Bonne
idée que de reprendre les nouvelles lovecraftiennes de Frank Belknap Long en un
seul volume, même si la plupart des textes sont bien connus des amateurs.
L’ouvrage porte le titre de de la nouvelle culte, Les Chiens de Tindalos (Mnémos,
2020). L’ensemble est solide et montre, s’il en était besoin, que l’auteur est
l’un de ceux de « la bande » à avoir le mieux cerné le concept d’horreur
cosmique.
Les Mangeuses d’espace (The Space Eaters, Frank Belknap
Long, Weird Tales, 1928). Un pur produit du “Circle”, mettant en
scène les deux amis, Frank et Howard. L’écrivain cherche à fixer l’horreur
cosmique sur le papier mais n’y parvient guère jusqu’à ce que pénètre chez les
deux amis Henry West qui leur raconte une histoire invraisemblable. Il a été
poursuivi dans la forêt par une créature innommable qui lui a
« balancé » ce qui semble être un morceau de cervelle. Et le brave Henry
de montrer sur sa tempe un trou cylindrique profond, tout en hurlant
« qu’elle veut lui prendre le cerveau ». S’ensuivra une course
poursuite dans les bois pour localiser la créature qui les traquera jusqu’à à
la maison au prix de la vie de Frank et de Henry. Un texte assez faible -
pourquoi la créature disparaît-elle après (elle a trop mangé de cervelle ?) -
au sujet duquel Lovecraft protestera avec gourmandise, n’aimant pas être le
personnage d’une fiction !
Pour l’anecdote, cette nouvelle s’ouvre sur une citation du Necronomicon
traduit par John Dee. Lovecraft reprendra cette pseudo-paternité dans son
histoire du livre maudit.
La croix n’a rien d’un simple objet.
Elle protège celui dont le cœur
Est pur, et elle est souvent apparue
dans l’air au-dessus de nos sabbats,
Jetant le trouble sur les pouvoirs des
Ténèbres et les faisant fuir.
Pour les
amateurs, ce recueil de Mnémos contient également en fin de volume une autre
citation du Necronomicon, non sourcée, avec la simple indication
suivante : « F.B.L qui refuse de révéler de quelle manière ces
quelques lignes sont entrées en sa possession ».
Il serait illusoire de penser que les puissances capables des
pires malfaisances ne nous apparaissent que sous la forme de familiers
répugnants, ou d’autres démons de même nature. Ce n’est pas le cas. Ces petits
démons visibles ne sont que les émanations que les vastes amas de destruction
ont laissé dans Leur sillage – des peaux mortes, voire même d’infimes
particules maudites, qui se sont collées à ces êtres comme des sangsues sur un
immense Léviathan mort, issu des profondeurs, et qui a ravagé une centaine de
cités côtières avant de plonger à sa perte avec un millier de harpons
frémissants vrillés dans la chair.
Sur ces pouvoirs hors norme, la mort n’a pas de prise, et les
harpons lancés infligent, au mieux, des blessures superficielles qui se
soignent rapidement. Je l’ai déjà dit, et je le répéterai jusqu’à ce que mes
frères humains acceptent ce que j’ai appris sur le tard comme étant la
vérité : un maître des arts magiques qui voudrait se confronter à ce qui a été, et qui sera toujours,
ne devra s’en prendre qu’à lui-même et désespérer, s’il confond une victoire
éphémère avec celle qu’il ne pourra jamais espérer remporter de manière
permanente.
Les
Chiens de Tindalos de Frank Belknap Long (The Hounds of Tindalos, 1929). J’ai toujours eu beaucoup de
tendresse pour cette nouvelle du « circle » dans lquelle FBL montre
qu’il a bien intégré le process de l’horreur cosmique lovecraftienne. Chalmers
est un érudit en sciences occultes qui jongle en permanence entre les travaux
du Dr John Dee et ceux d’Einstein. Et qui s’est mis entête de remonter le temps
grâce à une redoutable drogue asiatique. Ce qu’il va faire sous la surveillance
de son ami qui n’arrive pas à l’en empêcher. Et de plonger dans un maelstrom où
il revoit toute l’histoire humaine. Et delà de l’homme, il pénètre dans des
géométries improbables et inquiétantes où son terrés les chiens de Tindalos. Ce sont des créatures de l’origine des temps,
faites pour récupérer le mal originel. La chute est un peu téléphonée et ces
sympathiques bestioles viendront faire la fête à l’importun Chalmers.
