dimanche 27 juin 2021

LE MUSÉE DES MYSTÈRES d'Alain Delbe lu par Rémi Boyer

 

Le musée des mystères par Alain Delbe. Editions L’œil du Sphinx, 36-42 rue de la Villette, 75019 Paris – France.

www.oeildusphinx.com

Alain Delbe est psychologue et psychanalyste, auteur de littérature fantastique, romans et nouvelles. Dans ce livre, il compile une douzaine de dossiers sur des événements ou situations étranges, défiant la rationalité ordinaire. Ces expériences sont venues à lui par des rencontres ou encore par son travail de psychologue, elles illustrent combien le monde que nous croyons connaître est plein de failles qui ouvrent sur d’autres possibles à explorer.

« Dans la douzaine de « dossiers » qu’on y trouvera, annonce l’auteur, et où je cède souvent la parole à d’autres, je souhaite que le lecteur se laisse charmer, intriguer, amuser, voire effrayer, par ces multiples fissures du réel qui nous entoure, que nous avons si vite, trop vite, appris à ne plus voir ni entendre. »

Certaines des situations présentées sont absolument fascinantes comme la première, intitulée Le Muret qui nous fait plonger dans les constructions sans limites de l’esprit. Un autre grand moment de l’ouvrage concerne la mort mystérieuse d’Edgar Allan Poe que Louis Seignolle éclaire lors d’une rencontre avec Alain Delbe. Au cœur du mystère Poe et de cet autre mystère qu’est Claude Seignolle se trouve la manifestation, ou la matérialisation, des personnages créés par les auteurs. E.A. Poe serait mort, tué par l’un de ses personnages ou plusieurs…

Chaque dossier porte sur un mystère différent : démons, fantômes, créatures incertaines, porosités entre univers, messages anormaux, communication animale… autant de thèmes qui intéressent aussi bien la littérature que la métapsychie. Aujourd’hui les recherches scientifiques sur les états différenciés de la conscience jettent un autre regard, plus ouvert, sur ces phénomènes que trop de personnes encore cantonnent au domaine de la psychiatrie.

Nous pouvons lire ces témoignages comme s’il s’agissait de simples nouvelles, nous pouvons aussi nous interroger sur la nature de la réalité quotidienne et sur ce qui vient la bousculer. Alain Delbe nous annonce d’autres dossiers à venir que nous découvrirons avec autant de plaisir que d’intérêt.

 

samedi 26 juin 2021

LES CHRONIQUES D'EL'BIB : OPÉRATION AHNENERBE, Heather Pringle


 

 

 

Opération Ahnenerbe, Heather Pringle (Presses de la Cité, 2007). Un travail remarquable, tant il est vrai que la documentation sur « l’Institut pour la recherche des ancêtres » est assez maigre en langue française. Un exercice d’autant plus riche qu’il s’appuie sur de nombreuses sources dont le recensement (notes en fin de volume) représente pratiquement le tiers de l’ouvrage.

L’Ahnenerbe était un institut de recherches pluridisciplinaire nazi, créé par le Reichsführer-SS Heinrich Himmler, Herman Wirth et Walther Darré le 1er juillet 1935. Intégrée aux SS en janvier 1939, l'Ahnenerbe avait son siège à Munich. L'institut avait pour objet d'études « la sphère, l'esprit, les hauts faits et le patrimoine de la race indo-européenne nordique » avec comme outils la recherche archéologique, l'anthropologie raciale et l'histoire culturelle de la race aryenne. Son but était de prouver la validité des théories nazies sur la supériorité raciale des Aryens sur les races supposées inférieures ainsi que de germaniser les peuples qui occupaient le lebensraum nazi.

L’auteur montre, dès le départ, que les fondements idéologiques de l’Institut reposent… sur du sable. La notion de race est une invention assez récente (XVI ème siècle), créée plus pour semer de la confusion politique que pour illustrer une typologie qui n’a jamais été scientifiquement prouvée. Quant au terme aryen, il résulte notamment des travaux de linguistique comparée de James Parsons (XVIII ème siècle). Il s’agissait de rechercher les similitudes entre le sanskrit et les principales langues du monde. Certains utilisèrent pour le groupe identifié le terme d’indo-européen, d’autres d’aryen. Les continents du Nord (Hyperborée, Thulé) qui auraient abrité une race de légende sont pour leur part à classer dans la série « fiction ».

