Bugarach, ouf, c'est bientôt fini!
Vivement l'apocalypse: le petit village de l'Aude devenu une
attraction planétaire attend avec impatience le 21 décembre. Quand les
illuminés, les extraterrestres et les équipes de télé auront enfin
rembarqué.... Impuissant face au phénomène, le maire, lui, ne rit plus.
Le 21 décembre prochain, à minuit trente-deux, le monde ne s'arrêtera peut-être pas de tourner
mais, quoi qu'il advienne, Bugarach (Aude), son pic, sa légende et ses
180 habitants, sans compter les extraterrestres, en sera le centre.
Depuis deux ans, ce trou paumé au fin fond des Corbières a conquis une
notoriété planétaire, suscitant fantasmes et documentaires à foison.
Selon les oracles de l'apocalypse, c'est d'ici que devrait décoller
l'ovni à bord duquel une poignée d'élus réchappera du grand chaos.
Forcément, ça vous pose un village, fût-il réputé jusque-là pour son
fromage de chèvre.
> Lire aussi notre dossier sur la fin du monde
Il aura donc suffi d'un calendrier maya en instance de péremption et d'une vieille blague selon laquelle le pic de Bugarach émettrait, du fond de ses entrailles magnétiques, d'étranges bruits de moteur, pour que naisse la fable qui, aujourd'hui, inquiète les plus hautes autorités. Sur ordre du préfet de l'Aude, Eric Freysselinard, un bataillon de spéléologues fouille actuellement les grottes de la "montagne sacrée" à la recherche d'éventuels illuminés en salle d'embarquement interstellaire. Dès le 18 décembre, le village sera bouclé par une centaine de gendarmes. Et le jour J, une antenne de pompiers, doublée d'une cellule d'urgence psychiatrique, se tiendra prête à intervenir. Monsieur le préfet se demande encore s'il doit prévoir un service de restauration et l'installation de W-C chimiques dans ce bled dépourvu de toute infrastructure. "En même temps, je ne vais quand même pas organiser la fin du monde !" se reprend-il, d'un ton martial.
Des catastrophes, et des sévères, la planète s'en est vu promettre d'autres. De Nostradamus aux astronomes du peuple quiché, ce n'est que la 242e fois qu'on lui prédit l'apocalypse. Mais la prophétie de 2012 surpasse toutes ses devancières. Premier Armageddon de l'ère Internet, sa réputation a décollé à la vitesse d'une soucoupe volante. Personne ne sait exactement quand et comment Bugarach et ses quelques soixante-huitards en rupture de vie citadine se sont trouvés mêlés à cette affaire d'almanach guatémaltèque. Dans le dédale des blogs ésotériques, il faudrait des années pour retrouver l'auteur de ce coup de génie. Or, on n'a plus le temps.
En ce début décembre, L'Express n'est pas tout seul à Bugarach. Des équipes de télé y battent la semelle comme devant le siège de l'UMP un jour de retrouvailles Copé-Fillon. Le pic disparaît dans les nuages, les deux rues du village, sont désespérément vides. Venus de Paris, de Bruxelles, de Zurich et même de Moscou, des journalistes traquent le quinquagénaire barbu roulant ses cigarettes à la main dans l'espoir de dénicher un "babo", un "crudi", voire un "ufo", comme disent les agriculteurs du coin. Souvent, le type écarte les micros, l'air navré. Il est, lui aussi, journaliste. C'est juste qu'il ne s'est pas rasé.
Ce matin-là, à Bugarach, le maire épluche son courrier du jour. La première lettre émane d'un certain Gérard S., dont l'adresse mail témoigne qu'il travaille dans un ministère d'importance. "Contrairement aux rumeurs les plus fantaisistes propagées par divers médias, je dois vous préciser qu'une catastrophe majeure n'est pas inéluctable, écrit-il, rassurant. A condition que je puisse accomplir la tâche qui m'a été confiée par les autorités divines..." En l'occurrence, prononcer un discours au sommet du pic de Bugarach, le 21 décembre prochain. "Il conviendrait qu'une équipe de télévision puisse être présente à mes côtés", glisse notre sauveur sur le ton de l'évidence.
D'un air las, Jean-Pierre Delord décachette la seconde missive, postée dans le Nord, celle-ci. Son auteur y affirme, entre autres, que "les deux policiers des Renseignements généraux rencontrés au Café de Paris, à Lille, le 8 septembre 2010, à la demande de Nicolas Sarkozy" croient en ses théories d'invasion extraterrestre, plus largement développées sur le blog "Crop circles contact". C'est à ce moment-là que le téléphone sonne. Au bout du fil, Gérard Palaprat, immense interprète de Pour la fin du monde ("Mets dans ta valise une simple chemise, pour la fin du monde, pas de vêtement..."), disque d'or en 1971. L'artiste tient à assurer le maire de Bugarach de sa solidarité. S'il peut lui être d'un quelconque secours, il n'hésitera pas à prendre le train pour les Corbières afin de calmer les ardeurs des gourous de supermarché. Jean-Pierre Delord lui fait part de sa plus haute considération. "Et dire que l'on m'accuse d'avoir organisé toute cette dinguerie", soupire-t-il en raccrochant.
Ainsi va la vie dans ce coin de France si longtemps ignoré par la folie du monde. Et après l'apocalypse, au fait, il se passe quoi? C'est Noël! A Bugarach, cette année, Jean-Pierre Delord a décidé de faire sobre. Ni sapins, ni guirlandes. Rien de rien. Même le traditionnel repas collectif du 25 décembre a été sacrifié. Un petit loto, peut-être? "Non! rugit monsieur le maire. Moi, après la fin du monde, je me barre en vacances!" Puisse-t-il être entendu...
> Lire aussi notre dossier sur la fin du monde
Il aura donc suffi d'un calendrier maya en instance de péremption et d'une vieille blague selon laquelle le pic de Bugarach émettrait, du fond de ses entrailles magnétiques, d'étranges bruits de moteur, pour que naisse la fable qui, aujourd'hui, inquiète les plus hautes autorités. Sur ordre du préfet de l'Aude, Eric Freysselinard, un bataillon de spéléologues fouille actuellement les grottes de la "montagne sacrée" à la recherche d'éventuels illuminés en salle d'embarquement interstellaire. Dès le 18 décembre, le village sera bouclé par une centaine de gendarmes. Et le jour J, une antenne de pompiers, doublée d'une cellule d'urgence psychiatrique, se tiendra prête à intervenir. Monsieur le préfet se demande encore s'il doit prévoir un service de restauration et l'installation de W-C chimiques dans ce bled dépourvu de toute infrastructure. "En même temps, je ne vais quand même pas organiser la fin du monde !" se reprend-il, d'un ton martial.
Des catastrophes, et des sévères, la planète s'en est vu promettre d'autres. De Nostradamus aux astronomes du peuple quiché, ce n'est que la 242e fois qu'on lui prédit l'apocalypse. Mais la prophétie de 2012 surpasse toutes ses devancières. Premier Armageddon de l'ère Internet, sa réputation a décollé à la vitesse d'une soucoupe volante. Personne ne sait exactement quand et comment Bugarach et ses quelques soixante-huitards en rupture de vie citadine se sont trouvés mêlés à cette affaire d'almanach guatémaltèque. Dans le dédale des blogs ésotériques, il faudrait des années pour retrouver l'auteur de ce coup de génie. Or, on n'a plus le temps.
En ce début décembre, L'Express n'est pas tout seul à Bugarach. Des équipes de télé y battent la semelle comme devant le siège de l'UMP un jour de retrouvailles Copé-Fillon. Le pic disparaît dans les nuages, les deux rues du village, sont désespérément vides. Venus de Paris, de Bruxelles, de Zurich et même de Moscou, des journalistes traquent le quinquagénaire barbu roulant ses cigarettes à la main dans l'espoir de dénicher un "babo", un "crudi", voire un "ufo", comme disent les agriculteurs du coin. Souvent, le type écarte les micros, l'air navré. Il est, lui aussi, journaliste. C'est juste qu'il ne s'est pas rasé.
