mardi 2 février 2016

LES CHRONIQUES D'EL'BIB : LES TEMOINS DE L'APOCALYPSE, Jean-Charles Pichon







Les Témoins de l’Apocalypse, Robert Laffont, 1964
PM

Il n’est pas évident de faire de la « prophétie rapprochée » et cet ouvrage en est certainement la preuve (le premier Président noir des USA a été élu en 2177 par exemple !). Mais même si ce livre est daté, il est tout à fait intéressant pour qui veut cerner les grandes options philosophiques de Jean-Charles Pichon. Il se présente comme des « archives du futur », sous la forme de quatre récits qui nous seraient mystérieusement parvenus.

Le premier est formé de deux nouvelles, « le précurseur » et « les condamnés », signées d’un certain Julien Béraud (2144 - 2180), homme politique du bloc USA/Europe/Afrique. On sent ici une forte influence des prophéties de Nostradamus. Le monde est divisé en grands ensembles entre lesquels règnent –on s’en doute – de fortes tensions. Mais l’humanité sera partiellement décimée par « la Grande Catastrophe », non pas à cause d’une explosion nucléaire, mais en raison de la pollution radioactive consécutive à un usage exagéré de l’atome dans tous les produits de l’existence. Ce qui amènera les blocs à s’unir, à mettre fin à leurs querelles et à tenter de nettoyer la planète. Cette situation de terreur verra pulluler les prophètes, tel Adjoran qui appelle au repentir, Kalkin, « le Serpent Bondissant » ou le jeune Vitelio qui prêche une nouvelle réalité faite d’amour, à l’instar de Jésus. Prophètes dont le destin sera tragique, car le monde n’est pas prêt à accueillir « celui qui doit venir ». Julien Béraud rencontre à ce sujet le Pape qui lui explique que la religion est morte : neuf siècles sans une parole d’En-Haut, sans un miracle, sans une alliance entre l’Eternel et l’humain, neuf siècles sans Dieu…. Notre tâche est d’assurer, contre tous les périls et toutes les tentations, le difficile interrègne. On retrouve ici la « machine vide », période de l’histoire où les anciens dieux disparaissent, abandonnés par les fidèles, alors que le nouveau n’est pas arrivé ou n’est pas encore identifié.
Sur le plan scientifique, le récit fait une large place aux progrès de la physique quantique, autre thématique chère à Pichon. Dans le cadre de ses responsabilités, Julien Béraud est amené à prononcer l’éloge funèbre du savant Manfred Boukapite. Un passage brillant sur celui qui a découvert l’élément constitutif de toute particule, le boukaton. Et bien évidemment, on ne peut rien observer valablement sans tenir compte de l’observateur. Ses travaux seront repris par Verna qui a magistralement démontré que tout phénomène une fois réalisé continue d’avoir lieu potentiellement en marge du temps vécu. La porte au voyage dans le temps est désormais ouverte.

Le second récit, « le comédien » est dû à la plume de Michaël Bart (2190 – 2229), journaliste, et se présente sous la forme de chroniques ou d’articles. Le peuple, désemparé, s’adonne au peyolt qui fait l’objet d’un véritable culte. Le Potentialisme permet de voyager dans le passé, voyages qui détruisent l’histoire dans la mesure où l’on sait maintenant que Mussolini a été la victime de l’Intelligence Service, que Staline a été assassiné, que Napoléon a été empoisonné à l’arsenic etc. Révélations qui ne font qu’accentuer le désarroi du peuple ; même la conquête spatiale est incapable d’apporter une lueur d’espoir. La capture d’un extraterrestre nommé Flouack fera un flop au premier sens du terme. La créature flasque et blanchâtre mourut rapidement sans avoir livré son secret. Sur le plan politique, la cour impériale se déchire en basses querelles. Mais l’Empereur se passionne pour la cyclologie sous l’instigation d’un gourou appelé Appolonius. L’enseignement des correspondances religieuses et historiques entre à l’Université et chacun de scruter la roue du destin, essayant de tirer les leçons de la loi de l’éternel retour.
Les prophètes continuent de grouiller, comme Raskul et les porte-paroles de feu Vitelio. L’Empereur Eron (clin d’œil à Néron que l’auteur cherchera ultérieurement à réhabiliter), pour sa part, se rallie au Versalisme, religion de l’ère du Verseau qu’il impose comme religion officielle tout en combattant les anciennes croyances. Il se considère lui-même comme un grand prophète, si ce n’est le nouveau Dieu. Dans ce climat de déliquescence, un militaire croit intelligent de lâcher une bombe nucléaire sur le pôle, faisant fondre les pôles et disparaître une partie de la population la planète !
La décomposition s’amplifie, le régime devient clairement fasciste. On retrouvera, après sa mort, la tombe de l’Empereur vide, accréditant ainsi l’idée de sa divinité, voire de sa résurrection.

