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Sur les traces du prince Dracula
Le mythe du vampire peut servir de fil rouge à la découverte de la Roumanie profonde.
Sur les traces du prince Dracula
Les Echos n° 18179 du 23 Juin 2000 • page D
«
J'ai lu que toutes les superstitions du monde se sont réunies dans la
ferrure des Carpates, comme si c'était là le coeur de quelque tourbillon
imaginaire. » Bram Stoker, auteur de l'immortel « Dracula », a écrit
depuis Londres le « chef-d'oeuvre de l'épouvante » qui allait le
conduire à la postérité. Mais s'il s'était rendu en Transylvanie sur les
traces du vrai comte, le conte aurait été tout autre... « La région
(...) était située à l'est du pays, à la frontière des trois Etats _
Transylvanie, Moldavie, Bukovine _ dans les Carpates. Une des parties
les moins connues, les plus sauvages... », écrit Stoker dès les
premières pages de son « Dracula ». Best-seller dès sa parution, en
1897, l'ouvrage de cet Irlandais directeur d'un théâtre à Londres est
devenu un mythe quasi universel. Plus de 150 films, effrayants ou
parodiques, ont été adaptés du livre par Tod Browning, Coppola, Werner
Herzog, Roman Polanski ou encore Andy Warhol. Faut-il le rappeler ?
Stoker s'est inspiré des légendes autour de la vie du voïvode Vlad
Tepes, dit Vlad l'Empaleur, qui hérita en 1456 du trône de Valachie, de
l'emblème du dragon et du surnom donné à son père, Dracula. En vieux
roumain, « dracul », le Drac, signifie à la fois dragon et diable.
Comment le fier défenseur de son pays contre les Ottomans, au visage
triangulaire et aux moustaches à l'horizontale, est-il devenu
l'incarnation du vampire sanguinaire ? Les exégètes voient dans sa vie
tourmentée, sa cruauté raffinée contre ses ennemis et sa mort violente,
décapité, les prémices de sa légende. Ajoutez à cela les frayeurs
tenaces de l'imaginaire populaire, mêlant fantastique et mysticisme, et
l'habitude prise par les paysans de planter une croix de pierre devant
les grottes pour ne pas laisser les mauvais esprits en sortir... Pour
certains, il existe un lien entre le mythe de Vlad et saint Georges
terrassant le dragon, thème le plus présent des monastères peints, qui,
dans la région de la Bucovine, au nord, font _ à juste titre _ la fierté
des Roumains. De vampirisme, point. Mais l'interprétation littérale
d'une métaphore d'un quatrain satirique de l'époque « Vlad boit du sang
», symbole des taxes prélevées sur ses sujets, fit de Vlad l'archétype
du vampire. Fondateur de la capitale On sait peu de choses de Vlad
l'Empaleur. Pour les Roumains, il reste celui qui déplaça la capitale de
la Valachie à Bucarest en plaine, point de passage stratégique pour les
invasions ottomanes. Du noyau médiéval de la cité fondée au bord de la
rivière Dimbovita, il reste peu de traces, hormis un enchevêtrement de
rues portant des noms de corporations. Seuls quelques vestiges du palais
voïvodal, le Curtea Veche, auraient été effectivement érigés par Vlad.
Bucarest affiche aujourd'hui une allure des plus éclectiques, reflet de
son histoire confuse. Des bâtiments néoclassiques lui donnent un faux
air de Petit Paris, son surnom. Mais Bucarest alterne aussi grands
boulevards aux façades grises entre lesquelles se cachent de ravissantes
petites églises orthodoxes, et ruelles tortueuses presque orientales
bordées de maisons basses et de nombreux espaces verts et parcs.
Paradoxalement, les projets démentiels de Ceausescu, sa pompeuse avenue
de la Victoire-du-Socialisme (rebaptisée de l'Union) et son pharaonique
palais du Peuple (devenu palais du Parlement), encore inachevé, ne
déparent pas cette ville animée aux allures hétéroclites, où l'on
passerait volontiers le week-end. Mais Vlad nous attend. Les premières
traces de l'Empaleur se trouvent au nord de la capitale roumaine. Au
coeur d'une forêt de chênes et de hêtres, une petite île du lac de
Snagov abrite un monastère. Sous une dalle de l'église de briques rouges
reposerait Vlad Tepes, mais rien n'est moins sûr... Il faut alors
partir à l'assaut des « montagnes hautes et impénétrables » des Carpates
méridionales, pour atteindre le « cadre inquiétant » où se rend le
héros de Bram Stoker. Sous le chaud soleil du printemps, les paysans
rentrent des champs sur leur carriole tirée par un cheval, formant un
tableau agraire que l'on croyait disparu d'Europe depuis longtemps. La
verte campagne, les premiers foins coupés et regroupés en bottes
coniques, les cabanes de bois et les maisons aux allures de folies du
bassin d'Arcachon, coiffées de brique rouge, composent un paysage
bucolique. Le vieux centre médiéval de Brasov, sorte de petite Prague,
et ses maisons peintes n'évoque rien du temps où le voïvode alignait en
masse ses victimes sur les collines environnantes. Sur l'une d'elles, le
château de Bran, souvent présenté comme celui de Dracula, correspond à
la description de Stoker, cette « forme dressée au sommet d'un piton »,
qui « comprend des galeries obscures et des cours cloîtrées qui
communiquent selon une topographie déroutante ». Mais les faits sont là.
Le château de Bran n'a jamais appartenu au voïvode, tout juste fut-il
l'hôte du roi Corvin le temps d'une ou deux nuits. Alors continuons sur
le plateau de Transylvanie... Au coeur du roman Sighisoara, où naquit le
futur Dracula vers 1431, est surtout la cité féodale la mieux conservée
de Transylvanie. Un musée va bientôt prendre place dans sa maison
natale, une solide bâtisse à la façade ocre. Dépassons les villages aux
maisons basses, à l'architecture simple mais comme brodées de peintures
et de sculptures, traversons les paysages vallonnés couverts de
cultures, irrigués de multiples cours d'eau, pour arriver au coeur du
roman. A Bistrita, (Bistritz), l'hôtel « la couronne d'or » peut encore
servir le même repas qu'à Jonathan Harker, le clerc de solicitor héros
de Stoker. Du paprika Hendl, poulet au poivre rouge. On y trouve plus
sûrement, comme dans tous les restaurants du pays, la ciorba, la soupe
et surtout la mamaliza, polenta cuite avec un oeuf et du fromage, et
pour le dessert, du papanasi, beignet fourré de confiture de rose, le
tout accompagné de bon vins comme le grasa de Cotnari, ou un murfatlar.
Destination, le Pas Birgau, col de Borgo du roman. Pour y aller, nul
besoin de se munir de pieu, d'ail et d'hosties consacrées. Sur les
ruines du château détruit depuis longtemps, un hôtel a été construit
voici une vingtaine d'années. Visible au loin, le « castel Dracula » a
plus une allure de sanatorium que d'un édifice médiéval. A l'intérieur,
un distributeur de Coca-Cola orne l'entrée, tandis que les chambres
reprennent en frise un motif de dragon. Ce soir, après un apéritif
d'alcool de prune teinté de rouge, où on trinque à la roumaine, « noroc »
(« bonne chance »), le dîner sera interrompu par le réveil d'un Dracula
au masque de plastique, bondissant de son cercueil de la crypte. Après
cet intermède, on rôtit un « steak de brigand » (boeuf et paprika) au
bout d'un bâton sur un feu allumé dans la nuit, en buvant un gobelet de
vin parfumé _ pardon ! de sang encore tiède. Mais même si le dîner est
fameux, il faut une bonne dose de second degré pour se croire au coeur
de l'épouvante... Toutes les informations pratiques sur ce pays sont sur
lesechos.fr.
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