Une centaine de gendarmes et une horde de journalistes s'agglutinent, mercredi, dans les rues de Bugarach.Crédits photo : Jean-Christophe MARMARA/JC MARMARA/LE FIGARO
Russes, Chinois, Hongrois… 244 journalistes du monde entier ont été
accrédités par la préfecture de l'Aude pour assister à l'apocalypse.
Surréaliste! Une centaine de gendarmes sillonnent les rues de Bugarach
(Aude) et les alentours, des hélicoptères balaient le ciel et une horde
de journalistes s'agglutine sur les chemins empruntés par les forces de
l'ordre. Et tout cela pour rien! Malgré la publicité mondiale, via le
Net, concernant Bugarach - ce village qui serait épargné par la
prétendue fin du monde le 21 décembre - l'affluence n'y est pas. Cette
petite commune de 200 âmes n'est guère assaillie par les croyants du
monde entier qui viendraient s'y réfugier, dans l'espoir d'être épargnés
par l'apocalypse. Aucun car, aucun cortège de voitures n'arrive dans ce
coin perdu de l'Aude. La bourgade offre sa mine habituelle, avec ses
ruelles désertes et ses rares habitants consternés de voir tant de
médias et tant de forces de l'ordre.
Installés sur un bout de
terre détrempé, dans un camping-car de fortune, il y a bien ces trois
compères qui ont fait spécialement le déplacement de Perpignan, «pour
être là», dit l'un d'eux. Il s'agit d'un père de famille qui a décidé
d'emmener dans l'aventure un ami et aussi son fils de 17 ans qui, du
coup, sèche l'école. La table de camping est dressée, les verres
disposés dessus et deux bergers allemands sont aussi du voyage. «On ne
croit pas à la fin du monde, mais on est là pour l'ambiance», lance l'un
d'eux, visiblement décidé à faire la fête. C'est a priori loupé, car
même les badauds n'ont pas fait le déplacement. Le village, qui aurait
pu un peu s'égayer avec l'arrivée de visiteurs inhabituels en cette
saison, n'offre même pas un petit air de fête. Bugarach est comme une
pièce de théâtre désertée par ses acteurs et par son public. Les tenants
de l'apocalypse ne sont pas là et ceux qui auraient pu s'en amuser pas
davantage.
Du coup, les nombreux journalistes - 244 accrédités
auprès de la préfecture et venus du monde entier - restent sur leur
faim. Et certains arrivent de loin: de Hongrie, de Russie, de Chine ou
encore du Japon, comme cette équipe de tournage de Fuji TV. Son
réalisateur, Yukihiro, est là pour préparer un documentaire d'une heure
dans le cadre d'une émission de divertissement portant sur les villes
insolites. «Il y a eu ainsi un film tourné sur une métropole en Inde où
l'on avait dénombré le plus grand nombre de jumeaux au monde», raconte
Asako, l'interprète du groupe. Il y aura donc un spécial Bugarach:
«Yukihiro était tombé sur un magazine relatant cette histoire
incroyable. Mais, aujourd'hui, il est déçu. Il pensait que le village
serait pris d'assaut par des gens du monde entier», poursuit Asako.
Ce
long cortège de médias qui déambule comme une âme en peine dans les
quelques rues de la bourgade, fond alors sur les quelques illuminés du
coin, trop contents, quant à eux, d'avoir enfin un auditoire à leur
mesure! Parmi eux, Sylvain Durif,
de son faux nom cosmique, «Oriana». «Je veux dire ce que sera
l'apocalypse, prévue le 21 décembre, et ce ne sera pas la fin du monde.
Il s'agira, ce jour-là, d'une révélation, d'une alchimie intérieure qui
descendra dans chacun de nos corps», dit-il, en précisant avoir déjà
connu cette expérience. «Cela avait été une incroyable décharge
d'énergie», décrit-il, en indiquant que cela avait été «l'équivalent de
10.000 orgasmes d'un coup!» Après Bugarach et la fin du monde, Bugarach
et les soucoupes volantes, voilà Bugarach et sa version «hot»!
Le maire assailli par les médias
Mais
c'est aussi le maire, Jean-Pierre Delord, qui est assailli par les
médias. Dès son arrivée devant la porte de la petite mairie, il est
encerclé par une nuée de caméras et de micros. «On se croirait au procès
de DSK! C'est inimaginable», râle un journaliste. Tant d'agitation pour
rien… Certains dans le village commencent sérieusement à reprocher au
maire sa communication incessante sur son village et à le rendre
responsable d'un pareil dispositif de sécurité. L'édile se défend. «Ces
mesures ont été décidées par le préfet et non par moi», souligne-t-il.
Par précaution, en effet, le représentant de l'État a fait venir en
nombre les gendarmes et décrété une série d'interdictions, comme celle
de la chasse. Mais certains n'en ont cure. «Manquerait plus que ça,
qu'on ne puisse pas chasser!»,indique un habitant, tout sourire,
revenant, sans se cacher, d'une virée dans les bois, fusil sur le siège
de la voiture et chiens dans le coffre. «J'ai rien tué et rien trouvé,
pas même une petite soucoupe volante», s'amuse-t-il.
