mercredi 23 novembre 2016

LES CHRONIQUES D'EL'BIB : KADATH, LE GUIDE DE LA CITÉ INCONNUE





J’ai ouvert Kadath, le Guide de la Cité Inconnue (David Camus, Mélanie Fazi, Laurent Poujois, Raphaël Granier de Cassagnac, illustrations de Nicolas Fructus, Mnémos 2010) avec gourmandise, car l’objet est superbement illustré. Mais j’ai vite déchanté, pour deux raisons principales :
° la typographie est catastrophique, et utiliser des polices de caractère gris foncé sur un fond gris clair rend la lecture à la limite du possible et à tout le moins s’apparente à de la torture !
° il n’est pas indiqué que c’est un « supplément jeu de rôle », mais tout est fait pour entretenir la confusion. Nombreux sont les « encarts » explicatifs en marge sur les lieux, les temples, les coutumes et même les moyens de transport à Kadath ! De surcroît, un barème en forme d’icônes vous précisera l’importance des Mythes que vous allez rencontrer ainsi que le plus ou moins grand risque de folie dans laquelle vous êtes susceptible de sombrer. Cela rappelle évidemment le système de « points de santé mentale » du jeu L’Appel de Cthulhu.

Cela dit, et armé d’une puissante lampe de bureau à halogène, j’ai essayé de pénétrer dans le texte. Dans les textes, devrais-je dire, car le récit est formé de plusieurs contributions qui s’intercalent défiant souvent la logique la plus élémentaire. Il faut donc, pour se faire une idée, extraire en premier le morceau de « choix » qui n’est autre qu’un inédit de Randolph Carter, Ce que les Dieux doivent aux hommes. Manifestement un hoax créé pour les besoins de la cause et qui, par rapport à l’œuvre originale du Maître de Providence, inverse les rôles. Randolph met en scène en effet Lovecraft himself qui, une fois de plus, va reprendre sa quête. Un récit sans grande surprise dans lequel « le héros » va encore chercher à gravir la montagne pour atteindre le château des Dieux. Il sera distrait de son objectif par la fille de la sorcière Goody Fowler, institutrice pour petites filles décédées. Mais elle trouvera les potions nécessaires pour soigner Lovecraft, fort mal en point. Cela ne l’empêchera pourtant pas de décéder, car nous allons arriver au 15 mars 1937 ! Lovecraft se retrouvera dans un jardin, avec son grand père et ses tantes, prêt à reprendre ses pérégrinations à la recherche des Dieux. Ah, j’oublie de signaler que lors de son périple, Lovecraft avait un appareil photo et le livre reproduit, entre autres, celle de la maison de la sorcière !

Après une petite pause, nouvelle extraction. Il s’agit cette fois du Kitab du Saigneur (pourquoi saigneur avec un A ?) qui n’est rien d’autre que le récit de la seconde vie d’Abdul Alhazred (ici Abd al-Azrad)). Sa fuite en 738 était devenue nécessaire, en raison du développement de l’Islam et de la croyance en un Dieu unique, doctrine incompatible avec sa théologie des Grands Anciens. Il se réfugie dans la Cité Murmurante (Irem ?) avec son Necronomicon (ici le Kitab Al Azif) et part à la recherche de sa défunte bien aimée Aicha. Mais, malgré une tentative de suicide, il revient à la vie et se retrouve en compagnie d’un hyperboréen (le Chuchoteur) sur la peau duquel il va continuer à écrire son manuscrit maudit. Suit alors toute une quête visant à pénétrer dans le Château d’Onyx des Dieux de Kadath afin de chasser les anciennes divinités et d’instaurer le culte des Grands Anciens qui ne sont guère en odeur de sainteté dans les Contrées du Rêve ! Il devient même « Le Seigneur du Lazaret » pour son aide à tous les « éclopés » de Kadath qu’il appelle à la révolte. Au détour d’une boucle temporelle, l’Arabe Dément rencontrera en 1896, un autre rêveur, le petit Lovecraft qui, passionné par Les contes de Mille et une Nuits, lui demande de lui raconter de belles histoires orientales…

Encore un découpage et nous arrivons au Témoignage de l’Innomé. Un récit curieux qui est en quelque sorte celui du « chef de projet » de l’ouvrage. Il rencontre dans les Contrées du Rêve Auguste Philistin, un dessinateur de grand talent qui dans le monde réel n’est autre que Nicolas Fructus. Il visite le bureau d’Abdul Alhazed et une petite église où il croise un jeune homme ensanglanté et en pleurs, certainement le Christ. Il se met également en quête du roi Kuranès, un rêveur établi dans les Contrées dans un sympathique cottage anglais, dont on nous laisse entendre qu’il pourrait s’agir de Lord Dunsany. Mais le plus drôle est la visite de l’éminence (comprendre le quartier) où Lovecraft s’est établi. Il y a une voiture (une Studbaker), une gare avec un train qui ne mène nulle part, une imprimerie, The Conservative, qui tire le journal local dont les pages sont blanches. Quant au cimetière, il abrite les tombes de toute la famille Carter, y compris un certain Pickman Carter né en 2118. Lovecraft, pour sa part, observe les étoiles en haut d’une tour….

Après avoir changé l’ampoule de ma lampe, j’attaque le dernier morceau, L’Évangile selon Aliènor qui est pour moi la bonne surprise du recueil. Mélanie Fazi apporte une petite touche de féminité dans cet univers où les femmes brillent par leur absence et nous conte, sous une plume élégante, l’histoire d’Aliénor de Villebon (1124-1145), religieuse qui sera retrouvée morte un matin, le visage extatique et le corps vidé de ses fluides. Serait-elle morte d’avoir contemplé le Visage de Dieu ? Aliénor est en fait partie pour les Contées de Rêve où elle va aimer un bel et mystérieux personnage dont elle se retrouvera enceinte. Une grossesse qui lui vaudra le respect de tous les prêtres de Kadath qui semblent attendre…. En effet, les Dieux disparaissent et on visitera en sa compagnie l’étonnant cimetière des Dieux Morts. Elle ira se recueillir devant la tête sculptée du mont Ngranek puis, comme tous ceux qui viennent du monde de l’éveil, fera édifier sa propre éminence, avec un temple magnifique et gigantesque pour accueillir Celui qui Doit Venir. Elle reconnaîtra sur le visage de son fils, après son accouchement, les traits de son amant divin. 




Soulignons pour terminer un encart intéressant, certainement dû à David Camus, nous explicitant la théologie de Lovecraft :
° Les Très Hauts sont les Dieux de la Terre. Ils ont oublié leurs noms et ne comptent pratiquement plus d’adeptes. On rencontre même un Dieu clochard qui pleure parce que ses disciples l’ont abandonné.
° Ils sont protégés des humains par les Autres Dieux. Nyarlathotep est leur messager et leur gardien dans le château d’onyx. On les appelle encore les Dieux de l’Extérieur ou les Dieux Ultimes.  Azathoth est au sommet de leur Panthéon.
° Les Grands Anciens sont plutôt des extraterrestres que de Dieux. Avec Cthulhu, ils cherchent à s’implanter dans les Contrées du Rêve. On y croise aussi Tsathogga, Shub-Niggurath et Hastur.
° Les Très Anciens, ou « Elder Ones », qui sont les plus puissants. On y trouve Nodens et Urm at-Tawil.

Je ne sais pas très bien, dans ce panthéon, où caser le fils d’Aliènor !

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