lundi 4 janvier 2010

LOVECRAFT, LE ROMAN DE SA VIE


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Relire un grand classique (et bravo au traducteur !!!)

Lyon Sprague de Camp, H.P. Lovecraft, Le roman de sa vie, (Sprague de Camp, 1975)

Vers 1950, il [l’intérêt pour Lovecraft] était de venu le centre d’un culte d’admirateurs qui le portaient aux nues et qui prenaient toute critique à l’encontre du maître comme un affront personnel . C’est certainement ce qu’ont dû ressentir les lecteurs vingt-cinq ans plus tard, à la parution de cette biographie pour le moins curieuse. Toutes les biographies que nous avions lues jusqu’à celle-là traduisaient, sinon une admiration pour la vie qu’on tentait d’étudier, du moins un certain respect. Ici, rien de tout cela (seuls quelques propos réhabilitent l’écrivain en fin de volume, comme un vague agrément à la tendance du moment). SdC nous a prévenus : cette biographie n’est pas une hagiographie. Soit.
Mais lorsqu’on commet une biographie (même romancée), on se doit d’être extrêmement rigoureux dans ses assertions. Or, l’ouvrage fourmille de psychologie à deux euros, nullement étayés (aucune mention des sources qui autorisent ces affirmations gratuites). Exemples :

Susie [Phillips Lovecraft] laissait son fils manger tout ce qui lui plaisait. Ce qui eut pour résultat d’en faire un consommateur avide de sucreries et de glaces, aux dépens d’autres aliments meilleurs pour sa santé, et de provoquer chez lui une aversion durable pour les fruits de mer et certains légumes communs. Jusqu’à l’adolescence, nous avions les huîtres en horreur et aujourd’hui nous les adorons …
Pendant un temps, Susie [Phillips Lovecraft] parvint à le calmer en lui mettant sous les yeux des illustrations datant du XVIIIe siècle et montrant des hommes adultes aux longs cheveux et portant le même genre de culottes courtes que les siennes. Cela déclencha chez lui [HPL] une passion durable pour l’Ere baroque. Or, quelques pages plus loin, SdC cite HPL : [Je] … faisais mienne la lubie enfantine de pouvoir se transporter dans le passé ; j’entrepris donc de ne choisir que de très vieux volumes. […]. Avant même de m’en rendre compte, le XVIIIe siècle s’était emparé de moi . Il semble donc bien que sa mère n’y soit pas pour grand-chose …
Pour guérir le garçon de la peur du noir, [le grand-père] Phillips le promenait la nuit autour de la maison plongée dans l’obscurité. Le traitement se révéla si efficace que, durant tout le reste de sa vie, Lovecraft préféra vivre la nuit plutôt que le jour.
Réalisant que Howard Lovecraft était un enfant bizarre, Susie [Phillips Lovecraft] écourta son deuil. Les vêtements noirs semblaient en effet rendre le garçon nerveux. Autant d’affirmations gratuites qui mettent à mal la crédibilité de l’auteur.
Enfin, last but nos least, son avis sur le talent pictural d’HPL : Ses petits autoportraits, les dessins de vieilles maisons et de chats dont il décorait ses lettres, ainsi que les cartes et les dessins de son livre sur le Québec, révèlent tous un véritable talent d’artiste. Nous laissons à SdC la responsabilité de son jugement …

Autre affirmation en contradiction avec d’autres sources : C’est alors que Houdini fut subitement atteint d’un cancer dont il mourut le 31 octobre 1926. Affirmation là encore non étayée, dont l’authenticité est par là même sujette à caution, car le journal canadien Le Matin du 2.11.1926 relate ainsi le décès d’Houdini : « Une dizaine de jours auparavant, Houdini avait reçu d’un étudiant de l’Université de Megill (Toronto) des coups de poing dans l’estomac, et ce pour démontrer ‘sa musculature abdominale’ ». Par ailleurs, dans l’ouvrage Lovecraft, lettres choisies , on peut lire en note relative à la lettre d’HPL du 26 octobre 1926 à Frank Belknap Long : Houdini a été opéré à chaud d’une appendicite compliquée d’une péritonite, dans la nuit du 24 au 25 octobre, à l’issue du spectacle qu’il donnait à Detroit.
Dès lors, on peut logiquement pronostiquer que dans l’ouvrage de 700 pages de SdC, d’autres affirmations peuvent être mises en doute …

Mais les flèches ne sont pas décochées que contre l’écrivain. Il y a les jugements sans appel envers certaines œuvres :
Le Bateau blanc est loin d’être sa meilleure histoire.
De telles œuvrettes [Nyarlathotep, Ex Oblivione, Ce qu’apporte la lune] si elles restent plaisantes à lire, sont loin de constituer des sommets.
La Quête d’Iranon n’est qu’une fable sans envergure.
Nombre de lecteurs considèrent que Je suis d’ailleurs est à classer parmi les meilleurs textes de Lovecraft, avis que je ne partage pas.
La Tourbière hantée n’est qu’une médiocre tentative dans le domaine de l’horreur surnaturelle.
L’Indicible est un petit conte sans envergure.
Encore une fois, SdC est libre de penser ce qu’il veut, mais qu’a-t-il donc commis, lui, pour se permettre des critiques aussi virulentes ?

Passons aux sources et nous en aurons terminé avec les critiques. Elles sont nombreuses et constituent sans aucun doute l’attrait du livre, car on apprend ainsi beaucoup de choses. Mais là encore, la rigueur manque : de nombreux extraits de plusieurs lettres sont cités consécutivement dans le corps du texte et les notes mentionnent les destinataires des lettres mais on ne sait finalement pas à quel destinataire revient chaque extrait.
Par ailleurs, SdC cite le film Naissance d’une nation, sans aucune mention. Mais tout le monde n’a pas la science infuse. Il eût été bon de préciser que le film est américain et qu’il fut réalisé par David Griffith en 1915.

Nous retiendrons donc de tout cela que le principal mérite du livre est d’expliquer de façon relativement claire l’époque à laquelle HPL a vécu, ce qui permet de mieux comprendre ses réactions. Les tentatives d’expliquer la personnalité et le comportement lovecraftiens sont de même intéressants, même si on a parfois l’impression que c’est quelque peu tiré par les cheveux.
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