Avec L’Abomination de Dunwich (ou Horreur sur Dunwich,1928, Weird
Tales 1928), on plonge au cœur du « Mythe » dont les éléments de base
se mettent solidement en place, et notamment le « pays de Lovecraft »
pour lequel j’ai beaucoup de tendresse.
Nous avions déjà visité rapidement
Kingsport dans Le Festival (1923), Arkham
dans L’Image dans la Maison Déserte
(1920), mais c’est la vallée de Miskatonic qui nous est proposée ici, avec
ses collines recouvertes par d’étranges cercles de pierre, ses maisons
délabrées avec leurs toits à croupe, refuge de sinistres engoulevents, et avec ses
habitants marqués de dégénérescence. Nous sommes à Dunwich, à la ferme des
Whateley dans laquelle va naître le jeune Wilbur, entouré de sa mère Lavinia, une albinos laide, et de son grand père.
On ignore qui est le père même, si de sinistres rumeurs courent sur sa
véritable nature. Et ce joyeux garnement va connaître une croissance extrêmement
rapide, alors que son grand père ne cesse d’agrandir le bâtiment et de
commander de plus en plus de bétail qui disparaît rapidement. L’aïeul passe une
partie de son temps dans de vieux grimoires, et la rumeur ne cesse d’enfler
dans le voisinage, en raison des bruits effrayants qui sourdent de la ferme
enveloppée dans une puanteur épouvantable.
Le
vieux Whateley décède et Wilbur, mesurant 2 mètres 20 du haut de ses 14 ans, se
propulse à la bibliothèque de l’Université de Miskatonic, pour consulter le Necronomicon, l’exemplaire que lui a
légué son grand père étant en partie incomplet. Sa consultation sera surveillée
par le Pr Henry Armitage qui sera effrayé en voyant les pages étudiées. Aussi
refusera-t-il fermement de lui confier le volume pour copie. Wilbur fera une
tentative tout aussi infructueuse à la bibliothèque Widener de Cambridge et
reviendra nuitamment à Miskatonic, afin de tenter de dérober le livre maudit.
Réveillés par les hurlements des engoulevents, Armitage et deux de ses
collègues se précipiteront à la bibliothèque et découvriront le corps de Wilbur
à l’agonie. Mais à l’examen du corps, la surprise de nos savants sera de taille :
Au-dessus de la taille, les proportions
restaient à peu près humaines ; mais la poitrine, sur laquelle le chien faisait
encore peser ses griffes acérées, était couverte d'une sorte de cuir réticulé,
comme la peau d'un crocodile ou d'un alligator. Le dos, taché de jaune et noir,
rappelait vaguement la peau de certains serpents. Mais c'est sous la taille que
l'horreur s'offrait aux regards ; toute semblance
humaine s'effaçait, pour laisser place à
la pure insanité. L'épiderme était couvert d'une épaisse fourrure noire et, de
l'abdomen, pendaient de longs tentacules vert-de-gris au bout desquels béaient
des bouches avides. Ils étaient étrangement agencés, semblant suivre les règles
de symétrie d'une géométrie inconnue sur Terre ou dans notre système solaire.
Profondément enfoncés dans chacune des hanches, s'ouvraient, au sein d'orbites
rosâtres, ce qui semblait être des yeux primitifs ; une trompe ou une antenne annelée
de mauve tenait lieu de queue, laquelle paraissait être un embryon de gueule ou
de gorge. À l'exception de la fourrure sombre, les membres s'apparentaient plus
ou moins à ceux des sauriens géants de la préhistoire, et se terminaient en
coussinets aux veines proéminentes, qui n'étaient ni des griffes ni des sabots.
Lorsque la chose respirait, la queue et les tentacules changeaient de couleur
du fait d'un phénomène circulatoire permettant l'afflux de ce sang vert, qui
virait au jaune dans la queue et à un gris malsain entre les anneaux violets.
Pas une goutte de sang humain dans ce corps ; uniquement cette substance verdâtre
dont la flaque sur le sol allait en s'étalant, décolorant le plancher sur son
passage.
Mais
la disparition de Wilbur ne mettra pas fin aux atrocités commises dans la
région. Une créature monstrueuse rôde et multiplie les dégâts. Le Pr Armitage,
ayant récupéré la bibliothèque des Whateley, s’attaquera au décryptage d’un
manuscrit rédigé par Wilbur, manifestement son journal. Un décodage
particulièrement laborieux, l’alphabet utilisé échappant aux canons classiques
en la matière. Il finira par casser le texte et prendra conscience de l’horreur
invoquée par le rédacteur. En compagnie de ses deux assistants, il traquera la
chose jusqu’au sommet de Sentinel Hill et la replongera dans le néant grâce à l’utilisation
de rituels découverts dans les livres maudits.
