dimanche 12 mars 2023

LES CHRONIQUES D'EL BIB : LA FRATERNITÉ DES POLAIRES, Richard Raczynski

 


 

La Fraternité des Polaires, Richard Raczynski (Dualpha 2018). Je n’ai pas beaucoup de sympathie pour la ligne éditoriale de cette maison, mais je dois admettre qu’elle nous livre un travail sérieux et bien documenté sur un sujet controversé. L’étude tord le cou à toute une série de légendes glauques (cf 1931) et essaie d’analyser en profondeur ce qu’était cette mystérieuse fraternité. On trouve à l’origine deux occultistes italiens installés à Paris. Le premier, Mario Fille se verra remettre par un vieillard italien, le père Julian, à qui il avait rendu service un manuscrit supposé contenir un grand secret. Il n’y prêtera pas attention sur le champ, mais le montrera ultérieurement à son ami César Accomani, dit Zam Bothiva, qui découvrira qu’il contient une forme d’oracle assez sophistiquée, basée sur des transpositions de lettres en chiffres et vice versa. Cette méthode aurait été mise au point par des Sages installés en Agartha. Enthousiaste, Zam Bothiva rédige un livre sur le sujet (Asia Mystériosa et les Mystères de Polaires, Dorbon Ainé, 1930) et avec son partenaire s’investit dans une Fraternité capable d’établir le contact avec l’Agartha. Fidèle reflet des sociétés occultes de l’époque, elle baigne dans la philosophie martiniste et flirte avec la Théosophie. Son Bulletin navigue dans les eaux de la Tradition Primordiale, de la Terre creuse, du Roi caché et recourt au moyen de communication en vogue à l’époque, le spiritisme. Ses propos publics sont placés sous le signe de la bonté, de la lutte contre le mal et de la nécessaire transformation de l’homme par lui-même. Les menaces de guerre planent alors sur l’Europe, et à l’instar de Dion Fortune en son temps, la Fraternité déploie toute une mécanique de prières pour repousser l’Antéchrist. Elle attirera nombre de chercheurs en occulte et un noyau d’intellectuels comme Maurice Magre, l’auteur du Sang de Toulouse (Flasquelle, 1931). Ce dernier consacrera du reste, sous le pseudonyme de René Tilly, un chapitre sur les Polaires dans La Magie à Paris (Éditions de France, 1934). Sans avoir la preuve formelle qu’il eût appartenu au groupe[1], Conan Doyle est fortement sollicité par les adeptes au cours de séances de spiritisme fidèlement retranscrites dans les bulletins. Pas de scoop ici sur le père de Sherlock Holmes, mais un exposé très complet sur spiritualisme de l’époque.

La liaison entre les Polaires et le Graal est certainement plus le fruit d’initiatives individuelles que d’une démarche ésotérique structurée. On se souvient que le jeune Otto Rahn est venu à Paris pour se documenter sur l’Ariège et ses légendes dans la cadre d’une thèse sur La recherche du maitre Kyiot de Wolfram. Le hasard amènera l’étudiant allemand à rencontrer, à la closerie des Lilas, le poète et ésotériste occitan, Maurice Magre. Celui-ci lui conseillera vivement s’investiguer en Ariège où les cathares auraient laissé de nombreuses traces, voire de précieux artefacts. Là commence la queste de celui qui deviendra pour certains « Indiana Jones » ! Contact est pris avec Antonin Gadal, président du syndicat d’initiatives d’Ussat-les-Bains et avec la comtesse de Pujol-Murat, présidente de La Société du Souvenir et du Graal. Plusieurs groupes de Polaires se précipitent sur place, ce qui n’est pas sans défrayer la chronique locale. Ce qui vaudra à un journaliste (en mal de copie ?[2]), D. Lamothe, un article « à sensation » daté du 6 mars : Est-ce une nouvelle ruée vers l’or ? Sous la conduite d’un allemand, un groupe de Polaires se livrent à des fouilles dans la région de Massat. L’allemand en question serait un certain Rams (qui deviendra Rahu dans un second article). Ils seraient à la recherche de reliques cathares et surtout du fameux Évangile de Saint Bartélémy. Mr Gadal, président du Syndicat d’Initiative d’Ussat, proteste vivement contre ces affabulations tendant à accréditer la présence du trésor des Cathares dans la région. Otto Rahn participera lui-même à la polémique en publiant le 10 mars un article A propos des Polaires dans lequel il explique sa démarche, purement historique. La suite on la connaît. Otto Rahn s’enthousiasmera à un tel point au mystère cathare qu’il sera surpris en train de rajouter ses propres graffitis à ceux des Parfaits pour démontrer ses thèses. Il commettra Croisade contre le Graal (1933), ouvrage remarqué par Himmler qui lui commandera une suite accréditant la thèse de l’origine aryenne des Cathares, La Cour de Lucifer (1937). Il ne trouvera ni le Graal, ni le château de Montsalvage, mais sera « récompensé » par une admission au sein de la SS, groupe dont il démisionnera. On le retrouvera « suicidé » en 1939.

Quant au groupe des Polaires, et malgré ses prières régulières en faveur de la Paix, il ne pourra éviter le déclenchement de la seconde guerre mondiale et disparaîtra dans les brumes de Thulé !

 




[1] Conan Doyle n’est du reste pas répertorié dans l’excellent annuaire des membres de la Fraternité qui figure dans l’ouvrage de Raczynski.

[2] Cela me fait bien évidemment penser au « lancement de l’affaire de Rennes-le-Château » par des journalistes de L’Indépendant à Limoux !


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