mardi 21 juin 2011

LES APOCALYPTIQUES DE L'AUDE


publié le 21/06/2011 à 11:56

Des centaines de personnes persuadées que la fin du monde est pour le 21 décembre 2012 affluent dans un petit village de l'Aude censé y échapper grâce aux extraterrestres, suscitant ironie et méfiance.

Les 194 habitants de Bugarach, au sud de Carcassonne, habitent, il est vrai, au bout du monde.

La petite route qui y mène s'arrête après le village, au pied d'un imposant "Pech" rocailleux - un endroit plat et surélevé en langue occitane - qui culmine à 1.230 mètres.

Kean, un Néerlandais de 42 ans, fait partie de ces adeptes qui arpentent les ruelles par petites grappes, vêtus de blanches tuniques symbolisant la pureté de leur quête.

"Les extraterrestres vont bientôt arriver. Il faut préparer leur venue", dit-il à l'instar des nombreux prophètes de l'apocalypse qui fleurissent à l'approche de 2012, date de la fin du monde selon des interprétations du calendrier maya.

Quelque 20.000 visiteurs ont déjà effectué le "pèlerinage" de Bugarach cette année, deux fois plus que l'an dernier, et un grand festival est prévu pour l'hiver prochain.

"J'en ai parlé au maire", explique-t-il. "On va peut-être avoir aussi une petite subvention du Conseil général".

Jenny, une autre "apocalyptique", évoque le Pech de Bugarach comme une "ouverture des portes du vortex. C'est une porte d'énergie qui relie plusieurs dimensions".

Découvrir son "vortex" consisterait à "trouver le passage pour accéder à une civilisation disparue", souligne-t-elle.

Une douzaine de personnes vêtues de blanc prennent l'air sur une terrasse et il suffit de prononcer le mot "journaliste" pour déclencher une volée de moineaux vers les salles de travail.

Une jeune femme qui ne veut pas dire son nom trouve juste le temps de dire qu'"on en a marre de cette chasse aux sorcières. C'est l'inquisition ! Laissez nous croire !".

Croire en quoi ? Dans le melting pot des croyances émerge une Américaine, J.Z. Knight, qui fonda la mouvance "Ramtha" aux Etats-Unis dans les années 1970 avant de jeter son dévolu sur une fin du monde pour 2012 dont Bugarach sortirait indemne.

Pour appuyer ses dires, cette femme "converse" régulièrement avec Ramtha, un guerrier lémurien qui aurait libéré son peuple de la tyrannie des Atlantes il y a 35.000 ans.

Malgré l'annonce de leur sauvetage divin, les habitants de Bugarach qui ne croient pas à la fin du monde balancent entre amusement et irritation.

"Notre montagne a toujours été là et sera toujours là", déclare le maire, Jean-Pierre Delord. "Le problème, c'est que de fumeux prophètes venus du bout du monde ont fait de notre Pech un soi-disant garage à Ovnis."

"On peut en rire mais eux, ils ne rigolent pas", ajoute-t-il. "Sous prétexte que les martiens ont besoin de Bugarach comme base de repli technique pour leurs Ovnis, nous allons échapper à la fin du monde. Tant mieux ! Mais, résultat, les illuminés viennent se réfugier chez nous."

Marie Simon, 86 ans, hausse les épaules en évoquant les "fous". Chargée par le curé de fleurir la petite église locale vouée à Marie, elle dit qu'elle "n'y croit pas, à tout ça. Et le curé non plus. Il paraît que ça vient d'internet. Qu'ils aillent ailleurs, ils trouveront jamais d'Ovnis."

Plus loin, trois aînés discutent à l'ombre. "C'est simple, on vous dit. Après le 21 janvier, ce sera le 22. Il ne se passera jamais rien. Il s'est jamais rien passé ici."

Le maire de Bugarach s'en frotte les mains.

Avec 100 lits sur la commune et à raison d'une taxe de séjour de deux euros par jour, il encaisse grâce aux visiteurs 3.000 euros par an, 10% de son budget, sans compter la location du presbytère et les recettes générées par l'auberge locale.

"C'est vrai qu'après la fin du monde, la source risque de tarir", ironise-t-il. "Il faudra rebondir."

Mais une certaine inquiétude se fait jour. L'été dernier, dit le maire, qui voit arriver sans déplaisir une estafette de gendarmes surveiller la situation, "un adepte a voulu se faire hara-kiri avec un sabre de samouraï. Il s'est juste blessé".

Il a d'ailleurs alerté les autorités et le président de la Mission Interministérielle de Vigilance et de Lutte contre les Dérives Sectaires (Miviludes), Georges Fenech, a survolé la zone en hélicoptère début juin.

Le président de cet organisme public a publié le 15 juin un rapport dans lequel il s'inquiète des dérives sectaires.

Il craint des "comportements autodestructeurs" à l'abri des bunkers et des galeries souterraines qui ont selon lui été construits dans la région de Bugarach.

"J'ai constaté l'installation de plusieurs familles, têtes de pont de la secte Ramtha dirigée par J.Z. Knight. Nous avons vu au moins six sites concernés par ce groupement", explique Georges Fenech. "On ne tombe pas dans la psychose, bien sûr, mais on le prend très au sérieux.

En toile de fond de cette inquiétude, on trouve la mort de 74 personnes liées à un autre mouvement apocalyptique, l'Ordre du temple solaire, de 1994 à 1997, en France, en Suisse et au Canada. "Donc, nous savons que ce genre de chose peut se produire", conclut-il.

Par Reuters

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