MORDANT
Quelques lignes du dernier roman de V. K. Forrest, «Impitoyable»,
publié chez Milady. Les enquêtes du vampire Arlan, qui s’est «juré de ne
jamais tomber amoureux d’une humaine»...
Photos Shutterstock / Montage L'Hebdo
Livre
Bit-lit, la romance sanglante
Depuis
«Twilight», les romances mettant en scène des vampires passionnent de
plus en plus les Suisses. Ce genre, la «bit-lit», devenu un phénomène de
librairie, oblige les éditeurs à adopter de nouvelles stratégies.
Le
vampire ne fait plus peur; pire, il fait envie. Et truste les
meilleures ventes en librairies. Depuis Twilight, série-culte de
Stephenie Meyer vendue en Suisse romande à 100 000 exemplaires, c’est la
déferlante. Les femmes de 15 à 35 ans veulent du vampire à chaque page.
Le monstre aujourd’hui est capable de sentiments et aime au grand
jour (sans craindre les UV). Rajeuni, domestiqué, végétarien, il a été
privé de ses défenses d’émail. Le prince charmant des romances à l’eau
de rose lui a volé ses attributs pour se refaire une santé sur son dos.
En phagocytant le héros de Bram Stoker, il a retrouvé son piquant et son
sexe-appeal. Décidément, le vampire n’est pas celui qu’on croit…
Aujourd’hui, même une Meg Cabot, auteure-phare de la littérature
romance pour ados (la longue série du Journal d’une Princesse), se met à
la «bit-lit» dans son dernier livre traduit: Insatiable. C’est dire.
Mais la bit-lit, qu’est-ce que c’est? Le terme, inventé en France par
les Editions Milady, est une variante de la dénomination ironique
«chick-lit» (littérature pour poulettes, donc pour nanas), et associe
l’anglais to bite (mordre) à la littérature.
Pour Sophie Dabat, qui lui a consacré l’essai le plus complet qu’on
puisse lire en français (Bitlit! L’amour des vampires aux Editions Les
moutons électriques), le genre descend en ligne directe des romances
victoriennes des sœurs Brontë, excusez du peu. Et de résumer: «Des
créatures surnaturelles (vampires ou loups-garous) mordent des jeunes
femmes sur fond de romance.»
Pour Irène Ruffieux, qui vient de défendre un mémoire sur la série
télé de vampires True Blood (adaptation des livres de Charlaine Harris),
à l’Université de Lausanne, on retrouve dans cette littérature le
schéma des romans à l’eau de rose: «Les Harlequin ont rabâché les
conflits de classes entre les amants. Ces distinctions n’ont plus lieu
d’être aujourd’hui. La société a l’air “plate”, même si elle ne l’est
pas.
C’est-à-dire qu’on a la sensation de pouvoir changer de milieu social
facilement. Du coup, pour éloigner les amants, les auteures font du
héros masculin un vampire. Cela remet du piquant et ravive le côté amour
impossible!» Sans compter que cela autorise des scènes sexuelles plus
osées.
Grands ados. Mais la bit-lit est aussi très orientée
ados. «Twilight soulève les mêmes thèmes que la littérature pour ados:
la virginité versus le mariage, comment quitter sa famille pour aller à
l’université, l’amour contrarié, mais avec un emballage fantastique…» Du
coup, le genre séduit aussi bien cette tranche d’âge que les lectrices
de 25 à 35 ans, professionnellement actives, qui n’hésitent pas à
s’approvisionner au rayon «jeunesse» des librairies.
Pour remédier à cette confusion, les Editions Hachette sortent deux
versions de leurs titres-phares: l’une pour adultes, l’autre pour ados.
Le texte est le même, seul le format diffère. Enfin, la littérature
«mordante» compterait aussi des lecteurs mâles (entre 5% et 30%, selon
les éditeurs), mais ils la dévoreraient en cachette...
C’est Hachette et sa collection Black Moon qui a pressenti le succès
du vampire nouveau. L’éditeur possède les droits de la série Twilight,
dont il a vendu 5 millions d’exemplaires en français. Avant de se faire
rattraper sur ce marché de niche par Milady et sa collection Bragelonne
(noms choisis en hommage aux romans d’Alexandre Dumas). Depuis sa
création en 2008, Milady a publié 110 titres et écoulé 1 200 000
exemplaires.
Un succès en pleine expansion (+45% de ventes en 2010, dans le
domaine «fantastique»). Enfin, Harlequin, ringardisée par ses
concurrentes, a contre-attaqué en fondant la collection Jeunesse Darkiss
l’an passé. Phénomène contemporain, la bit-lit est transversale et
essaime sur la toile et les écrans: les séries sont adaptées au cinéma
ou à la télévision. Et à l’inverse, une série télé à succès peut aussi
être déclinée en livres a posteriori (par exemple Buffy contre les
vampires).
Pour s’y adapter, les éditeurs développent des stratégies de
communication inédites dans le milieu littéraire francophone. La presse
généraliste ou spécialisée boude leurs titres? Ils les envoient à des
bloggers influents. «Notre communication est pensée pour s’adapter à sa
cible jeune et connectée», commente-t-on chez Darkiss.
Et de reconnaître l’importance des blogs et des sites web. «Il
fallait créer un lieu de rendez-vous de la communauté, pour lui
permettre d’échanger, mais aussi lui fournir des informations en
exclusivité sur la collection, les séries, les publications à venir ou
encore répondre à ses questions.»
Marketing soigné. Côté librairies, en Suisse
romande, la Fnac propose les plus beaux rayons bit-lit. Le genre
représente à lui seul 45% du chiffre d’affaires des romans pour ados.
«Nous avons diminué le secteur Science-fiction, qui plaît moins
aujourd’hui, pour favoriser ce nouveau genre», explique Laurence
Wuethrich, responsable des achats pour le rayon Jeunesse. «Il y a deux
ans déjà, nous avons exposé dans un même rayon tout l’univers de la
bit-lit: BD, roman, manga, DVD…
Cela a plu à nos clients et leur a permis de faire des découvertes.
Et nous commençons cette semaine une opération spéciale: pour l’achat de
deux titres, le lecteur se verra offrir un hors-série Milady contenant
des nouvelles.» Milady, encore lui, sait décidément soigner sa
communication.
L’éditeur va jusqu’à offrir aux libraires une formation sur la
bit-lit et son histoire. Il a aussi permis à la Fnac de Lausanne, la
mieux fournie dans le domaine, d’accueillir des auteurs pour des séances
de dédicaces (dont la locomotive Patricia Briggs, auteure de la série
Mercy Thompson).
Si le terme bit-lit a été inventé par l’éditeur français Milady, on
ne voit sur les rayons des libraires que des auteures anglosaxonnes.
Sophie Dabat regrette que les éditeurs manquent de curiosité. «Ils
répondent à la demande immédiate, et pas question de changer une formule
qui marche. Pour eux, il est moins risqué d’acheter les droits d’une
série qui a fait ses preuves auprès du public anglophone, plutôt que de
choisir un texte inédit.»
La directrice de Black Moon, Cécile Térouanne, explique ce monopole
par une différence culturelle entre la France et les Etats-Unis. «Je
suis fière de publier de la littérature de divertissement. Mais c’est un
tabou en France, où nous sommes encore écrasés par le Nouveau roman et
la notion d’auteur. La littérature pour la jeunesse y est souvent
engagée et sociale. Chez Black Moon, nous sommes dans une autre logique:
le divertissement pur.»
Autrement dit, on n’est pas en présence d’artistes, mais de
producteurs en série qui répondent à un cahier des charges.
Paradoxalement, les livres sont parfois meilleurs une fois traduits. «Le
style des originaux est souvent assez médiocre, reconnaît Cécile
Térouanne. Mais nous avons de bons traducteurs, qui rehaussent le
niveau.»
La directrice de la collection Bragelonne, Isabelle Varange, constate
pourtant un «certain frémissement» dans la bit-lit française: «Nous
allons publier le premier tome d’une série francophone en 2012 par une
auteure très talentueuse dont c’est le premier roman.» A suivre.
Canines émoussées. Sauf que le vampire pourrait
finir par lasser. Les éditeurs le savent, qui essaient de lui trouver un
successeur. Cette rentrée et la prochaine, ils misent sur le
paranormal. Pour le moment, le succès n’est pas au rendez-vous en Suisse
romande. Pour Sophie Dabat, la solution est peut-être de faire évoluer
les séries: «Pour fidéliser le public adulte, certains héros
vieillissent et ont des enfants. Par exemple dans Ma part de ténèbres de
Kelly Gay, l’héroïne est une flic divorcée confrontée à des problèmes
d’adultes.»
La réaction viendra peut-être des éditeurs plus traditionnels, pour
l’instant à la traîne. Gallimard, qui avait lancé Harry Potter en
France, cultive sa différence. «Nous aimons les histoires de vampires
qui ont une profondeur psychologique et qui sont bien écrites», explique
Thierry Laroche, éditeur Jeunesse. «Nous avons vu arriver cette mode,
mais nous avons voulu rester bien droits dans nos bottes, fidèles à
notre regard exigeant.
Nous choisissons des textes divertissants, mais qui ont des choses à
dire. Plaisir ne veut pas dire facilité ni futilité!» L’éditeur propose
deux collections à succès mettant en scène des vampires: Les étranges
sœurs Wilcox et A comme Association, toutes deux écrites par des
Français. Et des hommes! La diversité est sauve. De toute façon, à
l’avenir, le combat se jouera sur le terrain des anges, et le prince
charmant troquera de plus en plus ses canines pointues contre des ailes.
A ce propos, la maison centenaire a une arme pour reprendre la main:
la trilogie Angel de Lee Weatherly. Le premier tome de cette romance
paranormale très fleur bleue vient de sortir. Un ténébreux jeune homme,
chasseur d’anges, y tombe amoureux de celle qu’il est chargé
d’éliminer...
Film
«Twilight», une suite mais pas de fin
Suspens insoutenable. Edward (Robert Pattinson) embrassera-t-il enfin Bella (Kristen Stewart)?
Le 16 novembre, les Romands pourront découvrir Breaking Dawn,
adaptation du quatrième tome de Twilight sur grand écran. Pour faire
durer le «plaisir», cette conclusion plus «musclée» a été divisée en
deux films. Il faudra attendre jusqu’au 14 novembre 2012 pour connaître
le fin mot de l’histoire.
A lire
«Chasseurs d’ombres», de Marjorie M. Liu, Darklight, 350 p.
Le
premier volume d’une nouvelle série qui raconte les péripéties de Kiss,
redoutable chasseresse de vampires, protégée par des tatouages capables
de prendre vie...
«Void City, Tome 1, Un pieux dans le cœur», de J.F. Lewis, Milady, 386 p.
Le héros est un vampire gérant de boîte de striptease! Un des seuls romans de «bit-lit» écrit par un homme.
«Les fiancés de l’ombre» de Gena Showalter, Darkiss, 615 p.
Deuxième tome d’une série sur une idylle contrariée, à la Roméo et Juliette, entre des vampires issus de clans ennemis... |
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