samedi 22 décembre 2012

BUGARACH, LE LOURDES DU NEW AGE

L’invention de Bugarach, « Lourdes New Age »

Publié le 21/12/2012 à 18h20

La montagne et le pic de Bugarach (Vincent Basset)
Vincent Basset est chercheur et enseignant en socio-anthropologie à l’Université de Perpignan. Spécialiste du Mexique et des questions portant sur le chamanisme, le tourisme, l’identité et le développement il décortique pour nous le processus de construction du mythe du site de Bugarach comme lieu d’une fin de monde. Interview.
Rue89. Comment s’est construit Bugarach ?
Vincent Basset. Dans le processus de remodelage mythologique en œuvre dans le construit imaginaire de Bugarach, différents acteurs ont participé à la création, la réinterprétation et la diffusion d’éléments mythiques, permettant ainsi la consécration de cette montagne en tant que nouveau lieu de culte.
Des chercheurs de trésors, aux prophètes mystiques, en passant par les études folkloristes et ethnologiques, toute une littérature sensationnaliste s’est développée depuis les années 70.
Plusieurs éléments mythologiques se superposent autour de Bugarach. Tout d’abord le mythe ésotérique lié au catharisme et à ses interprétations contemporaines. Puis les trésors de Rennes-le-Château (Aude), ainsi que les récits de l’abbé Boudet présentant Rennes-les-Bains comme un cromlech.
La relation entre science fiction et Bugarach est aussi une donnée à souligner, notamment à travers l’ouvrage de Jules Verne « Clovis Dardentor » où le capitaine Bugarach mène une expédition dans une île mystérieuse ressemblant étrangement au pic audois et abritant dans ses cavités une civilisation perdue.
Dans les années 70, un nouveau thème vient se mêler aux croyances liées à ces lieux : un habitant de la région, Jean de Rignies, est le premier témoin de la manifestation d’êtres extraterrestres (ovnis).
Puis, au milieu des années 80, l’auteure milliardaire, Elisabeth Van Buren propose d’apposer une carte de constellation céleste sur cette région où Bugarach apparaît pour le première fois comme un temple souterrain dans son livre « Refuge of the Apocalypse » (1986).
Mais ce n’est réellement qu’à partir des années 90 sous l’impulsion des publications du prophète New Age Jean D’Argoun que le tourisme spirituel va débuter dans cette région. Dans ses publications, il va mixer le mythe extraterrestre au mythe ésotérique en présentant le pic du Bugarach comme « le 7e chakra de la planète », c’est-à-dire « un terminal abritant une base extra-terrestre qui permet de se connecter à la banque de données cosmiques “ l’Akasha ”, la mémoire universelle ».
Il ne fallut pas attendre longtemps pour que certains réseaux new agers fassent correspondre la date de la fin du monde annoncée par le prophète-exégète du calendrier maya José Argüelles, le 21 décembre 2012, avec l’ouverture du vortex de Bugarach qui servirait de refuge face à cette fin apocalyptique.
Le réseau internet va diffuser ce mythe cosmogonique à tel point qu’en moins d’une année, le nombre de visiteurs se rendant au sommet du pic Bugarach est passé entre 2010 et 2011 de 10 000 à 20 000.
D’autres personnalités locales comme le maire de Bugarach Jean-Pierre Delord vont accentuer ce phénomène, en invitant la presse locale à publier des articles sciemment exagéré.
La résonance médiatique prend le pas sur le buzz du web, et le prestigieux journal New York Times relègue, le 31 janvier 2011, l’information dans la presse internationale. Les télés du monde entier se bousculent alors aux portes de ce village de 150 habitants afin de couvrir cette 185e fin du monde.
Même si le maire et son conseil municipal se disent paniqués par les éventuels débordements du 21 décembre, ils n’hésitent pas à spéculer sur l’après fin du monde au point de souhaiter faire de Bugarach « le Lourdes New Age ».
Il est intéressant d’analyser ici les différentes annonces qui se sont succédé sur la presse et Internet au sujet de Bugarach :
  • Première phase très euphorique où le maire prend le phénomène à la rigolade, et invite tous les curieux à venir sur place afin de « manger ensemble et se défoncer un bon coup ». Il pense même, en mars 2011, organiser un « festival de l’Utopie » ;
  • deuxième phase (en février 2012), il est plus question de prendre ça comme une farce, le maire se dit paniqué par les débordements possibles et les éventuels suicides collectifs ;
  • troisième phase (en septembre 2012), c’est la mise en place sérieuse par la préfecture d’un système de sécurisation tout autour de la montagne, avec l’annonce du filtrage du site afin de décourager les curieux.
Qui sont les touristes de Bugarach ?
Différentes populations gravitent autour de Bugarach, des chercheurs de trésor, des ufologues, et les spirituels généralement issue de la génération post-hippie. Cette population regroupe des néo-ruraux qui se sont installés principalement à Rennes les Bains et des touristes qui alimentent et diffusent les croyances et théories New Age dans le monde entier.
Certains se sont aussi installés en communauté dans des coins reculés de la vallée, ils vivent dans des tipis ou des yourtes et effectuent certains rituels néochamaniques comme la hutte de sudation. Loin des dérives sectaires, ces groupes affiliés pour certains au mouvement des indignés tentent de vivre de manière alternative en autosuffisance.
D’autres populations de passage, des participants à des stages de développement personnel, se compose à 80% de femmes, âgées généralement entre 40 et 60 ans, et occupant des postes de cadres ou de professions libérales. Comme j’ai pu l’observer au Mexique lors de mon étude sur le tourisme néochamanique, les participants à ces stages « initiatiques » se trouvent généralement dans une situation de fracture sociale (travail, famille, amis, maladie, dépendance aux drogues).
Face à la crise, on investit surnaturel ?
« Face à la crise, investissez dans le spirituel ! », a scandé Alfonso un chaman mexicain invité à Bugarach. Sur Internet, les propositions à caractère mercantile se multiplient depuis mi-novembre, ce qui choque les médias qui ont pas mal fait pour ça !
Certains proposent de recueillir et de déposer les testaments et prières de ceux qui ne peuvent se rendre sur place moyennant 60 euros par action. D’autres louent des maisons quatre personnes à Bugarach pour 1 500 euros la nuit, des parcelles de terrain à 450 euros la nuit afin d’y déposer la tente. Ou encore, la vente de produits comme une bouteille d’eau de source provenant du mont Bugarach à 15 euros.

