Entretiens avec des vampires
Le vampire - 01/03/2013 par Alexis Brocas dans Mensuel n°529 à la page 40 (467 mots) | Gratuit
Increvable vampire ! La tradition populaire et la
littérature lui ont fait subir toutes les incarnations, toutes les
transformations - parfois toutes les indignités.
Et pourtant, il demeure, dans sa
puissance archétypale, trônant au sommet de notre taxinomie fantastique,
éclaboussant de son éclat noir le reste du bestiaire traditionnel,
lycanthropes et autres goules, qui lui cèdent en élégance comme en
pouvoirs de fascination.
À l'heure où le vampire met les foules adolescentes en émoi, comment expliquer une telle pérennité ? En notant d'abord que le vampire nous vient de la nuit primordiale : son ombre s'esquisse avec nos premières sépultures, qui, comme le rappelle Daniel Sangsue (1), peuvent aussi bien servir à honorer les trépassés qu'à les empêcher de revenir. Il commence à prendre forme pendant l'Antiquité, par le lien entre sang et culte des morts. Avant même de se concrétiser dans la figure du vampire, les fonctions vampiriques étaient là, disséminées dans de multiples créatures : hématophagie, goût pour la nuit, affiliation au mal...
Le vampire tel que nous le connaissons est le produit d'une catalyse : celle d'éléments légendaires, historiques ou fictifs que réussit Bram Stoker dans son chef-d'oeuvre Dracula. Son comte éponyme reste notre grand référent vampirique, à l'aune duquel se définissent les armées de successeurs. Inscrit dans ses traits définitifs depuis le début du XXe siècle, le vampire semble paré pour l'éternité des lettres. Ce n'est cependant pas la littérature qui a inventé le vampire, mais le génie populaire - l'envers vertueux des superstitions -, comme le révèlent les très étranges faits divers vampiriques qui épouvantèrent les populations des Balkans au XVIIIe siècle. S'appuyant sur ces récits, le bénédictin dom Calmet tenta même de recruter le vampire comme cinquième colonne de la pensée surnaturelle - et donc comme paradoxal défenseur de la religion - contre les menaçantes Lumières, lesquelles répliquèrent dans l'article « Vampire » de leur Encyclopédie.
Le vampire, un enjeu de débat intellectuel ? Il l'est toujours aujourd'hui, quoique différemment : dans notre époque à la fois préoccupée de normes et tentée par le relativisme, où la question des minorités apparaît difficilement soluble, le vampire peut incarner une marginalité avide de rentrer dans le rang aussi bien que celle qui s'y refuse. Il peut même porter la bannière d'une forme de réaction puritaine, comme dans la série Twilight, destinée à la jeunesse. Et celle de la lutte anticapitaliste, quand d'autres auteurs populaires (Chuck Hogan) interprètent à la lettre une vieille métaphore comparant le patronat aux suceurs de sang. Cette polymorphie à la fois perverse et fertile aurait pu brouiller les contours de l'archétype. Le vampire en sort à la fois intact et enrichi. Le Dracula de Stoker prétendait conquérir l'Angleterre. Un siècle après sa mort sous les lames de Jonathan Harker et de Quincey Morris, il semble avoir acquis le pouvoir d'organiser un monde entier autour de lui.
À l'heure où le vampire met les foules adolescentes en émoi, comment expliquer une telle pérennité ? En notant d'abord que le vampire nous vient de la nuit primordiale : son ombre s'esquisse avec nos premières sépultures, qui, comme le rappelle Daniel Sangsue (1), peuvent aussi bien servir à honorer les trépassés qu'à les empêcher de revenir. Il commence à prendre forme pendant l'Antiquité, par le lien entre sang et culte des morts. Avant même de se concrétiser dans la figure du vampire, les fonctions vampiriques étaient là, disséminées dans de multiples créatures : hématophagie, goût pour la nuit, affiliation au mal...
Le vampire tel que nous le connaissons est le produit d'une catalyse : celle d'éléments légendaires, historiques ou fictifs que réussit Bram Stoker dans son chef-d'oeuvre Dracula. Son comte éponyme reste notre grand référent vampirique, à l'aune duquel se définissent les armées de successeurs. Inscrit dans ses traits définitifs depuis le début du XXe siècle, le vampire semble paré pour l'éternité des lettres. Ce n'est cependant pas la littérature qui a inventé le vampire, mais le génie populaire - l'envers vertueux des superstitions -, comme le révèlent les très étranges faits divers vampiriques qui épouvantèrent les populations des Balkans au XVIIIe siècle. S'appuyant sur ces récits, le bénédictin dom Calmet tenta même de recruter le vampire comme cinquième colonne de la pensée surnaturelle - et donc comme paradoxal défenseur de la religion - contre les menaçantes Lumières, lesquelles répliquèrent dans l'article « Vampire » de leur Encyclopédie.
Le vampire, un enjeu de débat intellectuel ? Il l'est toujours aujourd'hui, quoique différemment : dans notre époque à la fois préoccupée de normes et tentée par le relativisme, où la question des minorités apparaît difficilement soluble, le vampire peut incarner une marginalité avide de rentrer dans le rang aussi bien que celle qui s'y refuse. Il peut même porter la bannière d'une forme de réaction puritaine, comme dans la série Twilight, destinée à la jeunesse. Et celle de la lutte anticapitaliste, quand d'autres auteurs populaires (Chuck Hogan) interprètent à la lettre une vieille métaphore comparant le patronat aux suceurs de sang. Cette polymorphie à la fois perverse et fertile aurait pu brouiller les contours de l'archétype. Le vampire en sort à la fois intact et enrichi. Le Dracula de Stoker prétendait conquérir l'Angleterre. Un siècle après sa mort sous les lames de Jonathan Harker et de Quincey Morris, il semble avoir acquis le pouvoir d'organiser un monde entier autour de lui.
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