La troisième contribution est signée de James Torchid (2416 – 2470), agent secret au service des Empereurs, mais aussi agent double au profit du Vénéré Centre, chef spirituel de la nouvelle religion. La décomposition se poursuit au niveau des États et la guerre devient un jeu, nouvelle forme du jeu d’échec, les parties sur le terrain étant alors prévues à l’avance. Le narrateur assure la formation de Porgy, futur Empereur, en théologie christo-versalienne. La partie culturelle, très détaillée, nous montre que cette religion, comme toutes les autres, se déchire en courants et en schismes (le Dénuement, le rite de la Brûlure…). Elle est par ailleurs très influencée par l’histoire astrologique du monde, cherchant des points de repères avec la décadence romaine ou celle du Moyen-Empire égyptien. La conception cyclique de l’Histoire reste un élément clef de la théologie.
Le Potentialisme, pour sa part, a fait des progrès et l’on pratique maintenant la « projection matérialisée ». On peut « pénétrer » dans les projections historiques, mais sans pouvoir modifier le cours des événements. Quant à la philosophie, elle butte sur le lancinant problème de la réalité, à la lumière des avancées du quantisme. Est-elle prédéterminée ou créée par l’observateur ?

La dernière partie est celle du prêtre Jonathan Wardy (né en 375 à Boston ; on notera que le calendrier a été remis à zéro, comme lors de la naissance du christianisme). Elle se présente sous forme de lettres écrites à sa mère. L’Eglise (l’Essaimat) est divisée en deux courants, l’un mécaniste et rationaliste, l’autre plus romantique. Aussi faut-il se dissimuler quant on appartient au second alors que le pouvoir est aux mains du premier ; c’est ce qu’on appelle « l’hypocrisie nécessaire ». On apprend incidemment que Mars et Vénus ont été abandonnés, les colons ayant été submergés par les révoltes des indigènes (respectivement les gastéropodes et les poléopides).
L’ancienne foi chrétienne est encore très vivace dans certaines régions du monde comme le Canada ou Vitelio est présenté comme la réincarnation du Christ. L’Empereur de l’époque mènera une répression sanglante contre ces survivances du passé. La foi officielle est désormais celle-ci : Vitelio est le seul Dieu, Abraham, Jacob, Zoroastre, Jésus, Mahomet ne furent que ses prophètes. Il est né de la pollution de l’Univers par ensemencement de l’Esprit. Mais nous ne saurons ce qu’Il a été que lorsqu’Il sera ce qu’Il est, et cette heure de la Révélation sonnera la fin de notre monde. Ce sera la fin du Verseau et le transfert de la Révélation de Vitelio dans le Capricorne.
Un combat philosophique sera mené de pair contre la Vérité, la recherche de celle-ci étant la source de tous les maux. L’enseignement de l’Astrologie est interdit et l’Histoire est progressivement réécrite. En désaccord avec la nouvelle Inquisition, Wardy va entreprendre de transmettre des documents retraçant la vraie Histoire dans le passé, à l’aide d’un Transverso-Temporel. Un système dont l’Essaimat a le monopole. Certes, je n’ai pas renouvelé l’exploit d’un de mes prédécesseurs communiquant intégralement la liste des Papes à Malachie ! La ficelle est un peu grosse, mais c’est la période du début des années 60 qui sera visée, et plus particulièrement les Éditions Robert Laffont où sévit un certain Pichon. Et bien sûr, ça marchera : ce n’est qu’après deux ans de recherches que j’ai découvert ma preuve : un ouvrage, Les Témoins de l’Apocalypse, édité en 1964 chez Robert Laffont à Paris.

La vision de l’auteur sur la seconde partie du troisième millénaire est très noire et, contrairement à beaucoup de récits de science-fiction sur L’Histoire du Futur, ne laisse guère place à l’espérance qui pourrait renaître des progrès de la technique alliés à un retour des hommes à la sagesse. Est-ce vraiment la conviction de Jean-Charles Pichon ? Peut être, mais ce roman est surtout le prétexte pour mettre au point les outils qu’il utilisera dans son œuvre philosophique : le temps cyclique et la loi de l’éternel retour, la remise en cause des lois élémentaires de la physique par la mécanique quantique, l’angoisse de « la boîte vide » et une quête quasi-obsessionnelle de « Celui qui doit venir ».

Il y a là, assurément, une belle matière à réflexion.

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