Roland Wagner, auteur de science-fiction cognaçais de 51 ans, n'a pas survécu à ses blessures.
Il est mort hier, vers 13 h 45, au bord de la RN 10, à hauteur de
Laruscade (Gironde), dans un accident de la circulation. Légèrement
blessées, sa compagne de 51 ans, qui conduisait, et leur fille de 18
ans, assise à l'arrière du véhicule, ont été conduites à l'hôpital de
Blaye.
Les gendarmes de la brigade de Saint-Savin ont été chargés de l'enquête
pour déterminer les circonstances du drame. Vitesse excessive ? Chaussée
rendue glissante par la pluie incessante ? Moment d'inattention ou
assoupissement après une prise de médicaments ?
Selon les premiers éléments dont disposent les enquêteurs, la
conductrice s'était légèrement et involontairement déportée sur la voie
de gauche quand elle se serait soudain aperçue qu'un autre véhicule
tentait de la dépasser.
Elle aurait alors donné un brusque coup de volant vers la droite. Des témoins confirment cette violente manœuvre d'évitement.
La voiture a alors quitté la route et a percuté, de son côté droit, une buse de fossé au sol.
Les pompiers de Montlieu-la-Garde et de Saint-Savin ont dû désincarcérer les victimes, prisonnières de la tôle.
Tué dans un accident de la route, Roland C. Wagner rallie la psychosphère
L'écrivain décédé dimanche, Cognaçais d'adoption, laisse une œuvre immense.
Roland C. Wagner avait rejoint à Cognac sa compagne, Sylvie Denis, il y a une douzaine d'années. (photo archives ph. m.)
Dans ses récits, on mourrait rarement. On muait, on mutait, on se
retrouvait catapulté dans la « psychosphère », un concept de son
invention où les pensées les plus inconscientes se transforment en une
réalité vertigineusement parallèle. À croire que la quatrième dimension
elle-même n'était pas à la mesure de l'imagination explosive de Roland
C. Wagner, musicien et écrivain établi à Cognac depuis une douzaine
d'années.
Ce dimanche, à un mois de son 52e anniversaire, Roland a
été rattrapé par la réalité la plus triviale, un funeste accident de la
route sur la Nationale 10 à hauteur de Lascurade (Gironde). Sa compagne
Sylvie Denis, ancienne prof d'anglais au lycée Jean-Monnet de Cognac,
également auteure et traductrice de science-fiction, a perdu le contrôle
du véhicule. La conductrice et la fille de Roland Wagner, âgée de 18
ans, ont été légèrement blessées. Lui a perdu la vie dans le choc. Un
point final cruellement brutal pour celui qui a dévoré ses passions, la
science-fiction, le punk, l'ambiance psychédélique des années 1970, avec
l'appétit d'un homme libre. L'art de surprendre À Cognac, Roland
cultivait la discrétion, même s'il ne dédaignait pas partager, lors
d'une conférence à la bibliothèque municipale ou d'une dédicace au Texte
libre, son inépuisable maîtrise d'un genre qu'il dévorait sous toutes
ses formes. « La science-fiction est la littérature qui parle le mieux
du présent. J'invente, j'extrapole à partir du présent », confiait-il à «
Sud Ouest » en 2002.
Avec sa dégaine de rockeur débonnaire, le
chanteur du groupe Brain Damage passait moins inaperçu que le détective
Temple Sacré de l'Aube radieuse, drôle de héros à l'œuvre dans « Les
Futurs Mystères de Paris ». Dans cette série, clin d'œil aux « Mystères
de Paris » d'Eugène Sue et au Nestor Burma de Léo Mallet, l'enquêteur
arbore une qualité singulière, il est « transparent ». Il est là, mais
personne ne le remarque, comme s'il n'existait pas… Pratique pour se
glisser dans l'antre des secrets, moins pour interagir sur les
événements. Ce personnage illustre bien l'univers de Roland C. Wagner :
des situations aussi invraisemblables qu'inextricables, qu'il dénouait
avec un style habile, un humour corrosif et un art de rebondir pour
surprendre le lecteur jusqu'à l'ultime paragraphe.