L’Horreur
venue des Collines de Frank Belknap Long (1929, in Weird Tales 1931) est une production assez remarquable du
« Lovecraft Circle ». Ce n’est pas une révision à proprement parler,
mais un produit d’inspiration qui va jusqu’à incorporer et poursuivre un rêve
de Lovecraft (cf Le peuple ancien, 1927).
Tous les ingrédients du mythe sont réunis et donnent naissance à une nouvelle
créature diabolique, Chaugnar Faugn.
La thématique est assez classique ;
nous la retrouverons dans Surgi du fond
des siècles (1933, une révision pour Hazel Heald) : un musée qui
reçoit une statue maudite. Le héros est ici Algernon Harris, jeune et brillant
conservateur du département d’archéologie au Manhattan Museum of Fine Arts, et
digne successeur à ce poste de feu Halpin Chalmers (cf Les Chiens de Tindalos). L’un de ses collaborateurs, Clark Ulman,
lui rapporte d’Asie une créature monstrueuse, sorte d’éléphant avec des
tentacules et des palmes, en lui demandant de le détruire après examen car il
en a été la victime. Et de suivre le récit d’une traque archéologique
mouvementée au terme de laquelle le gardien du temple où est adoré Chaugnar
accepte de lui remettre la statue pour l’amener en Amérique, à condition de la
nourrir. Ce que la sympathique bestiole fera de sa propre initiative en vidant
l’archéologue de son sang. On apprend du reste en aparté que Chaugnar est un
grand voyageur et qu’il a déjà séjourné dans les Pyrénées. Ulman va décéder
alors que plusieurs meurtres atroces sont commis dans le musée. Le dossier
d’investigation sera pris en charge par le Dr Henry Imbert, une haute autorité
américaine en matière d’ethnologie et son ami, Roger Little, détective
psychique. Très versé dans l’étude des mythes, mais aussi fin connaisseur de la
physique quantique, ce dernier embraye immédiatement lorsque Harris lui résume
l’affaire ; ce Chaugnar n’est pas un inconnu et lui rappelle un étrange
rêve qu’il avait fait ; cela se passait dans les Pyrénées sous
l’occupation romaine où un peuple très ancien se livrait à de sinistres rituels
dans la région de Pomelo. Little a par ailleurs mis au point une machine
spatio-temporelle, capable de voyager dans les quatre dimensions. Celle-ci sera
utilisée pour traquer Chaugnar qui s’est échappé du musée afin de le renvoyer
dans d’autres contrées.
Ce mini-roman se termine par un
débriefing en compagnie de Little qui explique (clin d’œil à Lovecraft, cf Les Montagnes Hallucinées) avoir été en
présence d’une créature bien matérielle, venant d’autres dimensions, mais sans
aucune connotation divine.
Les Mangeurs de Cerveaux (The Brain
Eaters, 1932, première traduction) nous fait partager un voyage maritime avec
le professeur Stephen Williamson. La mer est agitée par de mystérieuses
créatures et le vaisseau croise une embarcation dont les passagers sont morts,
l’un d’entre eux étant de surcroît décapité. L’enquête menée par le savant l’amène
à la conclusion que des monstruosités du dehors sont friandes de cerveaux
humains, et notamment ceux de personnes possédant une grande intelligence. Un
piège leur sera tendu sur le pont du navire, et Williamson ne sera sauvé in
extremis que par l’intervention du capitaine qui avait compris que le bateau
s’était engagé dans une dimension maléfique qu’il fallait quitter de toute
urgence. Le savant sort de cette aventure ravi, car il a pu récolter
suffisamment de matière première pour rédiger son étude sur les Créatures du
Dehors.
