samedi 25 février 2012

BUCAREST POUR LES INTIMES

Le charme intime de Bucarest

Pressés de filer en Transylvanie, les touristes boudent trop souvent la capitale roumaine. De grâce, ne les imitez pas!

Carolyne Parent   25 février 2012  Voyage
Le boulevard Unirii, à Bucarest.<br />
Photo : Carolyne Parent
Le boulevard Unirii, à Bucarest.

Bucarest — C'est tout vu: la capitale roumaine n'est pas Vienne, encore moins Prague, et ne sera jamais, jamais Barcelone. Même qu'en juin dernier, une étude réalisée à la demande de verticalnews.ro la proclamait «capitale la plus laide d'Europe» en raison d'artères principales jonchées d'ordures, de voies publiques en piètre état et d'un approvisionnement en eau déficient.

(La Ville a dû remédier à la situation tout juste avant notre arrivée, en juillet, car nous n'avons rien constaté de tel. Et puis, on se demande bien ce que l'approvisionnement en eau a directement à voir avec l'esthétisme d'une ville...)

Toujours est-il que Bucarest semble mal aimée à tort. Sachant qu'elle a survécu à deux séismes dévastateurs, aux bombardements de la Deuxième Guerre mondiale et à des décennies d'austérité communiste, aucun de ces maux n'équivalant, au demeurant, à la folie destructrice de Nicolae Ceausescu, on pourrait pourtant avancer que l'ex-«petit Paris des Balkans» s'en tire plutôt bien.

«Dans les années 1980, Bucarest a fait l'objet d'une grande opération d'urbanisme, explique le guide Catalin Rata. Ceausescu utilise alors le prétexte de la fragilité des bâtiments pour faire raser la majeure partie du centre-ville et évincer 40 000 personnes de leur logis. On dit qu'il se baladait dans les rues et que, d'un geste de la main, il ordonnait la destruction de pâtés de maisons entiers dans le cadre de son programme de "systématisation", son euphémisme pour "démolition".»

En lieu et place, le président a fait construire sa rocambolesque Maison du peuple, rebaptisée le Palais du parlement. Deuxième bâtiment au monde après le Pentagone pour la grandeur, il compte plus de 1000 pièces, dont une salle de bal où Nadia Comaneci fut honorée 20 ans après son exploit olympique à Montréal.

Si Ceausescu n'a pas eu le loisir de haranguer les foules du haut de son balcon (il a été fusillé avant l'achèvement du bâtiment), Michael Jackson, lui, y a salué ses admirateurs d'un «Hello Budapest!» bien senti... Oups!

Dans un pays où 80 % des habitants étaient mécontents de leur qualité de vie en 2010 et où 50 % d'entre eux seraient nostalgiques de l'époque communiste, le Palais fait partie d'un pèlerinage «rouge», au même titre que le nouveau circuit «Sur les traces de la famille Ceausescu», une initiative controversée de la ministre du Tourisme.

«Un mélange d'admiration et de haine envers le créateur de ce "Versailles": voilà ce que je ressens», confiait pour sa part la Roumaine Catalina Rusu, au terme de la visite.

Mais cette métropole de deux millions d'habitants, fondée en 1459, n'est pas que grisaille à la sauce soviétique.

«Ma ville me fait penser à une vieille aristocrate nostalgique qui ne serait pas pressée d'arriver au XXIe siècle!, dit la styliste de mode Cristina Chelaru. Et si elle n'est pas globalement belle, elle possède de très beaux vestiges historiques.»

Au centre-ville, le quartier piétonnier de Lipscani, qui a échappé de justesse à la «systématisation» du dictateur, est un petit bijou. Au Moyen-Âge, du temps où Vlad Tepes III dit l'Empaleur y avait sa cour, c'était le carrefour commercial le plus important de la principauté de Valachie. Aujourd'hui, l'arrondissement, sens dessus dessous, s'affaire à restaurer ses immeubles historiques.

Un immense caravansérail, Hanul lui Manuc, a retrouvé sa vocation d'auberge. Hanul cu Tei abrite désormais des antiquaires. Curtea Veche, ou Vieille Cour, site de la résidence princière, est valorisée en tant que musée d'archéologie. Caru' cu Bere, «un resto de style allemand conçu par un architecte polonais pour l'élite roumaine», dixit M. Rata, a conservé son formidable cachet XIXe siècle. Et le soir, c'est dans les bars du secteur qu'on fait la fête.

Ailleurs en ville, tant sur les grands boulevards, tels Calea Victoriei et Margheru, que dans le quartier Icoana, c'est l'extraordinaire éclectisme architectural qui nous ravit. Styles baroque, brâncoveanu, Belle Époque, Bauhaus, Art déco, néogothique, néoclassique, néobéton... Quel monumental méli-mélo! Quelle poésie aussi: prenez ces «villas qui se disent bonjour» parce que construites à l'identique, en paires. C'est un patrimoine d'une valeur inouïe, en grand péril aussi, puisque plusieurs immeubles tombent malheureusement en ruine.

Tout un quartier, celui des juifs qui ont quitté la capitale à l'ère communiste, est d'ailleurs déserté. «Oui, c'est un problème, ces maisons abandonnées, dit M. Rata. Leurs propriétaires sont décédés ou ils ont fui le régime et on ne peut pas les retracer, ou encore ils peinent à récupérer leur bien, des membres de la nomenklatura se servant de leur influence pour les conserver.»

Bucarest, c'est également de grands parcs manucurés, des lacs, de belles églises orthodoxes, un imposant palais, Mogosoaia, dans sa proche périphérie, des cafés tapis au coeur de jardins et des boîtes de jazz cachées dans des fonds de cour. C'est une culture d'avant-garde (l'été dernier, une pièce de théâtre était présentée dans un autobus et intégrait ses comédiens au fil des arrêts!), des musées et de l'art public.

Place de la Révolution, un monument audacieux, la «patate empalée» comme l'ont surnommé les Bucarestois, commémore le soulèvement populaire ayant mené à l'exécution du couple Ceausescu. Le 22 décembre 1989, des manifestants, appuyés par le peuple, faisaient enfin mentir le dicton selon lequel «la polenta n'explose pas», une allusion au plat national et au soi-disant fatalisme des Roumains.

Non, Bucarest n'est pas Vienne, encore moins Prague, et ne sera jamais, jamais Barcelone. C'est tout vu. Mais ce qu'elle donne à voir mérite amplement d'être admiré.

En vrac

*Y aller avec Air France et son partenaire de la SkyTeam, Tarom. airfrance.com.

*Se loger au Golden Tulip Victoria, situé sur le chic Calea Victoriei et à distance de marche de Lipscani. goldentulipbucharest.com.

*Se restaurer dans un des restos sympas de la chaîne La Mama, histoire de goûter aux spécialités locales, comme les sarmales (des feuilles de vigne farcies d'un hachis de viande), accompagnées de mamaliga (semoule de maïs, fromage et crème aigre). lamama.ro.

*Retrouver Ionesco et Cioran chez Carturesti, une superbe librairie installée dans l'ancienne résidence d'un premier ministre. Derrière, un jardin abrite le café Gradina Verona (Str Pictor Verona 13).

*Aller au concert à l'Athénée roumain, une splendeur et le home de l'orchestre philharmonique George Enescu. fge.org.ro.

*Musarder au musée en plein air du Village, au parc Herastrau, pour ses habitations traditionnelles en bois, et à celui du Paysan roumain pour ses collections d'icônes orthodoxes, de textiles et de céramiques. muzeultaranuluiroman.ro.

*S'en réjouir... «Merci», «à propos», «vis-à-vis» et d'autres locutions françaises sont couramment utilisées par les Roumains, francophiles. Cela s'explique par l'origine latine du français comme du roumain, et du fait que les élites du pays ont fait instruire leur progéniture en France de la seconde moitié du XIXe siècle à la Première Guerre mondiale.

*À voir ou à revoir, deux films: 12:08 à l'est de Bucarest de Corneliu Porumboiu, qui aborde la révolution par l'absurde, et 4 mois, 3 semaines, 2 jours de Cristian Mungiu, un puissant témoignage de résistance à l'oppression du régime communiste.

*S'informer à romaniatourism.com, tuktuk.ca.

*Carolyne Parent s'est rendue en Roumanie avec la collaboration d'Air France et de l'Office de tourisme de la Roumanie.

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