Bugarach (Vincent Basset)
Malgré les appels répétés de scientifiques et des représentants mayas à travers la presse, la télévision au sujet de la fausse interprétation liée à cette date du 21 décembre, la rumeur de la fin du monde court toujours.
Cette rumeur véhicule un discours de la société sur elle-même, en lien avec une vision bien judéo-chrétienne de l’Apocalypse. Cette idée de catastrophe revient dans un contexte de modernité où les sociétés sont fatiguées d’elles-mêmes. Cette perception de fin du monde est très occidentale, il n’y a qu’à entendre aujourd’hui tout les discours formatés par cette vision de catastrophe.
L’homme semble dépossédé du monde par le système économique, il n’arrive plus à s’inscrire dans un futur positif, il n’a qu’une vision catastrophiste à court terme du monde.
Infos pratiques
A lire
"Du tourisme au néochamanisme" de Vincent Basset
Film : entre fiction et documentaire ethnographique, Vincent Basset est en cours de réalisation du film « Où les Dieux nous touchent » qui traite de manière comparative le phénomène du tourisme mystico-spirituel à travers deux montagnes érigées en véritables « Monts sacrés » par les réseaux New Agers : Le Quemado au Mexique et le pic de Bugarach en France. (Docu-fiction produit par Frenchkiss porduction).

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