mardi 24 janvier 2012

LA FIN DU MONDE SUR MEDIA PART



La fin du monde : la fin d’un monde

Le film d’action-catastrophe « 2012 » a semé un semblant de trouble dans l’esprit de beaucoup : selon une prédiction mayas, la fin du monde interviendrait cette année, le 21 décembre pour être exact. La fin du monde … encore !
Une telle annonce eschatologique n’est pas une première dans l’histoire de l’humanité. Toutes les civilisations ont envisagé au moins une fin du monde. Mais la perception de celle-ci diffère. Dans un article du Monde paru le 17 novembre 2009, l’universitaire et humanitaire André Ségura rappelait la conceptualisation cyclique du temps chez les Mayas[1]. Ce dernier mentionne même une autre date, 4772, comme fin du cycle qui commencerait en 2012, ou plutôt 2014. Cette perception se retrouve par ailleurs à travers les mythes indiens ou scandinaves. A contrario, les civilisations judéo-chrétiennes reposent sur une définition téléologique de l’espace-temps, c’est-à-dire que l’existence de l’homme sur Terre poursuit une finalité propre. Et lorsqu’on y réfléchit, même cette idée de « fin » est détournée : le retour du Christ pour les Chrétiens ou l’arrivée du Messie chez les Juifs n’annoncent pas une fin du monde comme fin d’une vie, mais comme une rédemption pour l’humanité, où l’être se révèle être « Parfait ». C’est d’ailleurs par ce terme que se définissaient les Cathares et les Vaudois du Sud de la France au Moyen Age. L’homme est donc perçu comme un chef-d’œuvre au même titre que l’est l’objet fabriqué par l’aspirant maître artisan.
Pourtant, quand un objet est terminé, disparaît-il pour autant ? L’artisan a devant lui pléthore de choix : soit il le détruit, soit il le vend, soit il l’utilise pour lui-même. Mais dans tous les cas, il continue de créer ou reproduire. A nouveau, l’idée de cycle refait son apparition. Au XIXe siècle, les Britanniques avaient été surpris en Inde par une étrange coutume : à une date précise chaque année, les habitants et artisans brisaient les poteries en terre, afin de libérer les esprits enfermés, et les laisser poursuivre le cycle de la réincarnation. La puissance européenne dominante imposa au commerce local l’importation d’ustensiles en fer blanc. Leur arguments : le fer n’a pas d’âme, il n’est pas nécessaire de le détruire. La conséquence fut équivalente à ce que fut la campagne de boycott sur les produits anglais menée par le Mahatma Gandhi au XXe siècle : les artisans potiers furent conduits à la ruine, et tout un commerce local s’effondra. L’ironie veut que depuis une vingtaine d’années, le mouvement s’est inversé : les produits manufacturiers et électronique ont une durée de vie courte pour encourager une croissance économique de plus en plus dépendante de la consommation et du prix de production.
Cette rencontre entre les prophéties eschatologiques et les événements scientifiques et industriels a déjà eu lieu dans l’histoire. Et la période la plus criante sur ce point est certainement le tournant des XVe et XVIe siècles. Deux mouvements contradictoires prennent corps. D’une part, un mélange de découvertes et de redécouvertes scientifiques, techniques, géographiques et philosophiques. La Renaissance, ou Quattrocento, redécouvre les écrits des philosophes et savants de la Grèce antique. L’amélioration des techniques de navigation donne aux puissances européennes l’occasion de dépasser le monde maritime qui leur était jusqu’alors connu. Les caravelles atteignent enfin le Cap de Bonne Espérance au milieu du XVe siècle, avant d’atteindre en 1492, avec le Gênois Christophe Colomb, les îles des Antilles d’Amérique. Rapidement, l’idée d’avoir atteint les Indes Orientales cède la place à l’existence de nouvelles terres, d’un nouveau continent. Dès 1507, une première carte indiquant ces îles sous le nom d’America voit le jour. Dès lors, l’univers des Européens s’élargit quand celui de la Chine se fige avec le renoncement aux politiques d’expansion diplomatique et les célèbres voyages de l’énuque musulman Zheng He. Toujours techniquement, l’imprimerie connaît une révolution. Martin Gutenberg a certes repris un procédé ancien, connu depuis des millénaires en Chine, mais le contexte de renouveau intellectuel et scientifique démultiplie ses effets. Scientifiquement l’avancée est décisive. En 1543, un chanoine de 70 ans, dont les travaux vont bouleverser la perception du monde connu, meurt dans l'anonymat : Nicolas Copernic. La Terre, considérée, selon Claude Ptolémée d’Alexandrie (IIe siècle de notre ère), comme étant au centre de l'univers, se voit réduite à une petite sphère tournant autour de l'astre solaire.
