Des illusions et leur réalité
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Livres
L’éruditissime Umberto Eco nous livre une "Histoire des lieux de légende".
Des lieux généralement nés de l’imagination d’un narrateur ou d’un poète.
Apeine paru, le mois dernier chez Bompiani,
voici déjà en traduction française le nouvel opus d’un Umberto Eco qui
soufflera ses 82 bougies le 5 janvier prochain.
Figure phare de l’intelligentsia européenne, docteur honoris causa d’une
trentaine d’universités, ce Pic de la Mirandole se sera intéressé
autant à la scolastique médiévale qu’à la culture populaire
contemporaine - bandes dessinées incluses (une case mémorable du
"Sceptre d’Ottokar" d’Hergé figurant d’ailleurs dans ce livre) -, en
arpenteur éclairé des champs de l’art, de la linguistique et de la
philosophie. Professeur émérite de l’Université de Bologne, il y fut
titulaire de la chaire de sémiologie puis directeur de l’Ecole
supérieure des sciences humaines. Cet éminent membre associé de
l’Académie royale de Belgique (depuis mars 2011) doit cependant son
intercontinentale célébrité à ses romans. Particulièrement au premier,
paru en 1981 - et couronné alors en Italie par le prix Strega - puis
chez Grasset, l’année suivante. Elevé au rang de livre culte (si
rébarbatif put-il paraître aux yeux de pas mal de lecteurs qui
s’interdirent de l’avouer), "Le Nom de la rose" a été traduit en plus de
vingt-cinq langues et vendu à quelque vingt millions d’exemplaires. Un
succès alimenté par la peu ragoûtante adaptation cinématographique qu’en
réalisa Jean-Jacques Annaud en 1986, avec Sean Connery dans le rôle de
Guillaume de Baskerville (nom qui renvoie évidemment au "Chien des
Baskerville" de Conan Doyle, l’une des plus fameuses enquêtes du
détective Sherlock Holmes). Aujourd’hui, Eco ne nous offre pas un
nouveau roman (son dernier, "Le Cimetière de Prague", sortit en 2011)
mais un essai à dizaines d’illustrations, dans la ligne de son "Histoire
de la beauté" de 2004 que suivirent "Histoire de la laideur" en 2007 et
"Vertige de la liste" en 2009. Comme dans ceux-ci, Eco (ainsi que le
nota le magazine "L’Histoire")"rend la culture savante accessible au grand public". Grand public supposé doté, quand même, d’une certaine culture générale.Dans ce survol critique-ci, le romancier du "Pendule de Foucault" rappelle, dès l’incipit, que les territoires et lieux légendaires dont il s’agit sont "tantôt de véritables continents, comme l’Atlantide, tantôt de pays ou de châteaux et, dans des cas comme celui de la Baker Street (photo ci-dessus) de Sherlock Holmes, d’appartements." A la différence de dictionnaires des lieux fantastiques et fictifs (dont Eco souligne qu’à ses yeux "le plus complet" est le "Dictionnaire des lieux fantastiques" d’Alberto Manguel et Gianni Guadalupi) qui répertorient des lieux inventés, on s’intéressera ici à des territoires et à des lieux qui, "de nos jours ou par le passé, ont donné naissance à des chimères, à des utopies et à des illusions, car beaucoup de gens ont vraiment cru qu’ils existaient ou avaient existé quelque part." Et le prodigieusement cultivé essayiste de "La Production de signes" de préciser que ces territoires et lieux légendaires appartiennent à des genres variés : "ils ont une seule caractéristique commune : qu’ils relèvent de mythes très anciens, dont l’origine se perd dans la nuit des temps, ou qu’ils résultent d’une invention moderne, ils ont créé , dans les deux cas, des flux de croyances. Ce livre a pour objet la réalité de ces illusions".
Ainsi, sont placés sous le projecteur d’Umberto Eco les territoires de la Bible autant que ceux d’Homère et les Sept Merveilles du monde, l’Eldorado, Montségur et le Pays de Cocagne, le Paradis terrestre mais également l’île de Salomon et la Terre australe, les migrations du Graal, Thulé et l’Hyperborée (dont parlèrent Louis Pauwels et Jacques Bergier dans "Le Matin des magiciens" qui remporta un phénoménal succès d’édition à l’aube des années 1960,) etc, etc, etc.
On sait gré à Eco de rappeler (ce qu’on apprit voici quelques années) que l’histoire du trésor de Rennes-le-Château n’est qu’un canular monté de toutes pièces, que dévoilèrent ses auteurs eux-mêmes, mais qui continue néanmoins d’aimanter des gogos.
Chaque page retient l’attention. Et laissons à de futurs chercheurs le soin de découvrir où se trouvent (si elles ne furent brisées) de très viriles sculptures d’Arno Breker et Josef Thorak à la "localisation actuelle inconnue"…
Histoire des lieux de légende Umberto Eco traduit de l’italien par Renaud Temperini Flammarion 478 pp., ill. en noir et blanc et en couleurs, env. 35 €
1 commentaire:
"On sait gré à Eco de rappeler (ce qu’on apprit voici quelques années) que l’histoire du trésor de Rennes-le-Château n’est qu’un canular monté de toutes pièces, que dévoilèrent ses auteurs eux-mêmes, mais qui continue néanmoins d’aimanter des gogos."
Vision beaucoup trop simpliste.
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