"Zombie apocalypse" ? Ces morts vivants qui nous obsèdent...
Selon certains internautes, le
début de l'invasion des zombis a commencé ! Mais que signifie la
propagation de telles rumeurs sur notre psyché collective ?
Glurp : ATLANTICO
Un
cannibale à Miami, un autre en Chine, trois femmes dévorées au
Brésil... La confusion semble totale sur le net si bien que certains
internautes évoquent l'imminence d'une « Zombie Apocalypse ». Crédit Reuters
Atlantico : Un cannibale à Miami, un autre en Chine, trois femmes dévorées au Brésil, un homme agressé à Seattle qui déclare avoir été attaqué par un groupe de lutins malfaisants… La confusion semble totale sur le net si bien que certains internautes évoquent l'imminence d'une « Zombie Apocalypse ». Que signifient de tels propos sur notre société ?
Aurélien Lémant : De quel film fantastique cet énoncé n'est-il pas le scénario ? C'est extraordinaire d'éprouver jusqu'à quel point, à
force de poser toute actualité comme le rebondissement spectaculaire
d'une saga, les diffuseurs d'information sont parvenus à littéralement
transformer cette actualité en film. Je dis « diffuseurs d'information », parce que le mot médium/média ne veut rien dire. Nous vivons à présent dans un long-métrage.
Non que ce nous percevons soit faux : c'est notre perception elle-même
qui est devenue celle d'un spectateur et/ou d'un critique de cinéma,
projeté dans un environnement narratif au sein duquel la fiction n'est
plus extrapolation de la vie, puisque c'est au contraire la vie qui
semble la réalité augmentée d'une œuvre d'Art.
Quant
à la fin du monde, imaginaires cinématographiques et romanesques à
l'appui, elle prendra autant de visages qu'il y a d'êtres vivants. Le
cannibalisme n'est que l'un de ces visages. Ce qui peut
réjouir, c'est la constance avec laquelle les divers millénarismes
réussissent à parcourir la distance qui sépare le réel de nos angoisses
ou de nos espérances, en s'accaparant les mythes populaires, mais aussi
les grandes œuvres de genre, puis en les superposant avec succès aux
événements relayés par les diffuseurs d'information. Ajoutons à cela que
tout être humain est aujourd'hui virtuellement l'un de ces diffuseurs,
et la rumeur devient alors vérité potentielle. Au final, le monde
poursuit sa course, bâtie à coups de légendes et de suppositions. C'est
le nombre de conteurs qui a exponentiellement évolué. Autrefois, ce
rôle n'était dévolu qu'à une minorité. Aujourd'hui, nous sommes tous des
dramaturges.
Votre question en appelle bien sûr une autre : qu'est-ce qui nous distingue encore du mort-vivant ?
Si les scénaristes et les écrivains emploient tant d'énergie à inventer
des récits d'extinction de l'humanité, c'est pour en retour leur
opposer des solutions, des traverses, des alternatives. Le zombi ne
cherche pas à guérir. Le vivant, en revanche, appelle sa perpétuation
par tous les moyens. L'Homme, artisan de sa propre chute, sera aussi
instrument de son propre salut, ce que Jurassic Park et les Pyjamasques à
sa suite résument par : « La vie trouve toujours un chemin ». Un
artiste est quelqu'un qui propose une nouvelle bifurcation au vivant. La
solution à l'Apocalypse tant annoncée attend peut-être, imprimée, dans
une vignette de bande dessinée de la fin du siècle précédent, allez
savoir.
Que révèlent ces rumeurs de zombie sur la psyché collective ?
Psyché, ou psychose ? Cela vérifie une chose : c'est que nous sommes oublieux de ce que nous sommes. L'acte d'anthropophagie a toujours existé en
tant que tabou parce qu'il a toujours existé en tant que coutume, qu'il
s'agisse des déviances d'un sujet isolé ou des rituels d'une tribu,
d'une secte comme d'une armée. Se nourrir, s'accaparer les forces de
l'adversaire, en amour comme à la guerre, sont une base constituante de nos traditions érotiques et culinaires.
Mais
il ne faut pas confondre zombification et cannibalisme, les deux
s'étant surtout liés dans la fantasmatique occidentale à travers la
représentation hollywoodienne, puis pseudo-underground, du mort-vivant
affamé de cervelle humaine. Dans le rite Vaudou dont il est originaire,
le zombi est avant tout un serviteur, un défunt ressuscité et exhumé
temporairement par le prêtre ougan à l'issue d'invocations – non
exemptes il est vrai de dimensions sexuelles et sacrificielles, puisque
l'on parle alors de « nécrophilie astrale ».
La figure du zombi, parce qu'elle est attachée à celle de l'esclave, et donc d'un maître caché possiblement malfaisant, devient un vecteur, cumule puis cristallise plusieurs frayeurs qui dépassent les seuls cadres offerts par la monstruosité cinématographique ou la transgression : phobie de la maladie (si le vampire peut symboliquement être associé aux infections vénériennes, visuellement le zombi est volontiers assimilé au cancer ou à la lèpre), phobie de la mutation génétique, phobie de l'accident nucléaire (catalyseur récurrent des peurs liées aux dites mutations), phobie d'une invasion étrangère ou extraterrestre, phobie du mind-control,
cette forme scientifique et politique de la possession, subie par
l'ingestion involontaire de drogue ou d'aliments, la respiration de gaz
inodores et incolores, ou l'exposition à des ondes, telles qu'émissions
télévisuelles ou radiophoniques néfastes. On le comprend, le zombi a de
l'avenir, parce qu'il est la manifestation anthropomorphe la plus floue et la plus adaptable de la peur de la mort.
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