Les Témoins
de l’Apocalypse, Robert Laffont, 1964
PM
Il n’est pas évident de
faire de la « prophétie rapprochée » et cet ouvrage en est certainement
la preuve (le premier Président noir des USA a été élu en 2177 par exemple
!). Mais même si ce livre est daté, il est tout à fait intéressant pour qui
veut cerner les grandes options philosophiques de Jean-Charles Pichon. Il se
présente comme des « archives du futur », sous la forme de quatre
récits qui nous seraient mystérieusement parvenus.
Le premier est formé de deux
nouvelles, « le précurseur » et « les condamnés », signées
d’un certain Julien Béraud (2144 - 2180), homme politique du bloc
USA/Europe/Afrique. On sent ici une forte influence des prophéties de
Nostradamus. Le monde est divisé en grands ensembles entre lesquels règnent –on
s’en doute – de fortes tensions. Mais l’humanité sera partiellement décimée par
« la Grande Catastrophe », non pas à cause d’une explosion nucléaire,
mais en raison de la pollution radioactive consécutive à un usage exagéré de
l’atome dans tous les produits de l’existence. Ce qui amènera les blocs à
s’unir, à mettre fin à leurs querelles et à tenter de nettoyer la planète. Cette
situation de terreur verra pulluler les prophètes, tel Adjoran qui appelle au
repentir, Kalkin, « le Serpent Bondissant » ou le jeune Vitelio qui
prêche une nouvelle réalité faite d’amour, à l’instar de Jésus. Prophètes dont
le destin sera tragique, car le monde n’est pas prêt à accueillir « celui
qui doit venir ». Julien Béraud rencontre à ce sujet le Pape qui lui
explique que la religion est morte : neuf
siècles sans une parole d’En-Haut, sans un miracle, sans une alliance entre
l’Eternel et l’humain, neuf siècles sans Dieu…. Notre tâche est d’assurer,
contre tous les périls et toutes les tentations, le difficile interrègne. On
retrouve ici la « machine vide », période de l’histoire où les
anciens dieux disparaissent, abandonnés par les fidèles, alors que le nouveau
n’est pas arrivé ou n’est pas encore identifié.
Sur le plan scientifique, le
récit fait une large place aux progrès de la physique quantique, autre
thématique chère à Pichon. Dans le cadre de ses responsabilités, Julien Béraud
est amené à prononcer l’éloge funèbre du savant Manfred Boukapite. Un passage
brillant sur celui qui a découvert l’élément constitutif de toute particule, le boukaton. Et bien évidemment, on ne peut rien observer valablement sans
tenir compte de l’observateur. Ses travaux seront repris par Verna qui a magistralement
démontré que tout phénomène une fois
réalisé continue d’avoir lieu potentiellement en marge du temps vécu. La
porte au voyage dans le temps est désormais ouverte.
Le second récit, « le
comédien » est dû à la plume de Michaël Bart (2190 – 2229), journaliste,
et se présente sous la forme de chroniques ou d’articles. Le peuple, désemparé,
s’adonne au peyolt qui fait l’objet d’un véritable culte. Le Potentialisme
permet de voyager dans le passé, voyages qui détruisent l’histoire dans la
mesure où l’on sait maintenant que Mussolini a été la victime de l’Intelligence
Service, que Staline a été assassiné, que Napoléon a été empoisonné à l’arsenic
etc. Révélations qui ne font qu’accentuer le désarroi du peuple ; même la
conquête spatiale est incapable d’apporter une lueur d’espoir. La capture d’un
extraterrestre nommé Flouack fera un flop au premier sens du terme. La créature flasque et blanchâtre mourut
rapidement sans avoir livré son secret. Sur le plan politique, la cour
impériale se déchire en basses querelles. Mais l’Empereur se passionne pour la
cyclologie sous l’instigation d’un gourou appelé Appolonius. L’enseignement des
correspondances religieuses et historiques entre à l’Université et chacun de
scruter la roue du destin, essayant de tirer les leçons de la loi de l’éternel
retour.
Les prophètes continuent de
grouiller, comme Raskul et les porte-paroles de feu Vitelio. L’Empereur Eron
(clin d’œil à Néron que l’auteur cherchera ultérieurement à réhabiliter), pour
sa part, se rallie au Versalisme, religion de l’ère du Verseau qu’il impose
comme religion officielle tout en combattant les anciennes croyances. Il se
considère lui-même comme un grand prophète, si ce n’est le nouveau Dieu. Dans
ce climat de déliquescence, un militaire croit intelligent de lâcher une bombe
nucléaire sur le pôle, faisant fondre les pôles et disparaître une partie de la
population la planète !
