On ne remerciera jamais assez Jacques Mougenot pour
avoir enquêté sur cette extraordinaire Affaire
Dussaert (EODS, 2014). Il était urgent en effet de présenter l’œuvre de ce
grand artiste méconnu, Philippe Dussaert (1947-1989), chef de file du mouvement
vacuiste dans les années 80. Ancien élève des beaux-arts, frappé très tôt par
une maladie incurable (sclérose en plaque), c’est la galeriste parisienne Peggy
d’Argenson qui exposa et promut les créations de l’artiste auquel elle
consacra, du reste, une biographie. Jacques Mougenot, dans ses conférences,
insiste beaucoup sur le fait qu’il était considéré, au début de sa carrière,
comme un « raté », tout au plus comme un copiste douteux. Il fallait
en effet avoir un sacré culot pour centrer son œuvre sur le thème de
« l’après » ; après la
Joconde en reprenant le paysage italien mais en gommant Mona Lisa (photo) ; après
Le Déjeuner sur l’Herbe de Manet, en
représentant la clairière vide de ses occupants etc… 19 tableaux seront ainsi
réalisés, exposés dans les plus grandes galeries parisiennes et trouveront
finalement leur public. A tel point que de grands musées étrangers (Berlin, Tel
Aviv, Philadelphie…) feront l’acquisition de certaines pièces. Le conférencier
projette les photos des tableaux et nous montre les catalogues des expositions
ainsi que plusieurs revues d’art critiquant, de façon souvent positive, le
travail effectué.
Mais c’est en mars 1988 que Philippe Dussaert va
frapper un grand coup en organisant une exposition de légende, « Après
tout ». On a crié au canular à l’époque, les deux pièces de la galerie
étant totalement vides, et fortement éclairées pour montrer qu’il n’y avait
rien. Ce qui n’empêchera le catalogue de l’exposition de comporter plus de 400
pages (Jacques Mougenot nous le montre), sans photos bien sûr, mais avec de
nombreuses contributions de philosophes, écrivains, critiques d’art etc
s’interrogeant sur le sens de cette prestation inédite.
Philippe Dussaert s’éteindra en janvier 1989 à
l’Hôpital Américain de Neuilly, et Madame d’Argenson, qui avait acquis « Après
tout », le mettra en vente à la salle Drouot. En fait l’œuvre vide est
simplement représentée par un certificat de propriété. C’est le Moma de New
York qui remportera les enchères, mais se fera « coiffer » par une
préemption du Ministère de la Culture pour compte du Louvre. Une acquisition
qui partira en déconfiture, suite à plusieurs accusations de plagiat, et
notamment celle d’un écrivain belge, Gilles Watrin, qui exhibera un manuscrit
déposé à la SABAM de Bruxelles et qui est vide. Cela soulagera la Cour des
Comptes qui avait été saisie sur le thème « dépenser de l’argent public
pour acquérir du néant » et qui avait bien des difficultés à se prononcer
sur la fait de savoir si « Après tout » était bien une œuvre d’art
contemporain.
En sortant de cette conférence, on est quand même en
droit de se demander si Philippe Dussaert n’est pas à l’art pictural ce que
Jean-Baptiste Botul fut à la philosophie !
Cette enquête extraordinaire est actuellement
représentée au Ciné XIII Théâtre à Paris (1 avenue Junot, 75018).
Le Livret est disponible sur la boutique de l’ODS :
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