Revenons
sur plusieurs points :
Lovecraft décrit
le village de Dunwich ainsi : Au-delà
d'un pont couvert, il aperçoit un petit village blotti entre le fleuve et le
flanc vertical de Round Moutain, et s'étonne de voir des toits à croupe
appartenant à une époque architecturale beaucoup plus ancienne que celle de la
région avoisinante. Il n'est guère rassuré en constatant que la plupart des
maisons désertes tombent en ruine, que l'église au clocher démantelé abrite
l'unique boutique du hameau. Il craint de s'aventurer dans le ténébreux tunnel
du pont, mais il est impossible de l'éviter. Après l'avoir franchi, il ne peut
s'empêcher de sentir une légère odeur pernicieuse, odeur de pourriture entassée
au cours des siècles. Il éprouve un grand soulagement à s'éloigner de ce lieux
en suivant l'étroit chemin qui longe la base des collines et traverse une vaste
plaine pour rejoindre enfin la barrière de péage d'Aylesbury. Plus tard, il
apprend qu'il est passé par le village de Dunwich.
Il est intéressant de noter qu’il existe un port
disparu du nom de Dunwich dans le Suffolk en Angleterre. Ce nom est également
utilisé dans la nouvelle The Terror d’Arthur
Machen (1917).
Lovecraft n’utilisera plus ce village, sauf dans son
poème La Piste très ancienne (1929).
En revanche, ses « successeurs » dont August Derleth le mettront
fréquemment en scène.
° Necronomicon
La
partie consultée par Wilbur figure page 751. Elle est retranscrite dans la
nouvelle :
Il
ne faut point croire que l'homme est le plus vieux ou le dernier des maîtres de
la terre, ou que la masse commune de vie ou de substance soit seule à y
marcher. Les Anciens ont été, les Anciens sont, et les Anciens seront. Non dans
les espaces que nous connaissons, mais entre
eux. Ils vont sereins et primordiaux, sans dimensions et invisibles à nos yeux.
Yog-Sothoth connaît la porte. Yog-Sothoth est la porte. Yog-Sothoth est la clé
et le gardien de la porte. Le passé, le présent, le futur, tous sont un en
Yog-Sothoth. Il sait où les Anciens ont forcé le passage jadis, et où Ils le
forceront de nouveau. Il sait où Ils ont foulé les champs et la terre, et où
Ils les foulent encore, et pourquoi nul ne peut les voir quand Ils le font. A
leur odeur, les hommes peuvent parfois connaître qu'Ils sont proches, mais de
leur apparence aucun homme ne peut rien savoir, si ce n'est sous les traits
de ceux qu'Ils ont engendrés chez les hommes ; et de ceux-ci sont plusieurs
espèces, différentes par leur figure, depuis la plus véridique eidolon
de l'homme à cette forme invisible et sans substance qui est Eux. Ils
passent, nauséabonds et inaperçus dans les lieux solitaires où les Paroles ont
été prononcées et les Rites ont été hurlés tout au long en leurs Temps. Leurs
voix jargonnent dans le vent, et Leur conscience marmonne dans la terre. Ils
courbent la forêt et écrasent la ville, pourtant ni forêt ni ville ne peuvent
apercevoir la main qui frappe. Kadath Les a connus dans le désert glacé, et
quel homme connaît Kadath ? Le désert de glace du Sud et les îles englouties de
l'Océan renferment des pierres où Leur sceau est gravé, mais qui a jamais vu la
ville au fond des glaces et la tour scellée festonnée d'algues et de bernacles
? Le Grand Cthulhu est Leur cousin, encore ne les discerne-t-il qu'obscurément.
Ïa ! Shub-Niggurath ! Vous les connaîtrez comme une abomination. Leur
main est sur votre gorge, bien que vous ne Les voyiez pas ; et Leur demeure ne
fait qu'un avec votre seuil bien gardé. Yog-Sothoth est la clé de la porte, par
où les sphères communiquent. L'homme règne à présent où ils régnaient jadis ;
Ils régneront bientôt où l'homme règne à présent. Après l'été l'hiver, et après
l'hiver l'été. Ils attendent, patients et terribles, car Ils régneront de
nouveau ici-bas.
Necronomicon,
page 751 de l'édition espagnole de la traduction latine
°
Créatures
C’est
Yog Sothoth qui est mis ici en scène. Il apparaît pour la première fois dans L’Affaire Charles Dexter Ward 1927).
Selon le canon codifié par Derleth, il ne s’agit pas d’un Grand Ancien, mais d’un
Dieu Extérieur.
Un
des témoins de la scène finale le décrit de la sorte :
Une avalanche de questions fusa, et seul
Henry Wheeler pensa à récupérer le télescope et à le nettoyer. Curtis ne
parvenait pas à parler distinctement, et même répondre d'un simple mot lui
paraissait impossible.
Plus grand qu'une grange... plein de
cordes qui se tortillent... ce gros truc qu'a la forme d'un œuf, plus grand que
tout avec des dizaines de jambes, qu'elles sont comme des tonneaux pis qu'elles
disparaissent quand y marche... y a rien qui tient là-dedans – c'est tout comme
de la gelée et tout comme des cordes entortillées toutes ensembles... et pis
des gros yeux qui sortent tout partout... pis dix
bouches, vingt, qui sortent de par tous
les côtés, qu'elles sont grandes comme le tuyau d'un poêle, qu'elles s'ouvrent,
qu'elles seferment.... Tout gris, avec des genres de ronds bleus pis mauves...
et par le bon dieu dans son paradis – ce visage tout en haut.