Cela dit, les dirigeants de l’Institut (Wirth, Sievers) se prirent volontiers au jeu, et la première période de l’Ahnenerbe (1935-1938) prête à sourire par sa couleur « Indiana Jones » marquée. On y croise de belles brochettes de scientifiques de haut niveau, disposant de budgets très confortables, faire le tour de la planète pour dénicher d’improbables gravures ariennes ou mesurer les crânes de populations tibétaines ahuries. Le déclenchement de la guerre fera basculer la machine du côté sombre de l’histoire, l’intégration de l’Ahnenerbe à la SS faisant d’elle un outil très actif de la politique raciale du Reich. Les « expériences médicales » sur les juifs prendront une grande ampleur afin de tenter de calmer Himmler qui voulait absolument démontrer scientifiquement qu’il s’agissait bien de « Untermenschen ». La collecte de crânes des victimes des camps de concentration ne suffit bientôt plus à alimenter les chercheurs et la SS mènera une véritable politique « d’abattoir » pour y remédier.

L’étude se termine par une analyse de la grande « débandade » qui suivra la capitulation et épingle une liste impressionnante de hauts responsables de l’Institut qui passeront entre les gouttes et retrouveront rapidement des postes prestigieux à l’Université. Avec toujours cette question lancinante : comment de tels profils, intelligents et bien éduqués, ont-ils pu se fourvoyer dans une telle boucherie au nom de pseudosciences ridicules ?

L’ouvrage montre par ailleurs que l’aventure de l’ésotérisme nazi reposait essentiellement sur les idées fumeuses de Himmler et que le Führer prit à plusieurs reprises ses distances vis-à-vis des démarches loufoques de son collaborateur. Nous n’avons rien à voir avec ceux qui ne comprennent le national-socialisme qu’en termes de rumeurs et de sagas, et qui le confondent donc trop facilement avec de vagues phrases nordiques et qui font maintenant porter leurs recherches sur les motifs d’une culture atlantéenne mythique…  (Nuremberg, septembre 1936).

vendredi 11 juin 2021

LES CHRONIQUES D'EL'BIB : LE TRIOMPHE DES TÉNÈBRES, Giacometti & Ravenne

 


 

 

Les amis Giacometti et Ravenne abandonnent un moment leur commissaire Antoine Marcas pour s’essayer à la « thuléo-fiction » avec Le Triomphe des Ténèbres (JC Lattès, 2018), un genre avec lequel ils avaient déjà flirté dès leur premier bouquin (cf Le Rituel de l’Ombre, 2005). Tous les matériaux de « l’ésotérisme nazi » sont ici astucieusement exploités pour développer une quête qui n’est pas sans rappeler celle des « crânes de cristal ». L’artefact est ici une croix gammée insérée dans quatre monuments disséminés tout autour de la planète, si l’on en croit un livre maudit volé par des hiérarques de l’Ahnenerbe à un vieux libraire juif de Londres : le Thule Borealis. Et on comprend que cet objet soit activement recherché : il donne à son détenteur un pouvoir immense. Le premier spécimen sera récupéré au Tibet et permettra à l’Allemagne de mettre la main sur l’Europe « en douceur. »

L’objet de ce premier roman thuléen est de nous faire participer à la recherche d’une seconde pièce, localisée en Occitanie. Vont se livrer une lutte farouche Malorley, responsable d’une section très spéciale des services de renseignements anglais, Weistort, dignitaire de l’Ahnenerbe et un certain Tristan Marcas (tiens ?), baroudeur français féru d’Art. Un personnage curieux qui n’hésite pas à jouer pour les deux camps. Après avoir fait chou blanc au Monastère de Montserrat et grâce au décryptage savant d’un vieux tableau par le français, les troupes de recherches s’orientent sur Monségur. Le pog est littéralement déshabillé par les archéologues germains afin de reconstituer le plan de la citadelle d’origine. La cache sera rapidement localisée et Tristan prélèvera l’artefact lors d’un combat sanglant avec une équipe de résistants. Forts de cette prise, l’Allemagne pourra se lancer dans la guerre contre la Russie qu’elle ne peut qu’écraser.

Le rythme est tonique, l’ambiance ultra-violente, mais un peu de douceur nous est apportée par quelques créatures féminines, toutes sensibles, quel que soit leur bord, au charme de Tristan. Et pour le fun, nous visiterons le monumental Institut d’Astrologie de Rudolph Hess et partagerons sa fuite en Angleterre, les astres lui ayant indiqué que la conjonction était favorable à ouvrir une négociation de paix tournée contre la Russie. Nous visiterons le Wewelsburg avec Himmler, et notamment la chambre secrète réservée au Führer qu’il ne viendra occuper qu’après la victoire finale. Et nous nous griserons en compagnie de Winston Churchill, avec de délicieux cigares de Havane et du jus de cow boy délicatement tourbé.

On se doute bien sûr que ce n’est qu’un premier tome et que l’aventure ne demande qu’à se poursuivre.

 

NB : j'ai bien aimé le clin d'oeil à Cthulhu sur la cover !

 

 




mercredi 2 juin 2021

LES CHRONIQUES D'EL'BIB : LE MAGICIEN D'AUSCHWITZ, J.R. Dos Santos

 


 

 

On connaît bien J.R. Dos Santos et ses thrillers scientifiques dont le plus emblématique est certainement La Formule de Dieu. Avec Le Magicien d’Auschwitz (HC 2021), il nous propose une incursion dans le domaine historique, toujours avec ce souci de la documentation dont la richesse est sans conteste une des clefs de son succès. Disons-le tout de suite, ce livre est difficile à lire, car quand on rajoute de l’horreur à l’horreur, on a toujours de l’horreur ! Il s’agit d’une plongée en profondeur dans l’univers des camps de concentration sur base de récits de détenus ayant enterré leurs manuscrits avant de s’évanouir en fumée. L’histoire est celle d’un prestidigitateur allemand établi à Prague, « le Grand Nivelli », qui rencontre un immense succès au point d’amener les occupants allemands à assister à l’un de ses spectacles. Le Gouverneur, Heydrich, flairant chez Herbert Levin (Nivelli, 1906-1977) des pouvoirs occultes qui pourraient être mis au service du Reich lui propose de rentrer à la SS et de participer aux travaux de l’Ahnenerbe. Las, le magicien est juif et, en compagnie de sa femme et de son fils, va connaître une descente aux enfers dont le terminus sera Auschwitz. Il y retrouvera un ancien collègue de Prague qui lui fait comprendre, à mots couverts, qu’une révolte se prépare.

Parallèlement, on suivra les aventures du soldat Francisco Latino, soldat portugais, versé dans la phalange espagnole puis dans la Division Bleue, chargée d’aider la Wehrmacht dans sa conquête de la Russie. Une brute au cœur tendre qui, alors qu’il était en opération sur Leningrad, tombera follement amoureux de la belle paysanne russe Tanusha. Alors qu’ils allaient se marier, la promise sera enlevée par la SS pour faire pression sur Francisco : entrer dans la SS alors qu’il souhaitait retourner aux pays pour couler des jours heureux. Il sera affecté comme surveillant à Auschwitz, camp où sera déportée sa fiancée.

Un récit sous forme de droites parallèles qui n’avaient à priori aucune chance de se rencontrer. Mais on restera sur sa faim au bout de 444 pages, la suite étant annoncée avec Le Manuscrit de Birkenau.

Petite remarque. Alors qu’il était encore à Prague, Levin rencontre régulièrement le grand occultiste tchèque, Franz Bardon (1909-1958). Leurs échanges sont le prétexte à nous proposer une « planche » très vivante sur l’ésotérisme nazi, ramassant tous les poncifs popularisés par Le Matin des Magiciens. Bardon joue le rôle du « croyant » alors que Levin ne se départit pas d’un scepticisme souriant, le coup des aryens qui viennent de Thulé après avoir fait un petit stage en Atlantide passant mal !