Joseph O’Connor nous offre, avec Le
Bal des Ombres (Rivages/Payot 2020), une petite perle : une biographie
romancée de Bram Stoker, joliment écrite et superbement traduite. Le récit commence
au début de le vie professionnelle de l’auteur, obscur employé dans une
administration dublinoise, alors que sa véritable passion est le théâtre et l’écriture.
Et de courir les salles de spectacles après son travail, pour s’abreuver des
productions de passage dont il tire des petits billets critiques pour la
presse. Et c’est suite à une notule enthousiaste qu’il rencontrera Henry
Irving, le célèbre tragédien shakespearien anglais. Sa vie va alors totalement
basculer, et malgré le manque d’enthousiasme de sa jeune femme, il décide de
suivre à Londres cet acteur hors du commun qui lui confiera la gestion de son
théâtre, le Lyceum. C’est l’occasion de découvrir un Londres victorien, entre splendeur
et décadence. On y devine la voix d’Oscar Wilde, celle de George Bernard Shaw,
et on sent la menace de Jack l’Éventreur planer dans le brouillard.
Le personnage est à la fois bourru et
tendre, travailleur forcené et manager hors pair. Il est littéralement fasciné
par le maître des lieux, qui est pourtant souvent odieux avec lui, et par la
diva de l’époque, Ellen Terry, qui n’en finit pas de ne pas flirter avec lui. On
devine chez Stoker une sexualité trouble, bien mise en lumière dans la biographie
d’Alain Pozzuoli, mais qui ne le pousse jamais à l’acte. On le voit un soir
aller dans un bar homosexuel, mais les clients étaient soit trop jeunes, soit
trop libidineux…
Le besoin d’écrire continue de le
ronger et il s’est installé un petit refuge secret dans les combles du théâtre
où il noircit des nouvelles qu’il arrive difficilement à placer, et qui seront
systématiquement vilipendées par Irving. On le voit, et c’est fort intéressant,
mûrir dans sa tête le projet de ce qui deviendra son roman culte. Il s’intéresse
aux vampires et s’inspire de Account of the Principalities of Wallachia and
Moldavia de Wilkinson (1820) et de Varney le Vampire de Ryner (1845).
Le récit est de surcroît truffé de clins d’œil : il remarque sur le cou de
sa jeune femme des égratignures bizarres ; Mina est le fantôme qui hante
le Lyceum; il embauche pour les décors un jeune artiste du nom de Jonathan
Harker mais qui est en réalité une femme travestie ; il rencontre dans un hospice
un fou très distingué qui mange des créatures vivantes comme le fera Renfield….
Le roman paraîtra en 1897 ; il n’aura
aucun succès. Bram Stoker le fera jouer au théâtre devant une salle vide. Il
recevra dans un rêve une lettre de Dracula l’injuriant pour l’avoir ridiculisé
dans son livre… Puis ce sera la fermeture du théâtre, la mort d’Irving et la
solitude du vieil homme dans un hospice pour handicapés. On lâche le livre avec
un sentiment de tristesse, en se disant : que de ratages dans de si beaux
décors…
Illo "Crème et Marron" (C)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire