jeudi 1 mars 2012

LES ARCHIVES DE DRACULA DANS "LES ECHOS"

Archives Sur les traces du prince Dracula



 
 
 
Le mythe du vampire peut servir de fil rouge à la découverte de la Roumanie profonde.

Sur les traces du prince Dracula

Les Echos n° 18179 du 23 Juin 2000 • page D

« J'ai lu que toutes les superstitions du monde se sont réunies dans la ferrure des Carpates, comme si c'était là le coeur de quelque tourbillon imaginaire. » Bram Stoker, auteur de l'immortel « Dracula », a écrit depuis Londres le « chef-d'oeuvre de l'épouvante » qui allait le conduire à la postérité. Mais s'il s'était rendu en Transylvanie sur les traces du vrai comte, le conte aurait été tout autre... « La région (...) était située à l'est du pays, à la frontière des trois Etats _ Transylvanie, Moldavie, Bukovine _ dans les Carpates. Une des parties les moins connues, les plus sauvages... », écrit Stoker dès les premières pages de son « Dracula ». Best-seller dès sa parution, en 1897, l'ouvrage de cet Irlandais directeur d'un théâtre à Londres est devenu un mythe quasi universel. Plus de 150 films, effrayants ou parodiques, ont été adaptés du livre par Tod Browning, Coppola, Werner Herzog, Roman Polanski ou encore Andy Warhol. Faut-il le rappeler ? Stoker s'est inspiré des légendes autour de la vie du voïvode Vlad Tepes, dit Vlad l'Empaleur, qui hérita en 1456 du trône de Valachie, de l'emblème du dragon et du surnom donné à son père, Dracula. En vieux roumain, « dracul », le Drac, signifie à la fois dragon et diable. Comment le fier défenseur de son pays contre les Ottomans, au visage triangulaire et aux moustaches à l'horizontale, est-il devenu l'incarnation du vampire sanguinaire ? Les exégètes voient dans sa vie tourmentée, sa cruauté raffinée contre ses ennemis et sa mort violente, décapité, les prémices de sa légende. Ajoutez à cela les frayeurs tenaces de l'imaginaire populaire, mêlant fantastique et mysticisme, et l'habitude prise par les paysans de planter une croix de pierre devant les grottes pour ne pas laisser les mauvais esprits en sortir... Pour certains, il existe un lien entre le mythe de Vlad et saint Georges terrassant le dragon, thème le plus présent des monastères peints, qui, dans la région de la Bucovine, au nord, font _ à juste titre _ la fierté des Roumains. De vampirisme, point. Mais l'interprétation littérale d'une métaphore d'un quatrain satirique de l'époque « Vlad boit du sang », symbole des taxes prélevées sur ses sujets, fit de Vlad l'archétype du vampire. Fondateur de la capitale On sait peu de choses de Vlad l'Empaleur. Pour les Roumains, il reste celui qui déplaça la capitale de la Valachie à Bucarest en plaine, point de passage stratégique pour les invasions ottomanes. Du noyau médiéval de la cité fondée au bord de la rivière Dimbovita, il reste peu de traces, hormis un enchevêtrement de rues portant des noms de corporations. Seuls quelques vestiges du palais voïvodal, le Curtea Veche, auraient été effectivement érigés par Vlad. Bucarest affiche aujourd'hui une allure des plus éclectiques, reflet de son histoire confuse. Des bâtiments néoclassiques lui donnent un faux air de Petit Paris, son surnom. Mais Bucarest alterne aussi grands boulevards aux façades grises entre lesquelles se cachent de ravissantes petites églises orthodoxes, et ruelles tortueuses presque orientales bordées de maisons basses et de nombreux espaces verts et parcs. Paradoxalement, les projets démentiels de Ceausescu, sa pompeuse avenue de la Victoire-du-Socialisme (rebaptisée de l'Union) et son pharaonique palais du Peuple (devenu palais du Parlement), encore inachevé, ne déparent pas cette ville animée aux allures hétéroclites, où l'on passerait volontiers le week-end. Mais Vlad nous attend. Les premières traces de l'Empaleur se trouvent au nord de la capitale roumaine. Au coeur d'une forêt de chênes et de hêtres, une petite île du lac de Snagov abrite un monastère. Sous une dalle de l'église de briques rouges reposerait Vlad Tepes, mais rien n'est moins sûr... Il faut alors partir à l'assaut des « montagnes hautes et impénétrables » des Carpates méridionales, pour atteindre le « cadre inquiétant » où se rend le héros de Bram Stoker. Sous le chaud soleil du printemps, les paysans rentrent des champs sur leur carriole tirée par un cheval, formant un tableau agraire que l'on croyait disparu d'Europe depuis longtemps. La verte campagne, les premiers foins coupés et regroupés en bottes coniques, les cabanes de bois et les maisons aux allures de folies du bassin d'Arcachon, coiffées de brique rouge, composent un paysage bucolique. Le vieux centre médiéval de Brasov, sorte de petite Prague, et ses maisons peintes n'évoque rien du temps où le voïvode alignait en masse ses victimes sur les collines environnantes. Sur l'une d'elles, le château de Bran, souvent présenté comme celui de Dracula, correspond à la description de Stoker, cette « forme dressée au sommet d'un piton », qui « comprend des galeries obscures et des cours cloîtrées qui communiquent selon une topographie déroutante ». Mais les faits sont là. Le château de Bran n'a jamais appartenu au voïvode, tout juste fut-il l'hôte du roi Corvin le temps d'une ou deux nuits. Alors continuons sur le plateau de Transylvanie... Au coeur du roman Sighisoara, où naquit le futur Dracula vers 1431, est surtout la cité féodale la mieux conservée de Transylvanie. Un musée va bientôt prendre place dans sa maison natale, une solide bâtisse à la façade ocre. Dépassons les villages aux maisons basses, à l'architecture simple mais comme brodées de peintures et de sculptures, traversons les paysages vallonnés couverts de cultures, irrigués de multiples cours d'eau, pour arriver au coeur du roman. A Bistrita, (Bistritz), l'hôtel « la couronne d'or » peut encore servir le même repas qu'à Jonathan Harker, le clerc de solicitor héros de Stoker. Du paprika Hendl, poulet au poivre rouge. On y trouve plus sûrement, comme dans tous les restaurants du pays, la ciorba, la soupe et surtout la mamaliza, polenta cuite avec un oeuf et du fromage, et pour le dessert, du papanasi, beignet fourré de confiture de rose, le tout accompagné de bon vins comme le grasa de Cotnari, ou un murfatlar. Destination, le Pas Birgau, col de Borgo du roman. Pour y aller, nul besoin de se munir de pieu, d'ail et d'hosties consacrées. Sur les ruines du château détruit depuis longtemps, un hôtel a été construit voici une vingtaine d'années. Visible au loin, le « castel Dracula » a plus une allure de sanatorium que d'un édifice médiéval. A l'intérieur, un distributeur de Coca-Cola orne l'entrée, tandis que les chambres reprennent en frise un motif de dragon. Ce soir, après un apéritif d'alcool de prune teinté de rouge, où on trinque à la roumaine, « noroc » (« bonne chance »), le dîner sera interrompu par le réveil d'un Dracula au masque de plastique, bondissant de son cercueil de la crypte. Après cet intermède, on rôtit un « steak de brigand » (boeuf et paprika) au bout d'un bâton sur un feu allumé dans la nuit, en buvant un gobelet de vin parfumé _ pardon ! de sang encore tiède. Mais même si le dîner est fameux, il faut une bonne dose de second degré pour se croire au coeur de l'épouvante... Toutes les informations pratiques sur ce pays sont sur lesechos.fr.

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