D’autre part, de grands bouleversements spirituels et diplomatiques interviennent. La première moitié du XVIe siècle connaît une inflation de prophéties diverses, annonçant notamment l’arrivée d’un prince-roi vengeur qui renverserait les monarchies en place et laisserait place au royaume du Christ. Tour à tour, François Ier de France, puis l’Empereur du Saint-Empire romain germanique, Charles Quint, incarneront ce personnage mythique. De plus, l'Europe Chrétienne se trouve acculée par le Khalife dans les Carpates. Vienne, ville impériale, manque de tomber sous le Croissant en 1529. L’ironie de l’Histoire, si présente, voulut que le voyage de Christophe Colomb servît à convertir au christianisme le mythique Grand Khan de ces terres, et prendre de revers ce monde musulman croissant et méconnu. Une illusion double, sans doute à l’origine de la légende du prince rédempteur et libérateur, amplement diffusée dans toutes les classes de la société Européenne. Mais plus encore, la fin de l'unité du monde chrétien catholique marque cette époque. En 1530, sept princes et deux villes du Saint Empire Romain Germanique présentaient à l'Empereur Charles Quint une nouvelle vision de la foi. La Confession d'Augsbourg s'inspire des critiques émises en 1517 par jeune moine allemand excommunié et mis au ban de l'Empire, Martin Luther. D’autres courants émergent, sur fond de contestation de l’ordre établi, contre le Pape et l’Eglise, voire l’Empereur lui-même. Luthériens, calvinistes, anabaptistes, tous remettent en cause l’organisation de l’Eglise et ses fondements. Petit à petit, l’Europe se divise, les Etats instaurent leur religion propre. La paix d’Augsbourg, en 1555, établit les bases du principe chacun son roi, chacun sa religion : cujus regio, ejus religio. Mais le mal est fait, et les guerres de religion, en France, aux Provinces Unies et, de 1618 à 1648, dans toute l’Europe centrale, vont progressivement confirmer le poids grandissant et dominant de la raison d’Etat.
Quelque part, un monde a disparu au XVIe siècle, pour donner naissance à un autre, plus vaste. L’homme, « mesure de toute chose » pour le sophiste Protagoras, s’est vu considérablement réduit. Dans le même temps, cette nouvelle dimension a dynamisé l’idée de conquérir ce nouveau monde. Conquête terrestre tout d’abord, avec l’irrésistible colonisation du continent américain ; conquête des esprits, où la division spirituel influa de manière décisive sur les pensées politiques, scientifiques, sociales et économiques. Aujourd’hui, en 2012, nos sociétés connaissent en un sens une remise en question de leurs fondements : la croissance des richesses à tout prix, l’inégalité du partage, la nature soumise à la volonté de l’Homme. Oui, quelque part, 2012 peut marquer un tournant dans l’histoire de l’humanité. Non pas que les choses changeront de manière radicale et immédiatement – après tout, les hommes du XVIe siècle ont-ils changé du jour au lendemain leurs habitudes ? Mais qu’un nouveau cycle apparaît. La prise de conscience de l’impact de l’action de l’homme sur son environnement et sur ses semblables demande du temps à l’humanité, à l’heure d’une révolution des moyens de communication, cinq cent ans après celle de l’imprimerie.
[1] Voir www.lemonde.fr/idees/article/2009/11/17/2012-la-fin-du-monde-par-andre-segura_1268178_3232.html , et http://andre.segura1.free.fr/index.htm

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