La «
psychosphère », qui revenait en toile de fond, tissait la cohérence de
son œuvre. Loin des clichés de la « S-F », « mauvais genre » traité à
toutes les sauces, c'est une jouissive réflexion sur l'humanité que
Roland C. Wagner a brodée au fil d'une production prolifique, dessinant
un univers digne des plus grands écrivains. Uchronie sur l'Algérie À
défaut de conquérir les têtes de gondole, l'écrivain a empilé les
reconnaissances. Le prix Rosny Aisné, décroché en 1988 pour « Le Serpent
d'angoisse », l'a propulsé au rang des auteurs qui comptent. Le Nouveau
Grand Prix de la science-fiction française, le prix européen Utopiales
des Pays de Loire, le prix ActuSF de l'Uchronie et le Grand Prix de
l'imaginaire ont couronné le magistral « Rêves de gloire » (2011), un
projet qu'il fomentait depuis une vingtaine d'années. Dans ce pavé de
700 pages, il revisite l'histoire de l'Algérie - où il a vu le jour le 6
septembre 1960, avant de rejoindre la France deux ans plus tard. Le
facétieux auteur imagine que De Gaulle a été tué dans un attentat en
1960, que Woodstock s'est déplacé à Biarritz et qu'une révolution
musicale agite Alger, restée française, quand le reste du pays est
devenu indépendant… Ce ne sont que quelques écheveaux d'un récit
complexe et exigeant, servi par de multiples narrateurs à des époques
différentes.
Porté par l'excellente réception critique et
publique de ce qui constitue son « grand œuvre », Roland C. Wagner
venait de publier chez l'Atalante, son fidèle éditeur nantais, une série
de nouvelles éclairant joliment son petit monde, « Le Train de la
réalité ». Il préparait une extension numérique de cette aventure
littéraire, en fervent explorateur des possibilités ouvertes par les
évolutions technologiques.
Le train de la réalité l'a envoyé
nourrir bien trop tôt les pensées de la psychosphère. Ses amis se
souviendront d'un homme drôle, entier, infiniment libre, éternellement
rebelle. « Sud Ouest » partage avec sa compagne Sylvie Denis, sa fille,
sa famille et ses proches l'infinie douleur de cette disparition.
Roland C. Wagner : une vie de musique et de science-fiction
Le Monde.fr | • Mis à jour le
Par Serge Lehman
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L'écrivain et chanteur français est mort le 5 août dans un
accident de voiture à Laruscade (Gironde). Il était une des figures de
la SF hexagonale et membre du groupe de rock Brain Damage.
Né à Bab El Oued (Algérie)
en 1960, rapatrié deux ans plus tard, Roland Charles Wagner appartenait
à cette catégorie d'auteurs pour qui la SF était un mode de vie entrevu
dès l'enfance et cultivé par la suite, comme une utopie. "Il y a une anecdote que je raconte tout le temps" déclarait-il en 1994 au fanzine La Geste. "J'avais six ans quand je suis tombé sur un épisode de Guy l'Eclair où on voyait deux hommes en ausculter
un troisième, allongé immobile au bord d'une autoroute en métal.
'Est-ce qu'il est mort ?' demande le premier homme. 'L'un de ses cœurs
est arrêté mais les deux autres battent encore.' En lisant ça, j'ai eu
l'impression d'entrer dans un monde où on pouvait tout se permettre."
