THE LAMB LIES DOWN ON
BROADWAY
Interprétation et
traduction : El Jice.
Il s’agit probablement du plus grand concept album
réalisé depuis toute l’histoire du rock et certainement du rock
progressif. Il est l’aboutissement de la
carrière du grand groupe sous l’inspiration magique de l’Archange. A la fois surréaliste et social, il rejoint
un peu la trame onirique d’un Alice au
Pays des Merveilles de Lewis Carroll.
Sexe, magie et absurde, tout y est.
Le dénouement lui-même rejoint l’hallucinante histoire du Prisonnier de Patrick Mac Goohan,
retranscrit en roman par Thomas Disch.
Voici l’histoire de Raël, héros intemporel.
Raël est donc le nom du héros de cette aventure
étrange mise en scène par Genesis et, surtout, Peter Gabriel en 1974. A l’instar d’une certaine tranche de zonards
de la fin du 20e siècle, le héros incarné sur scène par le chanteur de Genesis
passe son temps à étaler proses succinctes et images de goût douteux sur les
murs des tunnels du métro new-yorkais.
Il est Portoricain. Son
look ? Typique du voyou des villes, veste de cuir, blue-jeans,
baskets. L’uniforme parfait dont se
régale la matraque du flic qui ne vaut souvent pas mieux que le vandale.
Au moment où commence l’histoire, Raël sort des
bouches du métro New-Yorkais, le pistolet à peinture dans la main, fier de son
travail de badigeonneur. Devant lui
s’étale la ville qui gronde d’une éternelle vie nocturne. Mais quelque chose d’étrange est en train de
se passer. Une sorte d’entité solide et
éthérale à la fois descend sur la ville et fonce sur notre héros (Fly on the Windshield). Cette entité ressemble à un mur où sont
projetées les mémoires du passé. Raël y
voit Fred Astaire, des héros de papier, des majorettes et Caryl Chessman
lui-même (Broadway Melody of 1974). Ce masque sent la mort et tombe lentement sur
Time Square. Raël se trouve soudain paralysé, il assiste impuissant à la
progression rapide de ce mur vers lui et la chose finit par le percuter de
plein fouet, le dématérialisant au Réel.
Le voici dans une sorte de caverne, flottant et
emprisonné dans un cocon duveteux, se demandant ce qui a bien pu lui arriver si
soudainement (Cuckoo Cocoon). La caverne est gigantesque et
majestueuse. Les stalactites et
stalagmites se rejoignent en autant de colonnes naturelles. Au loin, il perçoit comme le battement
régulier d’un cœur. Alors qu’il inspecte
les lieux, il lui semble que les concrétions se rapprochent, se referment sur
lui, comme une cage dans laquelle il se retrouve bientôt prisonnier (In the Cage). Au dehors il voit une forme humaine qu’il
reconnaît pour être son frère John. Il
l’appelle à l’aide mais rien n’y fait, John le regarde impassible tandis que
les barreaux naturels formés par les concrétions se referment sur lui. « Get me out of this cage ! »,
crie-t-il, sans succès. Il passe dans un
nouveau plan tandis que, le regard fixe, son frère laisse échapper une larme de
sang.
L’endroit est rempli de gens qu’il reconnaît (The Grand Parade of Lifeless Packaging). Des potes de virée, des petits voyous comme
lui. Mais ils sont immobiles, figés dans
une sorte de catatonie qui ressemble à la mort.
Il a beau leur parler, rien n’y fait.
Chaque personnage est numéroté et au numéro 9 il reconnaît une fois de
plus son frère qui ne répond pas plus qu’auparavant à ses appels. Il comprend qu’il est en face d’une
caricature de la vie de tous les jours, d’un futur sans espoir où tout est
réglé d’avance, où tout est immuable dans l’ineptie. Alors, il fuit sans se retourner bien que
quelque chose l’invite à se joindre à eux.
Il court droit devant lui et franchit une porte qui donne sur New York.
Plutôt heureux de se retrouver dans un univers connu (Back in N.Y.C.), Raël pourtant va au
devant de nouvelles expériences frustrantes.
Ses pulsions de petite frappe reprennent le dessus et, à l’instar d’Alex
dans Orange Mécanique, il ne rêve que
de sexe et de viol (Hairless
Heart-Counting out Time). Mal lui en
prend, car la fille qu’il comptait prendre pour proie l’a pris elle-même pour
cible de ses propres instincts pervers.
Raël s’est procuré un bouquin qui va lui dévoiler tous les secrets de la
femme. Il va savoir où se trouvent les
magiques zones érogènes et pouvoir en user et abuser. C’est du moins ce qu’il croyait car il se
révèle impuissant à assouvir ses instincts.
Furieux il va rendre le livre à celui qui lui a vendu. Mais tout cela ne se passe-t-il pas dans sa
tête ? L’univers suivant a tellement l’air plus étrange et quiet à la
fois.
Il y a là un tas de gens qui semblent ramper sur un
épais tapis de laine (Carpet Crawl). Comme dans les rêves où, capturé par une
toile invisible, on tente d’échapper à un cauchemar, ces gens se dirigent vers
une porte où l’on peut fuir ce triste destin.
Il faut entrer pour en sortir.
Tel en est le paradoxe. Mais
qu’est-ce donc qui les retient ? Que l’on soit Superman ou simple mortel,
aucune puissance ne donne l’avantage à ces reptiles de carpettes qui
invariablement se dirigent vers cette lourde porte de bois.
Comme eux, Raël parvient finalement à la franchir et
il gravit un escalier en colimaçon qui se perd dans les ténèbres. Il ne peut en apercevoir le sommet. Au bout d’un temps indéfini, il parvient
malgré tout à l’atteindre et se trouve mêlé à une multitude de gens
complètement perdus qui courent en tous sens et parlent tous en même temps dans
une cacophonie indescriptible. Chacun y
va de son avis sans savoir de quoi il parle (The Chamber of 32 Doors). Il
y a là 32 portes dont une seule peut donner accès à la liberté. Raël, comme tout autre, entend les voix de
ses parents, depuis longtemps partis, de l’homme sage, de l’homme riche, du
citadin et du paysan. Chacun lui indique
une porte comme étant la bonne. Il en
devient dingue. Il ne sait qui
croire. Il a besoin de quelqu’un,
désespérément, en qui faire confiance.
Car chaque issue semble le ramener au point de départ. Et en fin de compte, il lui faut en choisir
une. Derrière celle-ci l’attend une
étrange dame, aveugle, qui lui dit de le suivre. Elle est aveugle comme le Destin et
ressemble… à la Mort (Lilywhite Lilith).
Dans la salle d’attente, deux globes d’or flottent,
mystérieux (The Waiting Room). Une forte lumière, aveuglante, terrifie Raël
qui espère quelque miracle. Vers lui
s’est dirigé l’anesthésiste surnaturel (Anyway
– Here comes the Supernatural Anaesthetist). Est-ce la mort, sa mort, il n’en sait encore
rien mais une nouvelle féerie se présente à lui sous forme d’une magnifique
salle de marbre rose. Au centre de
celle-ci une sorte de piscine aux reflets oniriques. De grands candélabres, de part et d’autre du
couloir qui l’y mène, éclairent son chemin tandis qu’il respire des parfums
capiteux et aphrodisiaques. La couleur
de l’eau est rose tendre et l’appelle.
Raël, se sentant seul, y pénètre en toute confiance. Le liquide le régénère de forces nouvelles
qu’il croyait avoir perdues. Et c’est
alors que d’étranges créatures l’entourent, des femmes magnifiques et
amoureuses dont cependant la particularité physique singulière l’interpelle. Leur corps humain à la plastique
irréprochable se termine en effet par celui du serpent (The Lamia). Les Lamies, car
il s’agit bien de cela, prodiguent alors de multiples et voluptueuses caresses
à notre héros et celui-ci vaincu se laisse aller à leurs emportements. L’une après l’autre, alors enivrée par les
sens et la passion, le mord et goûte son sang.
Mal en prend à nos créatures fabuleuses car sonne à cet instant l’heure
de leur trépas. Dans un dernier souffle,
elles susurrent qu’elles l’ont toutes aimé.
En quelques instants il ne flotte plus à la surface de l’eau devenue
bleue comme la glace les cadavres de trois Lamies que toute vie a quitté. Sans pouvoir y résister, Raël se rue sur
elles et en dévore les cadavres.
Un nouveau flottement spatio-temporel (Silent Sorrow in Empty Boats), sorte de
limbes surréels, transporte notre héros dans un autre plan. Il découvre avec horreur que son corps s’est
transformé en chose informe et grotesque gratifiée d’un sexe énorme. Un corps purulent, plein de verrues, surmonté
d’une tête monstrueuse et énorme pourvue de gros yeux globuleux (The Colony of Slippermen). Il ne peut croire à pareil sort et se trouve
bientôt entouré d’une multitude d’êtres qui lui ressemblent en tout point. Ceux-ci lui expliquent qu’ils ont également
été victimes des Lamies, de leurs caresses et du sort peu enviable qu’elles
leur ont jeté. Désespéré, Raël ne peut
croire la chose irréversible. Il leur
demande s’il n’y a aucun moyen de conjurer le maléfice et on lui conseille de
consulter le Docteur. Peut-être a-t-il
la solution mais quel en sera le prix ?
Raël ne peut se résoudre à rester dans cette apparence
grotesque et c’est donc sans hésitation qu’il consulte l’homme de science qui
directement et sans tergiverser lui annonce que la seule solution réside dans
la castration pure et simple de notre héros.
Se rappelant sans cesse son aspect monstrueux, Raël sans hésitation
donne son accord au docteur pour qu’il procède à l’ablation de sa
virilité. Le docteur ayant opéré, il
place le sexe de Raël dans un tube de plastique jaune et le lui donne. L’infortuné héros veut le mettre autour de
son cou mais surgit alors du ciel un énorme corbeau qui lui fonce dessus. Sans pouvoir esquisser le moindre geste de
défense, Raël se voit voler une seconde fois sa virilité. L’oiseau, sa rapine faite, s’envole au-dessus
d’un grand fleuve et laisse notre héros sur la berge, anéanti.
Il erre alors, la tête basse, le long du ravin qui
borde le grand fleuve (Ravine). Des images du passé resurgissent dans sa
tête. Il sent la mélancolie l’envahir et
alors se passe un miracle : une porte s’ouvre dans la roche, donnant accès
au monde qu’il a quitté il y a tellement de temps. New York apparaît et l’invite à rejoindre son
monde, sa réalité. Il doit cependant
faire vite car déjà la porte se referme tandis que meurent les lumières sur
Broadway (The Light dies down on Broadway). Raël a presque pris sa décision quand un cri
retentit derrière lui venant des flots tumultueux du large fleuve. Le regard de Raël croise celui de son frère
John, en train de se noyer. Eperdu, Raël
voit la porte lentement mais sûrement se fermer, lui supprimant tout espoir de
rejoindre son univers. Il croise une fois de plus le regard implorant de John
en train de succomber aux flots (Riding
the Scree – In the Rapids).
N’écoutant que sa conscience, Raël plonge dans les
rapides et, remontant le courant du Scree tourmenté, il atteint la forme
presque mourante de son frère et l’agrippe.
C’est alors qu’il se rend compte que celui-ci n’est autre que lui-même. En fin de compte, tout cela n’était-il pas
sous ses yeux, dans sa tête, partout et toujours. Une sorte de reflet de sa propre
réalité ? Le miroir de son âme (It) ? La seule chose qui restera mystérieuse ou
tout simplement mystique, c’est la présence de cet agneau mort dans Broadway.
El Jice (septembre 2001).
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