Lovecraft et le cinéma font rarement bon ménage. Encore un exemple avec Witches (The Dunwich Horror), téléfilm américano-allemand réalisé par Leigh Scott en 2009.
° Cinéma :
Lovecraft et le cinéma font rarement bon ménage. Encore un exemple avec Witches (The Dunwich Horror), téléfilm américano-allemand réalisé par Leigh Scott en 2009.
Synopsis : En Louisiane, Lavina, une mère célibataire de 35 ans accouche d'un
petit garçon et d'un monstre dans la démoniaque Whateley House. 10 ans après,
le docteur Henry Armitage et son assistant le professeur Fay Morgan découvrent
que la page 751 de chaque exemplaire du Necronomicon est manquante et que la
confrérie noire a invoqué le gardien Yog Sothoth afin de laisser le portail
ouvert aux démons et autres dieux. Ils invitent l'arrogant et sceptique
professeur Walter Rice afin de pouvoir traduire le Necronomicon pour pouvoir
trouver le livre. Pendant ce temps, le fils de Lavina, Wilbur Whateley,
vieillit très rapidement et recherche la page manquante afin d'ouvrir le
portail.
La thématique de la nouvelle est dans l’ensemble
conservée, mais avec quelques innovations croustillantes (les jumeaux). S’y
rajoutent une porte temporelle qui permet d’aller visiter Abdul Alhazred alors
qu’il est en pleine rédaction, un bordel moyen-oriental où on trouvera l’opium
nécessaire à l’ouverture de la porte et une histoire d’amour à l’eau de rose.
Les vrais fans se consoleront en admirant les pages du Livre Maudit qui
tapissent une chambre à coucher !
° JDR
Le Jeu de rôle s’est
emparé de ce village maudit, notamment avec Retour
à Dunwich Ce second ouvrage du Pays de Lovecraft Descartes/Chaosium 1992)
est consacré au village et au comté de Dunwich. Contrairement aux autres guides
de la gamme et aux indications de la couverture, il ne contient pas de scénario
à proprement parler, mais seulement du background. Les lieux sont décrits aux
alentours de 1928. Au programme : paysans dégénérés et horreurs anciennes.
Le premier chapitre, "Retour à Dunwich",
propose en dix pages une intrigue pour amener les investigateurs à visiter
Dunwich : le Dr Armitage de l'université de Miskatonic leur demande d'enquêter
sur les suites des événements relatés dans l'Abomination
de Dunwich. Il ne s'agit pas d'un scénario classique, mais de conseils pour
débuter une campagne dans laquelle le MJ improvisera événements et rencontres
au hasard des pérégrinations de ses joueurs.
"Bienvenue à Dunwich" présente ensuite en 8 pages quelques généralités sur le comté : accès, moyens de communications, climat... Ce chapitre est suivi de "Les secrets de Dunwich", qui éclaircit en 5 pages quelques uns des grands mystères de la région. Attention aux révélations !
"Le village de Dunwich" décrit ensuite l'agglomération sur 18 pages, selon un format classique : liste des lieux et de leurs occupants, mêlant surnaturel et conventionnel, le tout complété par des portraits et des cartes. Les secrets et travers des uns et des autres y sont révélés. Le "Guide des environs de Dunwich" fournit les mêmes informations sur les fermes et maisons entourant le village. Il occupe cette fois 44 pages. Enfin "Le sous-sol" présente les tunnels qui courent sous tout le comté et les secrets qu'ils renferment. La forme du chapitre ressemble à un scénario (avec statistiques et scènes typiques), ce qui facilite sa mise en scène.
"Bienvenue à Dunwich" présente ensuite en 8 pages quelques généralités sur le comté : accès, moyens de communications, climat... Ce chapitre est suivi de "Les secrets de Dunwich", qui éclaircit en 5 pages quelques uns des grands mystères de la région. Attention aux révélations !
"Le village de Dunwich" décrit ensuite l'agglomération sur 18 pages, selon un format classique : liste des lieux et de leurs occupants, mêlant surnaturel et conventionnel, le tout complété par des portraits et des cartes. Les secrets et travers des uns et des autres y sont révélés. Le "Guide des environs de Dunwich" fournit les mêmes informations sur les fermes et maisons entourant le village. Il occupe cette fois 44 pages. Enfin "Le sous-sol" présente les tunnels qui courent sous tout le comté et les secrets qu'ils renferment. La forme du chapitre ressemble à un scénario (avec statistiques et scènes typiques), ce qui facilite sa mise en scène.
L'ouvrage se termine par deux annexes : la première
est consacrée à l'Abomination de Dunwich,
avec une description détaillée des événements de la nouvelle de Lovecraft,
alors que le second propose légendes et rumeurs à faire découvrir aux joueurs
pour entretenir leur intérêt pour le village maudit et ses habitants. Une carte
détachable (A2 noir et blanc) de la région est également offerte.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire