L'affaire de La sapinière. Intégrisme et
catholicisme intégral par Emile Poulat, Editions L'Oeil du Sphinx, collection La Bibliothèque d'Alexandrie.
La
Sapinière est une société secrète catholique intégriste
anti-républicaine et anti-maçonnique dont le fondateur Mgr Benigni
fut proche des mouvements fascistes de l’époque. Anti-moderniste,
Cette « Compagnie de Pie », « Sodalitium Pianum » en latin, qui s’opposa
notamment à la « Compagnie de
Jésus », fut fondée en 1909, sous le pontificat de Pie X et dissoute
en 1921 mais elle connut des prolongements, au moins idéologiques,
jusqu’à notre époque.
Emile
Poulat, directeur d’études à l’EHESS et au CNRS, consacra une étude
importante à La Sapinière, publiée en 1969 chez
Casterman. Cette étude fait toujours référence et il semblait
nécessaire de la rééditer. En effet, Emile Poulat analyse une
documentation originale importante, mettant en évidence les activités
réelles de ce réseau, démontrant l’absence de fondements de nombre
d’écrits de l’époque consacrée à La Sapinière. Il clarifie une période
trouble de l’Eglise et ce que recouvre le terme
d’intégrisme :
« Qu’est-ce alors que l’intégrisme ? En son sens strict et premier, un parti
politique espagnol fondé vers 1890 sous l’invocation du Syllabus,
avec lequel, cependant, Benigni ne veut avoir aucun lien (…). Au début
du siècle, du temps même de Léon XIII, le mot
s’oppose en France à progressisme en matière d’exégèse biblique ;
dans les dernières années de Pie X, il désignera tous ceux qui
combattent l’ouverture politique et sociale du catholicisme
par n’importe quel moyen, y compris la délation ; plus tard, les
adversaires de toute ouverture, qui confondent « la dévotion au passé
avec la fidélité à l’éternel ». En Espagne,
ce sont les intégristes eux-mêmes qui se sont choisis ce nom ; en
France, il ne s’applique jamais qu’à des adversaires ; hors de ces deux
pays, on l’ignore, bien qu’il commence à faire
ça et là son apparition, et par exemple en Italie. Ceux qu’il vise
se présentaient sous pie X comme des « catholiques intégraux » ou en
Autiche-Hongrie, des
« inconditionnels » (unbedingt).»
Depuis 1969, le mot a connu un développement considérable et est désormais utilisé pour désigner de multiples crispations,
religieuses, politiques, culturelles, intellectuelles ou même personnelles.
Emile Poulat poursuit :
«
La banalité du phénomène l’a longtemps dissimulé. En réalité, il
correspond à cette longue période de
l’Eglise en état de siège, qui s’étend entre l’Eglise en état de
mission dont on parle tant aujourd’hui et l’Eglise en état de chrétienté
dont commence seulement à disparaître la nostalgie.
L’image de deux camps opposés, tirant chacun de son côté depuis plus
d’un siècle, les uns pour « réconcilier l’Eglise et la société
moderne », les autres pour « défendre l’héritage
du passé », n’est pas seulement simpliste : plus encore, elle est
fausse et gravement déformante. (…)
Il
faut en revenir à Pie IX : « Ce qui afflige votre pays et l’empêche de
mériter les
bénédictions de Dieu, c’est ce mélange de principes. Je dirai le mot
et je ne le tairai pas : ce que je crains, ce ne sont pas tous ces
misérables de la Commune, vrais démons de l’enfer qui
se promènent sur la terre. Non ce n’est pas cela ; ce que je crains,
c’est cette malheureuse politique, ce libéralisme catholique
qui est le véritable fléau », déclarait-il le
18 juin 1871 à une députation de catholiques français venus lui
remettre une adresse qui portait plus de deux millions de signatures. Au
catholicisme libéral s’oppose dès lors le catholicisme
intégral, qui, par nature, ne peut être qu’un catholicisme social ; à
la tentation du compromis, le devoir d’intransigeance ; au refus d’une
société condamnée par ses propres erreurs,
la vision d’une Eglise porteuse de la société à instaurer ; à
l’athéisme social du laïcisme, l’ordre social chrétien du Christ-roi. »
A travers l’affaire de La Sapinière, Emile Poulat pose une question complexe : « Comment
catholicisme social et catholicisme intégral en vinrent-ils donc à
s’opposer après n’avoir été qu’un ? Voilà bien le cœur de l’affaire.
Chacune de ces deux
lignées divergentes s’affirme seule fidèle à l’héritage et reproche à
l’autre d’avoir changé de camp. »
La
Sapinière ne peut se réduire à une société conservatrice,
anti-moderniste, anti-laïque et anti-maçonnique, elle est le
symptôme d’une crise de l’Eglise de Rome qui a des prolongements de
nos jours. Le travail d’Emile Poulat permet, encore aujourd’hui, de
sortir du champ de la polémique pour entrer dans celui de
l’histoire et de la sociologie des religions.
Les Editions L’œil du Sphinx, 36-42 rue de la Villette, 75019 Paris, France.
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