Le dispositif de sécurité,
réajustable selon les besoins, est en principe prévu jusqu'au
23 décembre. Le 21 décembre, jour J de l'apocalypse, fera peut-être
venir davantage de monde. Mais on peut en douter… LIRE AUSSI: » «Fin du monde»: Bugarach sous surveillance dès midi » Ce que vous devez savoir sur «la fin du monde» » Comment Bugarach se prépare à la fin du monde » 21/12/2012: terminus tout le monde descend!
Car le dispositif policier mis en place
ne facilite pas la quête d'information. Les caméramen se rabattent sur
l'installation de toilettes sèches portatives, d'autres font des
plateaux devant le panneau d'entrée du village. Une équipe de télévision
asiatique qui s'enhardit à vouloir filmer un vieil homme se voit
menacée de sa canne.
Si
Bugarach était le seul lieu à échapper à la fin du monde, la Terre ne
serait plus peuplée après vendredi que par 200 villageois déjà à bout de
nerfs avant l'apocalypse et autant de journalistes sur les dents qui
pourront toujours compter sur les gendarmes pour essayer de survivre
ensemble.
Car, pour l'heure, l'afflux d'illuminés ou de curieux
redouté par les autorités se fait toujours attendre dans le minuscule
village de l'Aude promu à une notoriété internationale dont il se
passerait bien.
Les habitants restent terrés chez eux. Et les
ruelles de Bugarach sont parcourus par des équipes de reporters errants
qui, sous un ciel bas et lourd, traquent un gibier rare: le mystique.
Pour peu qu'un individu au front haut, à la chevelure frisotante et au
pull rayé rouge et jaune se montre, c'est la curée médiatique.
Véritable
inspiré ou imposteur malin, on ne se montre pas regardant sur les
lettres de créances ésotériques quand la proie est presque trop belle
pour être vraie. Et Sylvain Urif, "Oriana" de son "nom cosmique", venu
de la vallée voisine, peut livrer à la presse mondiale ravie le
"véritable sens de l'apocalypse". Le 21 décembre, "ça ne signifiera pas
le cataclysme mais la révélation", une sorte "d'alchimie interne" qui
donnera à chacun "amour et compassion". Lui-même a déjà connu le
processus: "c'est une lumière dorée qui fait l'effet de 10.000 orgasmes
d'un coup".
Nouveau
prodige ! Un deuxième apparaît, qui est venu avec son frère voir
"l'alignement des planètes" parce que "toutes ces planètes alignées
passent par la montagne et il y a quelque chose qui s'ouvre". Mais lui
et son frère, qui avaient planté leur tente dans la montagne, ont été
"gentiment" priés de circuler par les gendarmes.
Car le dispositif
policier mis en place ne facilite pas la quête d'information. Les
caméramen se rabattent sur l'installation de toilettes sèches
portatives, d'autres font des plateaux devant le panneau d'entrée du
village. Une équipe de télévision asiatique qui s'enhardit à vouloir
filmer un vieil homme se voit menacée de sa canne.
"C'est du grand
n'importe quoi", consent à commenter une habitante. Un autre, stoïque,
confie que "c'est toujours la fin du monde pour quelqu'un". Le maire
Jean-Pierre Delord, acculé contre la porte de la mairie par une meute de
caméras, s'énerve contre les médias qui "ont tout monté en épingle".
D'après
les gendarmes, la non-fin du monde à Bugarach a suscité un engouement
médiatique de grand match de foot: 244 journalistes se sont accrédités
auprès des autorités qui, depuis mercredi midi et jusqu'à dimanche,
interdisent les accès au pic de Bugarach et font filtrer les routes
menant au village.
Environ 150 gendarmes et pompiers sont
mobilisés pour assurer le dispositif. Eux aussi seraient sauvés si la
fin du monde survenait vendredi.
Bugarach et son pic, point
culminant du massif des Corbières avec ses 1.231 mètres, seraient en
effet l'un des endroits du globe où il faut être si l'on ne veut pas
disparaître avec le reste de l'humanité le 21 décembre. C'est en tout
cas ce que prophétisent des tenants du cataclysme.
Jean-Louis
Socquet-Juglard, un photographe qui habite le village voisin de
Sougraigne, se désole de cette "histoire qui stigmatise les gens". Il
est l'auteur d'une carte postale devenue un best-seller et qui montre
sur le mode ironique le pic de Bugarach autour duquel tourne une
soucoupe volante. La carte est signée David Vincent, le héros de la
série américaine "les Envahisseurs".
"On a le droit de
s'intéresser aux énergies" qui se dégageraient de l'endroit et "aux
légendes qui foisonnent" en pays cathare "sans être pour autant des
allumés", dit-il.
Les habitants attendent avec impatience la fin
de la fin du monde pour que leur région trouve une notoriété plus en
rapport avec ses qualités intrinsèques, la beauté de sa nature et de son
histoire. D'autres en profitent quand même pour faire des affaires et
vendre aux journalistes des cafés à 2,50 euros.
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