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23 novembre 2012
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Déluge livresque
Une vague de publications s'abat sur la table des libraires. Pas
question de mourir inculte le jour de la funeste prédiction maya. Un beau
livre, La Fin du monde de l'Antiquité à nos jours (François
Bourin, 310 p., 45 €) propose une navigation entre les imaginaires et les
représentations de la catastrophe, de l'Egypte ancienne au 11-Septembre, sous
la plume de Jean-Noël Lafargue, lui-même auteur du blog Fins du monde, vraies
et fausses.
Thème de prédilection de la science-fiction, l'anéantissement inspire
au géographe Alain Musset des " géofictions de l'apocalypse
" sous le titre Le Syndrome de Babylone (Armand
Colin, 320 p., 22,50 €). Réinterprétant la malédiction biblique qui pèse sur
les villes, le genre se nourrit des images de destruction urbaine : Paris,
Ville Lumière devenue champ de ruines, New York et ses gratte-ciel foudroyés,
aujourd'hui Los Angeles et San Francisco " nouvelles victimes
expiatoires de la science-fiction ". L'auteur souligne le motif
récurrent de la route, hypothétique chemin de l'exode : l'automobile se
révèle non pas l'instrument du salut, mais un piège.
Le beau roman de Cormac McCarthy, La Route (L'Olivier,
2008), est l'objet d'une fine analyse de Marc Atallah dans le collectif La
Fin du monde. Analyses plurielles d'un motif religieux, scientifique et
culturel (Labor et Fides, 250 p., 20 €) : sa force tiendrait en
partie à l'absence de toute explication sur l'origine de la catastrophe ; il
n'y a rien à dire, sinon l'inanité du langage et de l'humanité. On citera
enfin l'anthologie de Bernard Sergent La Fin du monde. Treize
légendes, des déluges mésopotamiens au mythe maya (Librio, 92 p., 3
€) ainsi que la revue d'art et d'esthétique Tête- à-tête (no
4, " Catastrophe ! ", 72 p., 15 €)
J. Cl.
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23 novembre 2012
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Le Village de la fin du monde.
Enquêtant sur le phénomène qui a fait de ce village du sud-ouest de la
France un des carrefours mondiaux des croyances apocalyptiques, le
journaliste et écrivain Nicolas d'Estienne d'Orves découvre une réalité à la
fois plus triviale et plus étrange que celle qu'il s'attendait à trouver.
Rien de surnaturel : l'extravagance humaine dans tous ses états, qu'il
restitue avec une bienveillance amusée.
Rendez-vous à Bugarach
de Nicolas d'Estienne d'Orves,
Grasset, 304 p., 19 €.
© Le Monde
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" N'importe quel monde ne mérite pas d'être défendu "
Michaël
Foessel.
Propos recueillis par Julie Clarini
Dans son nouvel essai, " Après la fin du monde ", le
philosophe Michaël Foessel montre l'omniprésence, dans les sociétés
occidentales, des discours apocalyptiques, et comment ils risquent d'étouffer
la vie démocratique
Michaël Foessel est maître de conférences à l'université de Bourgogne,
spécialiste de philosophie allemande et de philosophie politique. Il explique
comment, selon lui, les thèmes apocalyptiques servent à légitimer les
politiques publiques.
Le 21 décembre approche : peut-on faire un lien entre les prophéties apocalyptiques fantaisistes et les discours, portés par l'institution scientifique et politique, sur l'extinction de la vie sur Terre ?
Il faut saisir le phénomène à plusieurs niveaux d'entrée. D'abord
l'intérêt pour ces prophéties est un symptôme. Même si on cherche une parure
mythologique chez les Mayas, il s'agit surtout d'un phénomène occidental,
voire européen, qui concorde avec un sentiment, qui nous est propre, de
décadence. Nous avons la sensation d'être sortis de la roue de l'Histoire ;
nous sommes les témoins de la fin de notre monde tel qu'il était constitué
autour de valeurs comme le progrès, la croissance économique, etc. D'autre
part, si l'on regarde la formulation politique de ces discours, ils nous font
entrer dans un nouvel âge : notre rapport au temps n'est plus présidé par le
progrès. Les politiques publiques sont légitimées, au contraire, par
l'évidence de la catastrophe à venir : il faut " sauver ", "
préserver "... Ainsi l'apocalypse se retrouve mise au service de
politiques rationnelles. Ce qui me semble très neuf, c'est ce point de
rencontre entre l'imaginaire de la fin du monde et la rationalité
instrumentale. On
assiste à la rationalisation de ce qui pouvait apparaître il y a encore peu
de temps comme la figure même de l'irrationnel, la crainte de la fin des
temps.
Vous faites l'hypothèse, dans votre livre, que les gens obnubilés par l'échéance de la fin du monde cherchent avant tout à masquer leur propre finitude.
Oui. Il me semble que l'apocalypse collective ou la destruction
tellurique est une manière de rationaliser cette fin du monde singulière que
sera notre mort. C'est une façon de gérer l'angoisse en la déplaçant sur le
collectif, de partager l'impartageable. Au passage, remarquons que le propre du catastrophiste, a
fortiori de l'apocalypticien, c'est qu'il produit un discours qui, tant qu'il
le tiendra, sera démenti par les faits. Il est donc obligé de
renforcer une rhétorique de l'aveuglement : " Vous ne vous en rendez pas
compte, mais le monde est sur le point de disparaître, nous sommes dans
l'urgence "... On retrouve la fonction prophétique par excellence :
révéler, au nom d'une vérité supérieure, au nom de Dieu - ou aujourd'hui au
nom de la science -, une vérité cachée. Par là, c'est aussi une manière de
stigmatiser l'inconscience des hommes.