La décomposition s’amplifie,
le régime devient clairement fasciste. On retrouvera, après sa mort, la tombe
de l’Empereur vide, accréditant ainsi l’idée de sa divinité, voire de sa résurrection.
La troisième contribution
est signée de James Torchid (2416 – 2470), agent secret au service des
Empereurs, mais aussi agent double au profit du Vénéré Centre, chef spirituel
de la nouvelle religion. La décomposition se poursuit au niveau des États et la
guerre devient un jeu, nouvelle forme du jeu d’échec, les parties sur le
terrain étant alors prévues à l’avance. Le narrateur assure la formation de
Porgy, futur Empereur, en théologie christo-versalienne. La partie culturelle,
très détaillée, nous montre que cette religion, comme toutes les autres, se
déchire en courants et en schismes (le Dénuement, le rite de la Brûlure…). Elle
est par ailleurs très influencée par l’histoire astrologique du monde,
cherchant des points de repères avec la décadence romaine ou celle du
Moyen-Empire égyptien. La conception cyclique de l’Histoire reste un élément
clef de la théologie.
Le Potentialisme, pour sa
part, a fait des progrès et l’on pratique maintenant la « projection
matérialisée ». On peut « pénétrer » dans les projections
historiques, mais sans pouvoir modifier le cours des événements. Quant à la
philosophie, elle butte sur le lancinant problème de la réalité, à la lumière
des avancées du quantisme. Est-elle prédéterminée ou créée par
l’observateur ?
La dernière partie est celle
du prêtre Jonathan Wardy (né en 375 à Boston ; on notera que le calendrier
a été remis à zéro, comme lors de la naissance du christianisme). Elle se
présente sous forme de lettres écrites à sa mère. L’Eglise (l’Essaimat) est
divisée en deux courants, l’un mécaniste et rationaliste, l’autre plus
romantique. Aussi faut-il se dissimuler quant on appartient au second alors que
le pouvoir est aux mains du premier ; c’est ce qu’on appelle « l’hypocrisie
nécessaire ». On apprend incidemment que Mars et Vénus ont été abandonnés,
les colons ayant été submergés par les révoltes des indigènes (respectivement
les gastéropodes et les poléopides).
L’ancienne foi chrétienne
est encore très vivace dans certaines régions du monde comme le Canada ou Vitelio
est présenté comme la réincarnation du Christ. L’Empereur de l’époque mènera
une répression sanglante contre ces survivances du passé. La foi officielle est
désormais celle-ci : Vitelio est le seul Dieu, Abraham, Jacob, Zoroastre,
Jésus, Mahomet ne furent que ses prophètes. Il est né de la pollution de l’Univers
par ensemencement de l’Esprit. Mais nous
ne saurons ce qu’Il a été que lorsqu’Il sera ce qu’Il est, et cette heure de la
Révélation sonnera la fin de notre monde. Ce sera la fin du Verseau et le
transfert de la Révélation de Vitelio dans le Capricorne.
Un combat philosophique sera
mené de pair contre la Vérité, la recherche de celle-ci étant la source de tous
les maux. L’enseignement de l’Astrologie est interdit et l’Histoire est
progressivement réécrite. En désaccord avec la nouvelle Inquisition, Wardy va
entreprendre de transmettre des documents retraçant la vraie Histoire dans le
passé, à l’aide d’un Transverso-Temporel. Un système dont l’Essaimat a le
monopole. Certes, je n’ai pas renouvelé l’exploit
d’un de mes prédécesseurs communiquant intégralement la liste des Papes à
Malachie ! La ficelle est un peu grosse, mais c’est la période du
début des années 60 qui sera visée, et plus particulièrement les Éditions
Robert Laffont où sévit un certain Pichon. Et bien sûr, ça marchera : ce n’est qu’après deux ans de recherches que
j’ai découvert ma preuve : un ouvrage, Les Témoins de l’Apocalypse, édité en 1964 chez Robert Laffont à Paris.
La vision de l’auteur sur la
seconde partie du troisième millénaire est très noire et, contrairement à
beaucoup de récits de science-fiction sur L’Histoire
du Futur, ne laisse guère place à l’espérance qui pourrait renaître des
progrès de la technique alliés à un retour des hommes à la sagesse. Est-ce
vraiment la conviction de Jean-Charles Pichon ? Peut être, mais ce roman
est surtout le prétexte pour mettre au point les outils qu’il utilisera dans
son œuvre philosophique : le temps cyclique et la loi de l’éternel retour,
la remise en cause des lois élémentaires de la physique par la mécanique
quantique, l’angoisse de « la boîte vide » et une quête quasi-obsessionnelle
de « Celui qui doit venir ».
Il y a là, assurément, une
belle matière à réflexion.
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