samedi 7 janvier 2012

LE CHIFFRE DE LA BETE

 
 
 
 
LA CROIX DU 6 JANVIER
 
La symbolique des chiffres dans la Bible
Le récit biblique est ponctué de chiffres et de nombres. S’il convient de ne pas en livrer une interprétation excessive, la connaissance de leur signification symbolique est toutefois précieuse pour éclairer le texte dans bien des cas. Explication.

Quelle est la place accordée aux chiffres dans la Bible ?

Les chiffres jouent un rôle important dans la Bible. Leur utilisation est à replacer dans le contexte plus large de l’ancien Orient, qui aimait la symbolique des nombres. En Mésopotamie, où les mathématiques étaient relativement développées, rappellent les auteurs du Vocabulaire de théologie biblique (Éd. du Cerf), on attribuait aux dieux certains nombres sacrés. Selon les spéculations pythagoriciennes, 1 et 2 étaient masculins, 3 et 4 féminins, 7 virginal, etc.
Influencée par les civilisations dans lesquelles elle a été composée, la Bible elle-même confère à certains chiffres des emplois symboliques et conventionnels. Pour autant, à aucun, elle n’accorde un caractère sacré. « Dans les littératures ésotériques, on se sert des chiffres pour en faire une lecture magique, prévient le P. François Brossier, exégète, professeur honoraire de l’Institut catholique de Paris. Dans la Bible, ils ont d’abord pour fonction de donner du sens. Il faut absolument se demander quelles ont été les intentions des auteurs lorsqu’ils les ont employés. »

Connaît-on la portée symbolique de tous les chiffres ?

Il s’agit avant tout de ne pas procéder à des extrapolations hâtives. Le sens premier des chiffres dans la Bible est tout simplement de mesurer des quantités. « Quand nous lisons que quatre hommes amenèrent le paralytique étendu sur une civière, il est évident que le chiffre 4 traduit une réalité : la civière avec quatre poignées était le moyen le plus simple pour le transporter », indique par exemple le bibliste canadien Jérôme Martineau, rédacteur en chef de la revue Notre-Dame du Cap, dans un article paru sur le site Interbible.org.
Cela dit, le sens symbolique de certains chiffres dans la Bible s’est également peu à peu imposé. Ainsi Jésus choisit douze apôtres parce que le peuple d’Israël à l’origine était composé de douze tribus, chiffre lui-même symbolique : il indique par ce chiffre le nouveau peuple de Dieu.
Cette signification symbolique est renforcée par l’utilisation des multiples. Lorsque Jésus indique à Pierre qu’il doit pardonner « non pas jusqu’à 7 fois, mais 77 fois » (Mt 18, 21-22), il indique par là la perfection de l’amour évangélique qui n’a pas de borne. De même, le nombre des disciples attendant la Pentecôte est de 120 (Actes 1,15), soit 10 fois 12, symbole de ce nouveau peuple de Dieu qui commence à naître. L’Apocalypse annonce qu’au jour de la manifestation du Seigneur, 144 000 personnes seront marquées du sceau du Dieu vivant, 12 000 de chaque tribu d’Israël, soit la multitude (Ap 7).
Les auteurs du Nouveau Testament ont tout naturellement puisé dans la symbolique de l’Ancien Testament, bien connue de leurs lecteurs, pour mettre en lumière le mystère du Christ. Lorsque Jésus désigne 72 disciples pour évangéliser les villes et localités (cf. Lc 10,1), l’évangéliste fait allusion dans la Genèse (Gn 10) à la somme totale des peuples et nations répartis sur la terre. Manière de signifier que Jésus leur confie le soin de faire parvenir l’Évangile à toutes les nations du monde.
Dans l’évangile selon saint Marc figurent deux récits de multiplication des pains. À la fin du premier (Mc 6, 30-44), il reste douze corbeilles pleines, le nombre des douze tribus. Cette multiplication est faite pour Israël, elle est l’accomplissement des promesses faites par Dieu à son peuple au désert. Il envoie un Messie pour rassasier son peuple, et pour qu’il se rassemble autour de son Seigneur. Dans le deuxième récit (Mc 8, 1-10), il reste sept corbeilles, ce nombre évoquant la complétude selon Dieu (voir infographie) : Jésus est ému par ces foules qui le suivent, quatre mille hommes, c’est-à-dire des quatre points de l’horizon, les nations rassemblées, bien au-delà du peuple d’Israël. Ainsi ces deux multiplications des pains que nous rapporte saint Marc ont été voulues pour montrer qu’il vient rassembler les tribus d’Israël mais aussi pour toutes les nations.
Pour d’autres chiffres, en revanche, la clé d’interprétation nous échappe aujourd’hui. Ainsi des âges fabuleux attribués aux patriarches d’Israël, tel Mathusalem qui serait mort à 969 ans, Noé à 950 ans ou Lamech à 777 ans… évocation, peut-être, de la bonté de la Création, qui s’altère (les chiffres diminuent) jusqu’au déluge. Intrigue tout autant le nombre de 153 poissons de la pêche miraculeuse (Jean 21,11), qui a donné lieu à de multiples hypothèses, certaines extravagantes pour un esprit moderne.

Quelle valeur le judaïsme accorde-t-il aux chiffres ?

Chaque lettre de l’alphabet hébreu revêt une valeur numérique : de 1 pour « aleph », la première lettre, à 400 pour « tav », la dernière lettre. Ce qui signifie que l’on peut attribuer une valeur numérique à chaque mot en additionnant la somme de ses lettres. Procédé courant dans la lecture biblique : « Ce type de combinaisons permet de créer du lien et du sens entre des versets qui n’avaient a priori qu’un très lointain rapport entre eux » , explique Hervé Landau, directeur de la collection « Lectures du judaïsme » aux Presses Universitaires de France et conseiller spécial du grand rabbin de France. « Les valeurs numériques deviennent alors des révélateurs de sens seconds, cachés, appels à interprétation supplémentaire, à des regards neufs et innovants. »
Il existe des méthodes de construction et d’interprétation variées, livrées pour partie par les textes, pour partie par tradition orale, qui entrent toutes dans ce que l’on appelle la guématrie. Un exemple biblique classique se situe dans le livre de la Genèse où le nombre 318 (Gn 14, 14) renverrait à la personne d’Eliezer, serviteur désigné héritier d’Abraham (Gn 15,2) dont la valeur numérique est de 318… L’école juive de la Kabbale utilise massivement ce procédé.
Un certain nombre de chiffres du Nouveau Testament s’expliquent sans doute par ce procédé. Le jeu biblique de guématrie le plus célèbre, selon le bibliste Jérôme Martineau, est celui que l’on trouve dans l’Apocalypse concernant le chiffre 666, qui est censé désigner la Bête. L’auteur affirme qu’il s’agit là d’un « chiffre d’homme ». Or, si l’on transcrit le nom de l’empereur Néron, on obtient justement la valeur de 666…
On a aussi proposé de voir dans les 3 fois 14 générations qui composent la généalogie de Jésus, dans l’Évangile selon saint Matthieu qui s’adressait particulièrement à des communautés judéo-chrétiennes, une guématrie du nom de David (DVD = 4 + 6 + 4). Comme on espérait que le Messie serait un descendant de David, l’évangéliste désigne ainsi Jésus comme « triple David », véritable descendant du roi prophète. Mais c’est également un multiple du chiffre 7, le chiffre de Dieu.
BRUNO BOUVET et CÉLINE HOYEAU

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