Comment comprendre que la glorieuse époque des Lumières a été, elle aussi, habitée par la fin du monde ?
J'ai insisté sur ce point dans mon livre, car on entend souvent, dans
la bouche des catastrophistes contemporains, un reproche adressé à la
modernité : elle aurait été aveugle à la finitude, masquée par l'idée de
progrès, le développement technique, etc. Il m'a donc semblé intéressant
d'aller voir si les XVIIe et XVIIIe siècles étaient si aveugles que cela.
Certes, dans les Lumières françaises, chez les Encyclopédistes notamment, on
trouve une espèce d'indifférence, antireligieuse, aux thèmes apocalyptiques ;
en revanche, ceux-ci sont très présents chez des philosophes comme Hobbes et
Kant. Pour une raison simple : la modernité est née d'une catastrophe. Les
modèles d'ordonnancement du monde, à commencer par la Providence divine, se
sont effondrés ou du moins se sont affaiblis. Les Temps modernes découvrent
l'objectivité du chaos. L'état de nature, c'est la guerre de tous contre
tous, dit Hobbes. Le discours apocalyptique ressurgit alors avec d'autant
plus de vigueur pour condamner la modernité. Dans La Fin de toutes
choses (1794), Kant vise les contre-révolutionnaires qui ont
interprété littéralement la Révolution française comme une fin du monde. Il
devient nécessaire, pour les philosophes, de neutraliser ces peurs
apocalyptiques pour fonder l'idée d'un progrès, une autre manière de nommer
l'avenir. Mais, attention, le
progrès n'est pas le progressisme, la croyance que demain sera nécessairement meilleur
qu'hier. Le progrès, c'est d'abord une catégorie de la consolation :
nous avons perdu un monde, le monde clos et hiérarchisé ; il faut miser sur l'avenir
comme étant ouvert, indéterminé. C'est cette indétermination que le
catastrophisme tente de refermer au nom d'un savoir du pire. Et qu'il
me semble tout au contraire important de réinvestir.
Votre ouvrage pose une question provocatrice : sommes-nous si sûrs que le monde vaut la peine d'être préservé ?
Marx écrivait : jusqu'ici, les philosophes ont toujours interprété le
monde, il faut désormais le transformer. Aujourd'hui, on entend plutôt : on a
trop souvent essayé de changer le monde, il faut le préserver. Cette logique
est conservatrice, parce qu'elle ne pose pas la question de la valeur de ce
qui doit être préservé. Au contraire, j'essaie d'introduire cette idée que
n'importe quel agencement du réel ne mérite pas, comme tel, d'être préservé,
n'importe quel " monde " - au sens de manière collective
d'organiser la vie - ne mérite pas d'être défendu. Par exemple, je n'affirme
pas qu'il n'y a pas un problème de réchauffement climatique ou d'énergie
nucléaire, mais je critique le type d'argumentation formelle qui est proposé
dans ces débats. Si une branche de l'alternative est la catastrophe, l'autre
s'imposera ipso facto. Pour ne pas être classé parmi les inconscients, on n'a
d'autre choix que de se ranger aux avis des experts. Ainsi, on produit de la
norme par réduction de la conflictualité démocratique. C'est typiquement le
modèle technocratique : le savoir versus l'opinion.
Selon moi le monde a déjà disparu lorsqu'il n'incarne plus des choix,
des conflits, du possible. Il a disparu lorsqu'on envisage le réel comme un
processus automatique, qui fonctionne tout seul et sans nous, que ce soit le
modèle providentiel d'autrefois ou le modèle vitaliste et technique
d'aujourd'hui.
Etes-vous un optimiste ?
Non. Optimisme et pessimisme sont des positions métaphysiques
puisqu'ils supposent une connaissance de la nature du temps. Or, le possible,
par définition, ne contient ni la promesse du meilleur ni la certitude du
pire. Le possible, je l'entends au sens de l'incertitude propre à la
démocratie. Mon objectif est de rouvrir le champ de la confrontation contre
les tentatives qui viennent de tous bords (expertises économiques, écologiques
et sociales) pour refermer l'espace des possibles sur une alternative entre
survie et disparition.
Julie Clarini
Après la fin du monde. Critique de la raison apocalyptique,
de Michaël Foessel,
Seuil, " L'ordre philosophique ", 294 p., 23 €.
© Le Monde
La fin du monde approche. Certaines interprétations du calendrier maya
l'ont fixée au 21 décembre. A défaut de s'y préparer, trois livres permettent
de s'arrêter sur un curieux penchant au catastrophisme
Désirs d'apocalypse
JESSY DESHAYES
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Reste à explorer le versant symétrique et plus positif, celui où pourrait débuter un autre monde, davantage porteur d'espérance (ce qui est aussi réclamé ailleurs : http://yannickrumpala.wordpress.com/2012/10/07/science-fiction-et-imaginaire-ecologique-episode-2/ ).
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