIB : DIMENSIONS MORTELLES, Lois H. Gresh

 

 

 

Sherlock Holmes n’en finit plus d’envahir le Mythe, et c’est au tour de Lois H. Gresh de nous livrer le premier tome de la saga Sherlock Holmes vs Cthulhu avec Dimensions Mortelles (Romans Ynnis, 2020). On est évidemment tenté de faire la comparaison avec le cycle de James Lovegrove chez Bragelonne, en admettant que ce nouvel opus est plus digeste et beaucoup plus original. Nos deux enquêteurs londoniens sont confrontés au mystère redoutable d’une machine absurde qui semble vivre, qui tue de façon brutale en crachant des pépites d’or et des boules en forme de crâne recouvertes d’inscriptions incompréhensibles. Ils rencontrent le fils d’un ébéniste, tué par un de ses meubles aux formes impossibles et eux aussi bizarrement gravés. La traque sera difficile et les mènera sur la piste d’un redoutable « Ordre de Dagon » dirigé par des aristocrates illuminés qui veulent faire revenir Ceux du Dehors. Même Moriarty demandera l’aide de Sherlock pour éliminer ce dangereux groupe et reprendre sa maîtrise de la criminalité londonienne, gravement menacée par la secte ! Ce qui est intéressant dans cet ouvrage, c’est cette hésitation permanent entre une explication rationnelle, chère à Sherlock (ce n’est qu’une machine !), et le fait d’admettre que non, cela relève de l’Impossible (les hommes-poissons ne peuvent pas exister !).

Signalons pour les libermaléficonautes le recours à un ouvrage, trouvé chez l’ébéniste, le Dragonite Auctoritatem, qui traite des mystérieux symboles découverts lors de l’enquête.

On attend la suite.

 


mercredi 12 août 2020

LES CHRONIQUES D'EL'BIB : LA QUÊTE ONIRIQUE DE VELLITT BOE, Kij Johnson

 

 

 

Je croyais tout savoir sur « Le Contrées du Rêve » après l’avalanche éditoriale de ces dernières années. Tout faux, car Kij Johnson apporte un petit plus à ce monde fabuleux avec La Quête Onirique de Vellitt Boe (Le Bélial 2018). Un joli travail, illustré de surcroît par Nicolas Fructus. C’est en quelque sorte une version féminine des « Contrées », vue au travers de Vellitt Boe, professeur de mathématiques au Collège de femmes d’Ulthar. Une de ses élèves, Clarie Jurat, disparaît pour suivre un bel inconnu, un rêveur qui l’emmène dans le Monde de l’Éveil. Scandale, d’autant plus que Clarie est la fille d’un dieu, de surcroît partenaire stratégique de l’Institut Universitaire. Vellitt, avec la bénédiction de la directrice de l’établissement, décide de prendre son sac à dos et de partir à la recherche de la fugueuse pour la ramener à Ulthar. Périple assez classique, en compagnie d’un petit chaton, parsemé de combats avec les monstres habituels des « Contrées », et visite à Randolph Carter, un ex-amant, devenu roitelet qui lui donnera quelques gris-gris pour l’aider dans son aventure, sans se mouiller davantage. Vellitt, au prix de combats titanesques avec des shantaks, parviendra à percer le mur du sommeil et retrouvera Clarie. On a droit ici à de belles pages style « Huron » où la prof découvre avec stupeur l’Amérique profonde des années 80. La chute est à la hauteur du récit, mais ne spoilons pas plus ! Merci à Jij pour cette belle ballade.

 


mardi 11 août 2020

LES CHRONIQUES D'EL'BIB : CHANTS DU CAUCHEMAR ET DE LA NUIT, Thomas Ligotti

 

 

 

 

Thomas Ligotti est trop peu connu en France[1] et Chants du Cauchemar et de la Nuit (Dystopia Workshop 2014) vient opportunément combler – partiellement - cette lacune. Très célèbre aux États-Unis, il a du reste défrayé récemment la chronique, les réalisateurs de la série True Détective s’étant manifestement un peu trop inspiré d’une de ses œuvres. Tous les propos philosophiques, nihilistes et antinatalistes qui sortaient de la bouche du personnage principal, Matthew McConaughey, étaient en effet fortement influencés par l’essai de Ligotti : The conspiracy against the human race

La fiction de Ligotti s’inscrit dans la lignée de celles de Poe et surtout de Lovecraft. Pas besoin de reprendre artefacts du Maître de Providence (Cthulhu, Necronomicon…) pour nous faire plonger dans une horreur cosmique sans nom. L’homme n’est rien dans une mécanique glauque qui sème l’incompréhensible à la limite du non-sens. Je n’ai pu m’empêcher en lisant ce recueil à penser au Brussolo des années 80, mais un Brussolo qui se serait totalement immergé dans la « Métaphysique du Néant ». Manuscrits mystérieux, anciens Dieux disparus, personnages sans consistance peuplent des nouvelles dont certaines ne sont pas sans rappeler La Couleur Tombée du Ciel (L’ombre au fond du monde), Dagon (Nethescurial) ou encore Gordon Pym nommément cité dans Le Tsalal.