Ce monde, Roland C. Wagner s'y plonge grâce à la collection "Anticipation" des éditions Fleuve noir où les romans de Jean-Pierre Andrevon et Louis Thirion lui offrent un premier modèle. Désigné "plus jeune fan de France" après son passage à la Convention de Grenoble en 1974 (il a treize ans), il perce au début des années 1980 et reçoit, en 1983, le prix Rosny aîné pour sa nouvelle Faire-part. La collection "Anticipation" accueille quatre ans plus tard Le Serpent d'angoisse, son premier roman, où est posé le concept de "psychosphère" qui articule inconscient collectif jungien et physique quantique. Wagner s'appuiera sur cette idée toute sa vie, conférant à son œuvre une forte unité sous-jacente.
La musique est un autre facteur d'unité. Devenu en 1983 le chanteur
et parolier du groupe rock Brain Damage, Wagner s'efforce d'établir des
passerelles entre ses deux domaines de prédilection, composant des
textes SF pour ses chansons et saturant ses fictions de références
musicales : son ultime roman, Rêve de gloire (L'Atalante, 2011) est – entre autres – l'histoire d'un mouvement musical imaginaire dont Wagner avait le projet d'importer quelques morceaux dans la réalité en les composant et les enregistrant lui-même ; cette double culture le rapproche d'un auteur comme Michael Moorcock, dont il partage aussi la précocité.
UNE UCHRONIE SUR LA GUERRE D'ALGÉRIE
Ecarté du Fleuve Noir
en 1992, Wagner survit en écrivant, sous pseudonyme, des textes
alimentaires. Son œuvre personnelle, psychédélique et noire, compte
alors une douzaine de romans dont le meilleur est sans doute Poupée aux yeux morts (1988 ; réédité en 2002 sous le titreL'Œil du fouinain).
Mais en 1995, une mutation s'amorce avec la splendide novella H. P. L.
(1890-1991), une biographie uchronique de l'auteur-culte H. P.
Lovecraft où se décèle un rapport plus serein à l'écriture. Cette
mutation illumine la série des Futurs Mystères de Paris
(1996-2007), hommage spéculatif à Eugène Sue et Léo Malet qui marque
aussi le retour de Wagner à la collection "Anticipation". Il en écrira
le dernier volume l'année suivante, puis poursuivra la série aux
éditions de l'Atalante.
Son projet littéraire prend la forme
d'une recherche de solutions paisibles, semi-utopiques, aux problèmes
de la modernité. Il quitte la banlieue parisienne, où il a toujours
vécu, pour s'installer à Cognac avec sa compagne, l'auteure Sylvie Denis, et entreprend une série de traductions importantes, dont celles de son ami Norman Spinrad. En 2011 enfin paraît Rêves de gloire, gigantesque uchronie sur la guerre d'Algérie placée sous la figure tutélaire d'un Albert Camus ayant conjuré la malédiction de la Facel Véga.
Ce magnum opus, Wagner l'a préparé pendant deux décennies : sa
science de la narration, sa prose fine et précise, forgées par cinquante
romans et cent nouvelles, en font un succès distingué par quatre prix
littéraires. Un recueil de nouvelles situées dans le même univers, Le Train de la réalité (L'Atalante, 2012) jette sur l'édifice un éclairage latéral.
Roland C. Wagner a cru viscéralement à la science-fiction : à sa
valeur esthétique et à sa sociabilité. Comme bien d'autres , il a
prouvé, avec sa vie, l'existence d'un chemin continu entre les fanzines
de l'adolescence et les accomplissements littéraires de la maturité.
Cette vie s'est arrêtée sur une route alors qu'il touchait au but. Dans
le langage de la science-fiction, cela donne : "l'un de ses cœurs s'est arrêté mais les deux autres – textes et musique – battent encore."
Serge Lehman
Repères biographiques6 septembre 1960 : naissance à Bab El Oued 1981 : première publication professionnelle 1983 : rejoint le groupe Brain Damage 1987 : entre aux éditions Fleuve noir 1996: début de la parution des Futurs Mystères de Paris 2011 : parution deRêves de gloire 5 août 2012 : mort à Laruscade (Gironde)
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