mercredi 23 novembre 2011

LE FANATISME DE L'APOCALYPSE

 

"Le Fanatisme de l'Apocalypse : sauver la Terre, punir l'homme", de Pascal Bruckner : la rhétorique de la dérision en défaut

Livre du jour | LEMONDE | 22.11.11 | 14h49

Mettre les rieurs de son côté, voilà un talent que maîtrise à coup sûr Pascal Bruckner. Ce talent, il le prodigue aujourd'hui pour dénoncer un discours écologique supposé dominant. La thèse du livre au titre emprunté à l'historien Norman Cohn (Les Fanatiques de l'Apocalypse - Julliard, 1962) est simple : le souci de l'environnement aurait tourné en Occident à une manie de la contrition dont le but serait moins le salut de la planète que la satisfaction d'un masochisme postchrétien prônant le châtiment, voire l'extinction de l'homme. Après Le Nouvel Ordre écologique de Luc Ferry (Grasset, 1992), voilà Pascal Bruckner qui reprend le slogan lancé en 1990 par le philosophe Marcel Gauchet dans la revue Le Débat : "Sous l'amour de la nature, la haine de l'homme".

En concédant la nécessité d'une "écologie d'admiration" (du monde) pour remplacer l'"écologie d'accusation" (de l'homme), Pascal Bruckner décoche ses traits sur les excès, les cocasseries, les exagérations d'un milieu où la prophétie de malheur soutenue par des observations scientifiques ne laisse que peu de place à l'humour. Mais l'absence d'humour justifie-t-elle à elle seule les simplifications bruckneriennes ? Sans parler des contre-vérités comme l'imputation aux écologistes de la recrudescence du paludisme en Afrique (Le Monde du 5 novembre). L'inquiétude pour l'avenir de la Terre est en réalité l'objet d'une discussion savante, technique même. Il est simple voire simpliste de la ravaler à un millénarisme aux ténébreuses racines théologiques.
Certes, les exemples produisent un effet comique : l'enfant incité dans une ferme biologique de Californie à plonger son bras nu dans du fumier pour "mieux sentir les entrailles de Gaïa" (la Terre) ; le conseil d'uriner dans la douche pour économiser les chasses d'eau ; les calculs maniaques de la moindre dépense susceptible d'approfondir notre "empreinte écologique" sur la planète, etc. Mais, quand on prétend par ce procédé damer le pion à certains des plus grands penseurs de l'écologie - le philosophe Hans Jonas (systématiquement qualifié d'"allemand" et d'"heideggérien", en oubliant que, juif et sioniste, il combattit le nazisme sous uniforme britannique), Günther Anders (l'un des premiers à avoir conceptualisé l'effroi nucléaire), André Gorz, etc. -, cette rhétorique de la dérision n'est guère convaincante.
Surtout quand elle se résume à un unique procédé : renverser les positions de l'adversaire en leur contraire. Le catastrophisme écologiste se réduit, pour Bruckner, à un anthropocentrisme délirant où nos moindres faits et gestes (choisir une ampoule à basse consommation, ne plus consommer de viande, limiter ses déplacements en avion) auraient des conséquences cosmiques. Pis, les écologistes seraient les complices objectifs d'un capitalisme où la crise accroît les inégalités, en cherchant par leur ascétisme branché à habituer les pauvres à leur misère...
Sans compter l'injuste et classique assimilation de l'écologie au fascisme (c'est Vichy qui encourage la bicyclette !). Le réductionnisme finit dans l'insignifiance.

LE FANATISME DE L'APOCALYPSE : SAUVER LA TERRE, PUNIR L'HOMME de Pascal Bruckner. Grasset, 278 pages, 20 €.
Nicolas Weill Article paru dans l'édition du 23.11.11

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