Le modèle de Pickman (1926, The
Pickman Model in Weird Tales, 1927).
Ce texte est certainement celui dans lequel Lovecraft exprime le mieux sa
fascination pour l’art macabre. Il s’agit du récit d’un dénommé Thurber,
fasciné par les créations du peintre Richard Upton Pickman qu’il rencontre à
l’Art Club de Boston, musée qui vient de refuser d’exposer un de ses tableaux
intitulé Le Festin des Goules.
Les artistes, les vrais artistes connaissent
l'anatomie de la terreur, la physionomie de la peur. Ils savent lier leurs
tracés, leurs perspectives avec nos instincts les plus profonds et nos terreurs
ancestrales. Leurs contrastes si singuliers, leurs jeux de lumière éveillent en
nous ce sentiment latent d'étrangeté. Je n'ai pas besoin de vous expliquer
comment une œuvre de Fuseli nous fait frissonner tandis qu'on se mettra à rire
devant la couverture d'une nouvelle fantastique à dix cents. Ces créateurs
perçoivent quelque chose,
quelque chose qu'ils parviennent, l'espace d'un instant, à nous transmettre.
Doré y parvenait. Sime y parvient. Angarola de Chicago aussi. Et Pickman y
parvenait à un degré qui n'avait jamais été atteint auparavant et, que le ciel
m'entende, qui ne sera plus jamais atteint.
Il finit par
sympathiser avec l’artiste avec lequel il a de longues discussions, dans le
cadre de la rédaction d’une monographie sur laquelle il travaille et consacrée
à L’Art Ésotérique. Pickman l’entraîne
dans le vieux quartier de Copp’s Hill où il réside, et où habita le démonologue
Cotton Mather. Je pourrais vous montrer
la maison où il a vécu et une autre dans laquelle, malgré ses rodomontades, il
était trop lâche pour entrer. Il en savait plus long que ce qu'il a écrit dans
ce stupide Magnialia ou dans Les merveilles du monde invisible. On dirait le titre d'un livre pour enfants !
Mais le véritable
atelier du peintre se trouve dans la cave d’une vieille masure abandonnée où il
entraîne l’étudiant. Et là, c’est le choc : Je n'essayerai pas de décrire ces œuvres : l'atrocité, l'horreur
blasphématoire, une incroyable abhorrence et l'abomination morale émanaient de
touches subtiles, que les mots seraient impuissants à décrire. Il n'y avait là
nulle ressemblance avec les techniques saisissantes de Sidney Sime ou les
étendues trans-saturniennes, les thallophytes lunaires qui glacent le sang dans
les toiles de Clark Ashton Smith. Les paysages ne représentaient que des
cimetières, des forêts, des falaises de bord de mer, des tunnels de briques,
des pièces lambrissées ou de simples caveaux de pierre. Le cimetière de Copp's
Hill, tout proche, était le panorama le plus représenté. Mais ce qui
terrifie le plus le visiteur, c’est l’incroyable vérité des visages des
monstres représentés, ces maudits visages qui semblaient lorgner hors
du cadre en bavant, comme animés d'une vie propre ! Bon sang, mon vieux,
j'avais vraiment l'impression qu'ils étaient
vivants ! Pour animer ce cauchemar, cet infect sorcier avait étalé sur
sa palette les feux de l'enfer et employé un bâton de sorcier comme pinceau.
Et de pénétrer dans le
sanctuaire secret de Pickman, une pièce voûtée au milieu de laquelle se trouve
un puits recouvert d’un couvercle en bois. Découvrant avec horreur un tableau
en cours, Thurston se met à hurler. Il s’enfuit, un croquis entre les mains
alors que l’artiste tire plusieurs coups de feu. Il explique à son visiteur que
son cri a réveillé un troupeau de rats. L’étudiant découvrira en rentrant chez
lui que le croquis est en fait une photo représentant un monstre abominable
sortant du puits. On ne retrouvera jamais Pickman.
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