 

Une petite perle, dans cet ensemble décoiffant : « Vastarien[2] ». Nous sommes en compagnie de Victor Keirion, reclus dans sa mansarde, qui passe son temps à contempler sa cité décrépie (qui porte le nom de la nouvelle) et surtout de rêver en la magnifiant. Des rêves dont il s’extrait avec de plus en plus de mal, cherchant sans fin la clef du mystère de ce charme sulfureux qu’il éprouve en arpentant les ruelles oniriques. Il fait régulièrement le tour des bouquinistes pour essayer de trouver une explication à cette extraordinaire transformation et tombe un jour, dans une obscure échoppe, sur un livre sans titre qui est une véritable plongée dans son univers impossible. Le livre coûte une fortune, mais grâce à l’aide d’un mystérieux client tout de noir vêtu, il peut emporter l’ouvrage à petit prix. Et de replonger dans ses rêves, en compagnie de ce petit guide qui lui offre des perspectives inouïes. Las, au fil du temps, la cité idéale se rétrécit et finit par se fondre. Il comprendra que le client mystérieux était sur la même piste, mais ne pouvant plonger lui-même dans l’improbable Vastarian, il piratait en quelque sorte les rêves de Keirion. Ce dernier tuera le vampire onirique et sera arrêté par une équipe de psychiatres qui ne comprendra pas pourquoi l’intéressé avait près de lui un livre… vierge !



n [1] Recueils

·               Chants du cauchemar et de la nuit, Dystopia, 2014, trad. Anne-Sylvie Hommassel

n Nouvelles isolées

·               La Dernière aventure d'Alice, 1990 (Alice's Last Adventure, 1988), trad. Jean-Daniel Brèque

in 13 histoires diaboliques, Albin Michel

·               L'Œil du lynx, 1998 (Eye of the Lynx, 1983), trad. Thierry Sandalijan

in 21 nouvelles histoires de sexe et d'horreur, Albin Michel

·               La Secte du dieu fou, 1999 (The Sect of the Idiot, 1988), trad. Eric Holweck

in Le Cycle d'Azatoth, Oriflam

·               Ombre et obscurité, 1999 (The Shadow, the Darkness, 1999), trad. Claudine Richetin

in 999, Albin Michel

·               L'Autre festival des masques, 1999 (The Greater Festival Of Masks, 1986), trad. Yes Meynard

in Solaris n°128

 

[2] « Vastarian » est le nom de la revue américaine d’études « ligottiennes ».


dimanche 2 août 2020

LOVECRAFT ET LA GROSSE POMME, Jacky Ferjault



Lovecraft à New-York de Jacky Ferjault (EODS, 2016). L’auteur nous avait déjà donné Moi, HPL (EODS 2004), une vraie-fausse autobiographie de Lovecraft réalisée à partir de ses lettres. Il récidive en couvrant cette fois en détail sa période new-yorkaise qui débute en 1923 et qui en fait ne termine pas réellement en 1926. Car s’il rejoint Providence cette année-là, il reviendra souvent voir la Grosse Pomme où sont nombre de ses amis. Un récit intimiste, sur le thème « je t’aime, moi non plus ». Tout est beau au début, d’autant plus que Lovecraft est amoureux de Sonia Greene qu’il épouse. Tout est de surcroît joyeux avec une bande d’amis qui se structure en Kalem Club et qui mène une vie dilettante, faite de ballades dans la ville, de visites d’expositions et de furetage chez les bouquinistes. Mais l’argent ne rentre pas, tant il est vrai que Lovecraft ne recherche guère un job qui de toute façon ne lui conviendrait pas. Il fera une tentative chez un recouvreur de créances, travail complétement décalé pour un vieux gentleman comme lui. Quant aux affaires de Sonia, elles périclitent, amenant la jeune femme à quitter New York pour chercher du travail ailleurs. Cela se terminera par un divorce. Reclus dans un petit studio, l’auteur vivote et finit par retourner chez sa vieille tante à Providence, loin d’une ville métissée qu’il a prise en horreur.

Lovecraft parle toujours avec réserve de son œuvre ; mais il peste contre des révisions roboratives, il évoque le début de l’écriture de l’Appel de Cthulhu, en admettant que c’est un gros travail qui lui prendra du temps. En revanche, il s’enthousiasme pour la commande qui lui a été passée pour Épouvante et Surnaturel en littérature. Un travail qui le fait vibrer et qui lui montre l’étendue de ses lacunes qu’il lui faudra rapidement combler.

Un récit touchant qui nous montre un personnage loin de l’image de l’ermite qu’on a voulu lui attribuer.