L’Ange à la Fenêtre de l’Occident (Gustav Meyrink, 1927 ; édition française chez
Retz, 1975, avec des illustrations d’Isabelle Drouin) est un livre important.
D’abord parce qu’il s’agit d’un
véritable roman occulte, écrit par un auteur qui maîtrise parfaitement le
symbolisme, les correspondances et les techniques initiatiques. On baigne dans
l’alchimie, la réincarnation, le paganisme avec un petit parfum de Hieros
Gamos. Le fil rouge est bien sûr celui de la recherche de la transcendance et
de l’immortalité.
Ensuite parce que l’action se
déroule sur deux plans temporels (le XVI ème siècle et le début du XX ème),
mais pas à la façon des thrillers ésotériques auxquels nous sommes habitués, à
savoir un empilage de tranches de saucisson zébrés de « flash back » [1].
Les deux trames chez Meyrink se chevauchent et finissent par se mélanger de
façon convaincante, donnant au récit un ton fluide au service d’une action
continue.
Enfin, et peut être surtout, parce
qu’il s’agit de la première biographie romancée de John Dee dont les principaux
éléments seront par la suite largement recyclés dans toutes les études
romantiques qui fleuriront sur le personnage. L’Ange à la Fenêtre de l’Occident est en quelque sorte le vecteur
qui introduit John Dee dans les littératures de l’Imaginaire. Lovecraft ne s’y
trompera pas, utilisant dès l’année de parution du livre (1927), le personnage
du magicien anglais dans son Histoire du
Necronomicon : Une traduction anglaise, faite par le Dr. Dee, ne fut jamais
imprimée et n’existe qu’à l’état de fragments récupérés à partir du manuscrit
original. Il y reviendra l’année suivante (1928) dans L’Abomination de Dunwich : … Or, le personnage principal ne
possède que les fragments traduits par John Dee.
Le récit met en scène un certain
baron Müller, critique d’art dans le Prague du début du siècle dernier,
collectionnant les pièces rares que lui fournit son vieil ami slave, Lipotine.
Sa vie va basculer, suite à la réception d’un colis que lui a fait parvenir son
cousin, John Rogers, avant de mourir. Un paquet contenant papiers, manuscrits
et objets divers provenant de John Dee, un vieil anglais excentrique ancêtre de
sa mère. Et de dérouler l’existence d’un personnage multipliant les
« ratages » et pour commencer avec un petit stage en prison pour
s’être mis à dos la souveraine de l’époque, la Reine Mary. Un ratage compensé
par les révélations d’un inquiétant compagnon de cellule, Bartlett Green, qui
lui remettra le fameux miroir noir et le mettra sur la piste du trésor exhumé
de la tombe de Saint Dunstan, à savoir une boule rouge contenant la materia
prima, blanche renfermant de la poudre de projection et un manuscrit faisant
office de mode d’emploi. Ratage parce que fondant tous ses espoirs sur la Reine
Elisabeth, venant de succéder à Mary et l’ayant élargi, il se fait « balader »
par la souveraine sur le thème « je t’aime moi non plus ». Ses
projets d’ouvrir une voie maritime par le Groenland échouent alors que ses invocations
magiques restent peu convaincantes. C’est la raison pour laquelle il va faire
appel à des médiums, et notamment Edward Kelly, pour tenter de passer à la
vitesse supérieure. L’or va surgir du fourneau grâce au contenu des deux
boules, mais le manuscrit de Saint Dunstan reste indéchiffrable alors qu’il
contient la formule pour les « recharger ». L’Ange Vert est évoqué
par Kelly, mais lui aussi joue « les allumeuses », promettant sans
rien révéler tout en étant de plus en plus exigeant.
La population du village de Dee,
Mortlake, se révolte contre les deux compères accusés d’opérations diaboliques,
les amenant à s’enfuir à Prague avec la complicité du Prince polonais Larski,
tombé sous le charme de Kelly. Ratage à nouveau, car la rencontre avec
l’empereur Rodolphe se terminera en queue de poisson, le souverain considérant
Dee plus comme un charlatan qu’un véritable mage. Dee demandera du reste
conseil à Prague à Rabbi Loew qui tentera, sans succès, de lui indiquer le vrai
chemin de la sagesse par l’art de la prière. La fin sera pitoyable :
l’Ange Vert ordonne à Dee de « prêter » sa femme Jane à Kelley,
laquelle, humiliée, se jettera dans un puits appelé « puits Saint Patrick ».
Il rentrera à Mortlake dans son domaine dévasté pour y mourir.
De façon curieuse, les différents
éléments de cette saga vont rejaillir sur le Baron qui rentre en possession du
miroir noir et des deux boules. Et puis tout se mélange, jusque dans les
personnages : il embauche une nouvelle gouvernante qui se souvient d’avoir
été Jane dans une autre vie. Il rencontre, par le biais de Lipotine, une
inquiétante princesse russe, la princesse Chotokalugine, créature ambiguë qui
qui symbolise la tentation et les forces du mal ; c’est Isaïs la noire,
grande prêtresse du tantrisme. Elle collectionne d’étonnants artefacts [2](la
lance du destin, le bouclier de Roland de Roncevaux… !) et recherche
désespérément la pointe de la lance de John Dee. Le Baron résistera à toutes
les tentations qui se multiplieront au cours de ses propres invocations à
l’aide d’un restant de « poudre rouge ». Sa maison sera détruite par
un incendie, Jane se suicidera avec la princesse, et il se retrouvera de
l’autre côté du miroir, au domaine d’Elsbethstein où il retrouvera la Reine
Elisabeth. Il aura réussi le parcours initiatique que John Dee avait raté et
deviendra un Immortel.
A l’exception du manuscrit du Saint,
il est peu question de livres dans ce roman, encore moins de bibliothèque. Sauf
le journal intime transmis par John Rogers, les propres écrits de John Dee ne
sont pas évoqués.
La critique de wikipédia (version
anglaise), si elle considère ce roman comme une œuvre majeure, le qualifie
pourtant de confus et compliqué. Avis que je ne partage absolument pas. Quand
on a compris que le Baron Müller va reprendre la queste ratée de son aïeul et
la réussir, les différents éléments du récit s’emboitent parfaitement et
offrent au lecteur une vision saisissante de l’Initiation.
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