Chaque jour, le maire reçoit des lettres d'illuminés
Au début, toute cette agitation a ravi Jean-Pierre Delord, le maire de Bugarach depuis près de trente-cinq ans. Il s'est même pris à rêver de faire de son hameau "le Lourdes des fêlés", reconnaît-il, dans un éclat de rire. Un éclat de rire vite réprimé. Sous ses aspects drolatiques, son quotidien est hanté par l'avertissement de Serge Blisko, le président de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), qui n'écarte pas l'hypothèse d'une tragédie collective façon Temple solaire, en décembre 1995, dans le Vercors: 16 victimes, dont 3 enfants.Ce matin-là, à Bugarach, le maire épluche son courrier du jour. La première lettre émane d'un certain Gérard S., dont l'adresse mail témoigne qu'il travaille dans un ministère d'importance. "Contrairement aux rumeurs les plus fantaisistes propagées par divers médias, je dois vous préciser qu'une catastrophe majeure n'est pas inéluctable, écrit-il, rassurant. A condition que je puisse accomplir la tâche qui m'a été confiée par les autorités divines..." En l'occurrence, prononcer un discours au sommet du pic de Bugarach, le 21 décembre prochain. "Il conviendrait qu'une équipe de télévision puisse être présente à mes côtés", glisse notre sauveur sur le ton de l'évidence.
D'un air las, Jean-Pierre Delord décachette la seconde missive, postée dans le Nord, celle-ci. Son auteur y affirme, entre autres, que "les deux policiers des Renseignements généraux rencontrés au Café de Paris, à Lille, le 8 septembre 2010, à la demande de Nicolas Sarkozy" croient en ses théories d'invasion extraterrestre, plus largement développées sur le blog "Crop circles contact". C'est à ce moment-là que le téléphone sonne. Au bout du fil, Gérard Palaprat, immense interprète de Pour la fin du monde ("Mets dans ta valise une simple chemise, pour la fin du monde, pas de vêtement..."), disque d'or en 1971. L'artiste tient à assurer le maire de Bugarach de sa solidarité. S'il peut lui être d'un quelconque secours, il n'hésitera pas à prendre le train pour les Corbières afin de calmer les ardeurs des gourous de supermarché. Jean-Pierre Delord lui fait part de sa plus haute considération. "Et dire que l'on m'accuse d'avoir organisé toute cette dinguerie", soupire-t-il en raccrochant.
Ils voient des étoiles filantes rebondir sur la montagne
La petite troupe de ses accusateurs se retrouve au Relais de Bugarach, le seul commerce du village qui, hors saison, ne tire pas le rideau de fer. Dans cette épicerie new age, au milieu des bocaux de confit de pétales de rose, les conversations volent à très haute altitude. Un peu comme les "Awacs", ces avions-radars peuplés de militaires américains, que Patrice Etienne, le gérant des lieux, aperçoit souvent en train de tournicoter au-dessus du pic. Ou encore comme ces étoiles filantes que Josiane, dite Joyce, voit rebondir sur la montagne, les nuits d'automne. "Ah! oui, Josiane, celle qui boit son urine au petit déjeuner..." commentera, plus tard, Jean-Pierre Delord à son sujet. Tous ces babas dans la fleur de l'âge réfutent néanmoins la théorie du 21 décembre. Ils ne veulent pas croire à l'imminence de la fin du monde. Pour des raisons d'alignement planétaire auxquelles on n'a rien compris. Une chose est claire, en revanche, c'est qu'ils soupçonnent le maire d'avoir orchestré tout ce ramdam pour faire oublier son implication dans un dossier de construction d'éoliennes controversé. "Il n'y a qu'à voir la nouvelle voiture qu'il s'est offerte", suggère Patrice Etienne, l'air gourmand. On a vu: c'est une Kangoo achetée à crédit sur cinq ans.Ainsi va la vie dans ce coin de France si longtemps ignoré par la folie du monde. Et après l'apocalypse, au fait, il se passe quoi? C'est Noël! A Bugarach, cette année, Jean-Pierre Delord a décidé de faire sobre. Ni sapins, ni guirlandes. Rien de rien. Même le traditionnel repas collectif du 25 décembre a été sacrifié. Un petit loto, peut-être? "Non! rugit monsieur le maire. Moi, après la fin du monde, je me barre en vacances!" Puisse-t-il être entendu...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire