Les rivières de Londres de Ben Aaronovitch
Il
me semble que les Anglais comptent, depuis quelques temps, certains des
écrivains d’ "urban fantasy" les plus originaux et les plus
talentueux : Ben Aaronovitch, nouveau venu qui signe là son premier
roman, en est un excellent exemple avec "Les rivières de Londres" (Nouveaux Millénaires).
Foin du Londres victorien
traditionnel, nous sommes dans le Londres contemporain, moderne et
cosmopolite où un jeune Londonien moyen - anglo-africain, buveur de
bière et amateur de musique - arrive au bout de ses deux années de
policier stagiaire et va obtenir son affectation définitive. La vie
étant ainsi faite, il va, la veille de ce jour décisif, alors qu’il est
en faction sur une place près d’une église, scène de crime, recueillir
le témoignage de première main d’un témoin oculaire du crime. Ce serait
parfait si il ne s’agissait d’un fantôme ! Cela pose évidemment
problème, mais est-ce vraiment le cas ? Roger, le jeune policier, va se
retrouver affecté à la Répression des Fraudes, service fourre-tout où il
est rattaché à l’inspecteur Nightingale qui constitue un service, et un
service puissant, à lui tout seul. Pourquoi ? Parce que, suite à un
"accord", il sert à assurer le lien et la police avec toutes les
créatures surnaturelles du royaume : en effet, comme il le rappelle, la
justice de la Reine s’étend à tous ses sujets, et ce quelle que soit
leur nature. Roger et Nightingale vont ensemble enquêter sur une série
de meurtres particulièrement horribles : ce brave garçon apprendra ainsi
la police sur le terrain tout en devenant l’apprenti de Nightingale.
Cette enquête lui fera découvrir les esprits de la nature qui incarnent
les rivières alimentant la Tamise, fleuve lui-même divisé entre le père
Tamise, le Vieil Homme du Fleuve, et mama Tamise, de manière surprenante
une matrone nigériane (!) et ses nombreuses filles : les deux esprits
tutélaires s’affrontent pour le contrôle de Londres et ce sera à Roger
de faire régner l’ordre et d’éviter l’affrontement ouvert. Assisté par
la jeune policière Lesley - de surcroit fort attirante -,
l’énigmatique, inquiétante et muette Molly - cordon bleu de la cuisine
anglaise la plus roborative - et du chien Tobby, Roger va progresser
humainement et magiquement, menant avec talent enquête et expériences,
entouré de policiers d’autant plus sympathiques qu’ils passent leur vie
au pub. Vous l’avez compris, le roman est rempli de remarques aussi
acérées que bon enfant sur la vie actuelle à Londres, sa police et ses
habitants, le tout formant un portrait manifestement rempli d’affection,
l’auteur aime sa ville.
Le roman est superbe. Ben Aaronovitch
a su avec beaucoup de talent intégrer tous les éléments de notre vie
moderne à la magie la plus traditionnelle. Cela donne un résultat d’une
grande finesse car à travers Nightingale et Roger, ce sont deux
conceptions du monde qui s’opposent : celle du magicien traditionnel et
celle du magicien moderne qui veut comprendre, de manière scientifique
et rationnelle, pourquoi, par exemple, la puce en silicium se décompose
en sable lors de l’usage d’un sort si la batterie est branchée... Cette
dualité fondamentale du monde se retrouve de même à travers les deux
incarnations de la Tamise, l’ordre patriarcal traditionnel d’une
certaine ruralité anglaise et blanche centrée autour de la source du
fleuve et la matriarchie à l’africaine, symbole d’égalité entre hommes
et femmes, représentant la Tamise londonienne, multiculturelle et
ouverte sur le monde ; encore plus finement, nous la retrouvons dans
l’opposition entre l’ordre représenté par Roger et l’esprit de
contestation et de révolte populaire du célèbre Mr Punch. En même temps
il s’agit, dans chaque cas, de montrer la difficulté à évoluer tout en
maintenant un cadre traditionnel.
Mais je ne vous en dirais pas plus :
si vous voulez avoir la réponse à des questions aussi fondamentales que
pourquoi un troll change-t-il de pont ou pourquoi faut-il porter des
lunettes de protection lorsque l’on fait léviter une pomme ? Lisez ce
roman plein d’humour et d’intelligence.
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