Avec L’Envahisseur des Profondeurs (The
Malignant Invaders, 1932, première traduction), l’auteur nous fait retrouver
le professeur Williamson, auteur de Le Monde Souterrain : un essai sur
ses étranges habitants. Il sort d’une conférence où il a cherché à
développer une théorie révolutionnaire : J’ai la conviction que nous
sommes cernés par des forces qui nous veulent le plus grand mal et que nous
deviendrions fous si nous pouvions apercevoir les êtres qui se terrent et
creusent leur chemin dans le sol, sous nos pieds. Mais force est d’admettre
qu’il a fait un bide et qu’il a dû écourter sa conférence sous les huées du
public. Il se réfugie au bord de la plage pour méditer sur son échec, reprenant
sa démonstration en détail sans lui trouver de faille. Absorbé par ses pensées,
il ne remarque pas les petites boules gélatineuses qui remuent sur le sable.
Des tentacules en jailliront et l’entraîneront dans les profondeurs. Un quidam
observera la scène et reviendra avec un ami pour mener l’enquête. Le même
phénomène se reproduira et les deux compères ne s’en sortiront que de justesse.
Sombre éveil (Dark Awakening, (1980,
in « Livre Noir », Pocket 1991) est un petit texte attachant, mettant
en scène un jeune citadin venu se reposer dans une pension de famille, sur la
côte de Nouvelle-Angleterre. Il sympathise avec sa voisine au restaurant, une
jeune veuve avec ses deux enfants. Lors d’une promenade au bord de la plage, le
petit garçon s’échappe et tombe dans un trou d’eau caché entre les rochers. Il
réussira à le ramener à la surface et constate qu’il serre dans sa main un
objet qu’il lui est difficile d’extirper. Il s’agit d’une « médaille »
représentant un abominable être marin. Il la prendra à son tour et se
précipitera vers l’océan en tenant des propos difficilement compréhensibles,
sur le thème « je vais les rejoindre ». Ce sont les deux enfants qui
le sauveront. Il apprendra de retour à la pension de famille qu’une secte
ésotérique était passée là quelques semaines auparavant et se réunissait près
du trou d’eau.
Le récit dénote de la prose habituelle de
F.B.L. et laisse place à une tendre idylle qui semble naître entre le voyageur
et la jeune veuve. On a le sentiment de lire un bref résumé de ce qui aurait pu
être une nouvelle consistante, donnant plus d’épaisseur aux personnages et les
lançant dans une aventure intéressante à la recherche de la secte mystérieuse.
Il faudra 55 années pour que F.B.L se
décide à reprendre la plume pour donner une suite à sa nouvelle culte. Le
passage vers l’éternité (Gateway to Forever, 1984, première
traduction) met en scène Thomas Granville qui vit seul dans un manoir, suite au
décès de sa femme, et mène des recherches dans le domaine de l’expansion de la
conscience. La solitude lui pèse et il se rend un soir dans un « bar à
rencontres » où il va faire la connaissance d’une jeune femme, ravissante
et mystérieuse. Le courant passe entre les deux et chacun se raconte,
permettant à Thomas d’apprendre que la jeune femme et son oncle travaillent sur
le même sujet. L’oncle est momentanément absent et elle l’invite à visiter la
demeure familiale, située dans un quartier décrépi, mais richement décoré… et
particulièrement bien approvisionné en drogues de toutes sortes. Un immense
tableau attire son attention et semble l’hypnotiser. Dans un décor de désert
dans lequel il pénètre, il retrouve l’oncle poursuivi…. par les chiens de
Tindalos.
Outre l’extrait du Necronomicon déjà
cité, l’ouvrage se termine par quelques poèmes dans grand intérêt sauf celui,
touchant, dédié à Lovecraft.
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