«L'Europe des esprits ou la fascination de l'occulte, 1750-1950»
Jusqu'au 12/02/2012 | Exposition | Strasbourg (67)
Grâce à une muséographie très subtile, une exposition strasbourgeoise parvient à parcourir quatre mille ans de confluences entre occultisme, art, littérature et science, de l’Égypte antique au surréalisme.
Ce n’est pas le moindre des paradoxes de cette exposition que de nous donner à voir, à travers 500 oeuvres de l’Europe spirituelle, la représentation de ce qui ne se voit pas : l’histoire de l’art et de la littérature y est revisitée à travers le filtre de l’occulte. Une entreprise prométhéenne, toutes les civilisations depuis l’Antiquité ayant interrogé leur rapport à l’au-delà. Aussi l’éclairage du premier volet a-t-il été porté sur les années 1750-1950. Comme pour matérialiser l’intuition d’Édouard Schuré, qui, dans Les Grands Initiés, en 1889, démontrait la continuité de l’inspiration par-delà les âges, la deuxième partie couvre quarante siècles d’histoire : papyrus, manuscrits, incunables et gravures illustrent dans leur continuité et leur rupture les interrogations auxquelles ont tenté de répondre les mythologies de l’obscur.
Protéiforme et transversal, le parcours se fait à sauts et à gambades. Platon côtoie le comte de Cagliostro, thaumaturge du XVIIIe qui prétendait détenir l’élixir d’immortalité ; Dürer caresse la joue de Swedenborg, théoricien du spiritisme. Tandis que Le Cimetière sous la lune de Friedrich brame non loin du baquet de Mesmer, inventeur du magnétisme animal, les sorcières de Goya entrent en incantation devant la chimère de Victor Brauner. On se promène dans une galerie intérieure, une fantaisie littéraire qui esquisse une intersémiotique des arts : chaque oeuvre en appelle une autre, se situant dans une continuité cubiste. Les peintres se saisissent de personnages dramatiques : Shakespeare inspire les romantiques (Fuseli, Chassériau, Gustave Doré) ; Blake, qui se faisait dicter ses dessins par les esprits, illustre Le Paradis perdu de Milton et La Divine Comédie. Le mythe de Faust s’incarne chez Goethe, dont on admire les dessins. Hugo interroge les esprits, et le spiritisme devient un ingrédient textuel : le roman gothique projette sur l’Angleterre son ombre horrifique quand, en Allemagne, Novalis en appelle à une synthèse littéraire du monde. Précurseur de l’inconscient, Hoffmann trousse des contes envoûtés qui inspireront Nerval. La déambulation tisse des ramifications, fait deviner des influences, reprises et variations, rejoignant la théorie baudelairienne des correspondances.
Scission de l’être, fantômes, médiums, transmigration des âmes : le rapport à l’invisible se décline à l’envi, mettant au jour la diversité des foyers de création et de traitement formel. Photos spirites, tentatives, comme le montre la troisième partie, de mesurer les esprits grâce aux instruments scientifiques... Miraculeusement, une consonance émerge, tant le rapport de l’homme à sa finitude ressort dans sa rémanence. Même cette partie, plus scientifique, est aspirée par un traitement littéraire. Et si c’était la fraternité des esprits écrivants qui mesurait, de toute sa démesure, la science ? Vision de l’art total, le symbolisme est né : Huysmans, Villiers de L’Isle-Adam, Gautier s’ensorcellent de messes noires et de métempsycose. Du galvanisme et de la chimie naît Frankenstein. Contrepoint des Lumières, les ténèbres paraissent constitutives de l’histoire de la modernité - c’est ce que suggère cette muséographie de libre inspiration, vorace et maïeutique, qui nous fait comprendre sa démarche au fur et à mesure. L’art surréaliste se nourrit de rêve et d’écriture automatique (théories du hasard objectif et des grands transparents, fluides qui nous relient) ; Artaud écrit Vie et mort de Satan le Feu, Kandinsky Du spirituel dans l’art, Arp des poèmes naturosophes. À l’impromptu se dessine un lien entre les utopies modernistes et l’ésotérisme, qui apparaît peu à peu comme un enjeu esthétique et métaphysique. La démarche jaillit alors dans son audace transgressive : dégager une convergence d’inspiration de la création moderne qui trouverait sa source non dans la raison mais dans les pulsions et forces psychiques les plus obscures. L’ésotérisme donne à l’homme, d’après Breton, «les rapports susceptibles de relier les objets en apparence les plus éloignés». À l’issue de cette exposition subversive, subjective et symboliste, se dégage une interprétation inédite de l’occulte en tant que catégorie critique et grille de lecture qui donne à méditer - cette «quatrième dimension spirituelle » rêvée par Maeterlinck, qui fait fleurir la « merveilleuse plante qu’est l’âme».
Juliette Einhorn
MAGAZINE LITTERAIRE
Cette exposition sera-t-elle présentée dans une région plus proche de l'ouest, car ton article me donne envie de la voir ?
RépondreSupprimerRoger
Je n'en sais rien, mais c'est peu probable.
RépondreSupprimerCordialement