mercredi 19 décembre 2012

DES FINS DU MONDE EN PAGAILLE

Bugarach: "La fin du monde est une notion relative"

Par , publié le
Enseignant en art et auteur d'un beau livre* sur le sujet, Jean-Noël Lafargue revient sur les grands mythes eschatologiques.
Bugarach: "La fin du monde est une notion relative"
FIN DU MONDE - "Même l'éclipse de 1999 a fait moins de bruit" que la fin du monde annoncée pour le 21 décembre 2012.
Christian Bellavia pour L'Express
A quand remonte la première annonce de fin du monde?
Le plus ancien récit de fiction connu est le poème dit du "Supersage", écrit en sumérien, qui date du xviiie siècle avant notre ère. Il sera fondu plus tard avec l'épopée de Gilgamesh, narrant les tribulations de ce personnage héroïque de la Mésopotamie antique. Ce texte raconte comment les dieux décident un jour de noyer les humains au motif qu'ils ne les supportent plus. Un seul survit à cette apocalypse. On retrouve à peu près les mêmes descriptions dans la Bible.
La fin du monde est-elle souvent confondue avec la fin de l'homme?
Ce terme recouvre en général la catastrophe elle-même, à laquelle survivent souvent certains justes. Le récit du Ragnarök des Vikings, cependant, parle de la destruction totale de l'univers, tout comme la science moderne, d'ailleurs, mais à plus longue échéance. En revanche, depuis l'invention de la bombe atomique, l'homme s'est mis à envisager la possibilité nouvelle de se détruire lui-même. Jusqu'alors, seules des forces supérieures étaient censées se faire le bras armé de cette punition.
Toutes les religions prédisent-elles la fin du monde?
Cela dépend, là encore, de ce que l'on inclut dans cette notion. Les Grecs anciens, les bouddhistes, les hindouistes ou les Mayas croient aux cycles, et donc à la fin d'un monde plutôt qu'à la fin du monde. Pour les chrétiens, l'affaire est plus complexe. Dans le livre de Daniel, par exemple, la fin du monde est une sorte de réparation, ce que dit aussi l'islam. Dans son Apocalypse, Jean de Patmos confirme que Dieu tuera les hommes et ne fera revivre que ceux qui le méritent. Il décrit l'avènement de la Jérusalem céleste, un lieu de perfection où il n'y a plus d'Histoire, de temps ni de matière. La fin du monde est une notion relative.
A qui profitent ces prophéties?
Beaucoup ont joué le catastrophisme pour tenter d'imposer un changement social, comme par exemple certains successeurs du prophète calabrais du xiie siècle Joachim de Flore. Ils prônaient une sorte de communisme avant l'heure et l'égalité entre hommes et femmes. L'apocalypse qu'ils annonçaient était le prétexte à ce renouveau politique. Luther les imitera pour mener à bien sa réforme; il était sans doute persuadé, comme Calvin, qu'il connaîtrait la fin du monde de son vivant. Cela était fréquent en ce temps-là et ne paniquait pas plus que ça les populations. A Münster, les anabaptistes, premiers hérétiques du protestantisme, ont, eux, créé un régime théocratique et leurs chefs se sont autoproclamés empereurs des derniers jours, chargés de fonder la Nouvelle Jérusalem. Après avoir instauré la communauté de biens et la polygamie, ils ont été persécutés. Depuis, les prédicateurs de ce genre ont fait florès - jusqu'aux Etats-Unis actuellement -, mais aucun ne s'est imposé.
Avait-on déjà vu un tel battage autour de ce thème?
Non, même l'éclipse de 1999 a fait moins de bruit. Mais, à l'époque, les gens n'avaient pas comme aujourd'hui le sentiment d'arriver à la fin d'un cycle, et les réseaux sociaux n'existaient pas. Aucune secte, aucun prophète ne revendique cette date précise du 21 décembre, lancée en 1987 par un obscur artiste new age, sans doute parce que ce jour correspond au solstice d'hiver. Jamais les Mayas n'ont parlé du 21 décembre ou de Bugarach. Ce remue-ménage est à mon sens un prétexte pour exorciser nos inquiétudes et pouvoir en rire.
Les Fins du monde, de l'Antiquité à nos jours, par Jean-Noël Lafargue. François Bourin éd., 306 p., 45 euros.

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