« Juste avant sa mort, Lovecraft m’a parlé d’un projet ambitieux réservé à une période de plus grande disponibilité, une sorte de chronique dynastique sous forme fictionnelle traitant des mystères héréditaires et des destinées d’une ancienne famille de la Nouvelle-Angleterre, corrompue et maudite sur des générations par une variante horrible de lycanthropie. Ce devait être son magnum opus, qui condenserait les résultats de ses recherches approfondies sur les légendes occultes de cette région morne et secrète qu’il connaissait si bien ; mais apparemment les grandes lignes commençaient tout juste à prendre forme dans son esprit, et je doute qu’il ait laissé ne serait-ce qu’un brouillon de son projet. » (in Lovecraft Remembered, Ernest A. Edkins)
À partir de ce témoignage d’Edkins, on peut imaginer avec une assez grande précision ce qu’aurait été ce livre, non comme un simple roman, mais comme l’aboutissement naturel de toute l’œuvre de Lovecraft.
📖 Titre probable (hypothétique)
Lovecraft
n’aurait sans doute pas choisi un titre spectaculaire.
On peut imaginer quelque chose de sobre, généalogique, presque puritain :
- The House of —— (nom effacé ou archaïque)
- The Line of ——
- Chronicle of a New England Blood
- ou, plus
lovecraftien encore :
Concerning an Ancient Family of ——
Un titre qui annonce une étude, non une aventure.
🧬 Nature exacte de la “lycanthropie”
Il est crucial de comprendre que Lovecraft n’aurait jamais écrit une histoire de loups-garous classique.
La “variante horrible de lycanthropie” aurait été :
- non lunaire,
- non folklorique au sens européen,
- non individuelle,
- mais héréditaire, dégénérative et cosmique.
👉 Une altération progressive de l’espèce humaine, transmise par le sang.
On peut l’imaginer comme :
- une régression biologique lente,
- un retour vers une forme préhumaine,
- peut-être liée à des entités terrestres anciennes,
- ou à un substrat antédiluvien de la Nouvelle-Angleterre.
Ce ne serait
pas “se transformer en bête”,
mais se souvenir corporellement de quelque chose d’antérieur à l’homme.
🏚️ La famille : une dynastie dégénérée
Lovecraft adorait les familles maudites, mais ici il aurait poussé le concept à son maximum.
Cette famille aurait été :
- installée en Nouvelle-Angleterre dès le XVIIᵉ siècle,
- isolée géographiquement (collines, forêts, zones marécageuses),
- repliée socialement,
- obsédée par la pureté du sang,
- et consciente, au moins confusément, de sa propre corruption.
On y retrouverait :
- des maisons fermées,
- des mariages consanguins,
- des héritiers cachés,
- des branches disparues,
- des actes notariés ambigus,
- des silences généalogiques.
👉 Une famille qui se sait condamnée, mais continue par inertie.
![]()
📚 Forme narrative : une chronique fragmentée
Ce point est
essentiel :
Lovecraft n’aurait pas écrit un roman linéaire.
Ce magnum opus aurait probablement pris la forme de :
- chroniques successives,
- lettres,
- extraits de journaux,
- actes juridiques,
- témoignages indirects,
- récits de seconde ou troisième main.
Un peu comme :
- The Case of Charles Dexter Ward,
- The Shadow over Innsmouth,
- The Rats in the Walls,
- mais étendus sur plusieurs siècles.
👉 Une généalogie narrative, où chaque époque ajoute une strate de corruption.
🕯️ Le cadre : la Nouvelle-Angleterre “secrète”
Lovecraft connaissait intimement :
- les villages reculés,
- les collines boisées,
- les fermes isolées,
- les routes qui n’apparaissent pas sur les cartes,
- les zones où l’histoire officielle ne s’est jamais vraiment imposée.
Le récit aurait exploité :
- une géographie presque vivante,
- des lieux qui encouragent la régression,
- une terre elle-même complice.
La malédiction
ne viendrait pas “d’ailleurs” :
elle serait enracinée dans le sol même de la Nouvelle-Angleterre.
🧠 Thème central : l’hérédité comme horreur
Ce livre aurait été la synthèse ultime d’un thème majeur chez Lovecraft :
Nous ne sommes
pas ce que nous croyons être ;
nous sommes ce que notre sang se souvient.
La lycanthropie serait ici :
- une métaphore biologique,
- une réalité physique,
- et une horreur philosophique.
L’individu n’a
aucune importance.
Ce qui compte, c’est la lignée.
🌌 Dimension cosmique (discrète mais fondamentale)
Contrairement
à Cthulhu ou Yog-Sothoth,
les entités cosmiques auraient été peu visibles, presque absentes.
Mais leur trace se lirait :
- dans la biologie,
- dans les rêves récurrents,
- dans les comportements nocturnes,
- dans les zones interdites de la forêt,
- dans certains rites familiaux jamais explicités.
👉 Le cosmique intériorisé dans la chair.
🧩 Aboutissement narratif (probable)
Lovecraft n’aurait sans doute pas conclu par une destruction ou une révélation totale.
La fin aurait été :
- sèche,
- administrative,
- presque banale.
Par exemple :
- la disparition officielle de la famille,
- la vente de la propriété,
- un dernier héritier sans descendance,
- un terrain “reboisé”.
Mais avec, en dernière ligne, un détail infime :
un enfant
aperçu,
une trace dans la neige,
un comportement animal,
un cycle qui recommence ailleurs.
🏛️ Pourquoi c’aurait été son magnum opus
Parce que ce livre aurait :
- condensé l’horreur héréditaire (Rats in the Walls),
- la dégénérescence raciale (Innsmouth),
- la chronique historique (Charles Dexter Ward),
- la terreur biologique (Facts Concerning the Late Arthur Jermyn),
- et l’indifférence cosmique, sans la nommer.
👉 Une somme lovecraftienne, profondément américaine, profondément pessimiste, sans grand mythe visible — mais infiniment plus dérangeante.

Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire