mercredi 22 avril 2020

PHILIPPE MARLIN SUR LE BLOG DE J.F. GERAULT

mercredi 22 avril 2020

Compte rendu de l’ouvrage « Conférences de Philippe Marlin aux rencontres de Berder de 2014 à 2018 » (première partie).



Le livre en question.


C’est un livre que j’ai trouvé passionnant et instructif : Conférences de Philippe Marlin aux rencontres de Berder de 2014 à 2018 aux éditions de l’Œil du Sphinx.
J’ai rencontré Philippe Marlin en l’an 1999. Il avait créé déjà depuis l’année 1989 l’association l’Œil du sphinx consacrée entre autres à l’écrivain américain de littérature fantastique Howard Phillips Lovecraft, et moi je venais de traduire deux romans d’un épigone allemand de cet auteur, Wolfgang Hohlbein, intitulés Le mage de Salem  et L’héritage de la nuit. J’ai donc adhéré à son association.
C’était l’époque des publications d’amateurs (fanzines), et toute une série de titres sortirent des presses d’origine de l’association : Dragon & Microchips (Science-Fiction, Fantastique), Murmures d’Irem  (Ésotérisme),  Rôle’ and’ Rêve  (Jeu de Rôle). Le succès rencontré (62 volumes publiés) amena les fondateurs en 2000 à doubler l’association d’une véritable structure commerciale, sous forme de SARL, Les Editions de l’Œil du Sphinx. L’entreprise multiplie désormais les incursions dans de nombreux domaines, mystères de l’histoire, fortéanisme et cryptozoologie, ufologie et parapsychologie tout en continuant à rendre hommage à H.P. Lovecraft.
Conférences de Philippe Marlin aux rencontres de Berder de 2014 à 2018 est la transcription des 8 conférences que Philippe Marlin a données aux Rencontres de Berder organisées depuis juin 2008, au départ sur l’Ile de Berder dans le Morbihan. Les Rencontres de Berder ont été créées après la disparition de l’écrivain ésotériste Jean-Charles Pichon (qui était aussi dramaturge, poète, scénariste, philosophe, et mathématicien), laissant une œuvre considérable sur l’histoire de notre temps, à la fois métaphysique et philosophique. Elles sont organisées par l’association des Portes de Thélème (label «  Le Collège des Temps »). .
Ces rencontres réunissent autour de conférences, des universitaires, des musiciens, des physiciens, des poètes, des peintres, des éditeurs, des scientifiques et des créateurs ; ils confrontent leur vision de l’avenir de notre société, voire de notre civilisation, quels que soient leurs appartenances ou leurs parcours.

Voici un extrait d’une des conférences de Philippe Marlin, Régression en littérature :

« La régression est une forme de voyage dans le passé intime de l’individu. Cette régression peut être génétique, c’est-à-dire basée sur ses propres gènes dont on va essayer de remonter la chaîne jusqu’à l’origine. Elle peut être archétypale, c’est-à-dire plonger dans l’inconscient collectif de toute l’humanité, tel que suggéré notamment par Jung. À noter que ces deux approches ne sont pas exclusives l’une de l’autre et peuvent se compléter.
La régression touche donc à des sujets comme les vies antérieures, les archives akhashiques et le rêve, ce dernier étant l’un des véhicules favoris du «voyageur». La régression enfin peut être spontanée ou faire appel à des supports.
C’est ce que nous allons étudier au travers de la littérature, analyse qui fera souvent référence à Lovecraft et à ses amis dont c’était un thème privilégié. Remonter le temps jusqu’au mystère des origines est en effet une obsession du Prince Noir de Providence, comme en témoigne cet extrait de son Carnet de 1933 (Le Tiers Livre, 2016) : Un homme tente de capturer son passé, aidé par des drogues et des musiques agissant sur la mémoire. Étend ce processus à la mémoire héréditaire, et même aux temps préhumains. Cette mémoire ancestrale lui vient par les rêves. Tente une extraordinaire reconquête de ce passé primordial... Les Grand Anciens sont au bout du chemin !
Il faut en effet ici souligner que la régression lovecraftienne n’est pas darwinienne, ne cherchant pas à nous gratifier d’un homme singe pervers. L’hérédité lovecraftienne est porteuse de tares répugnantes qui nous renvoient aux origines mêmes de l’humanité: non pas les savanes où s’égayent des d’hominidés hirsutes, mais la soupe primordiale glauque où croupissent les gigantesques et abjectes entités extraterrestres dont nous sommes issus.
RÉGRESSION ET PRODUITS PSYCHOTROPES
Le recours à la drogue comme moyen «d’élargissement des capacités de la conscience» sera popularisé dans les années soixante par des auteurs comme Aldous Huxley et Timothy Leary. C’est l’époque du LSD et des champignons mexicains.
Un bon exemple de « l’ambiance » de l’époque nous est donné dans le no 7, novembre décembre 1962, de Planète. Avec Je suis allé au paradis, Robert Graves (1895-1985) rend compte d’une expérience menée par absorption d’un champignon mexicain, le psilocybe. Une expérience assez exceptionnelle «d’ouverture de conscience» l’amenant à une vision de ce que pourrait être « le Paradis ». Graves est longuement cité par Wilson dans le chapitre « la face cachée de la lune» de L’Occulte. Il relate ses entretiens avec l’écrivain qui estimait que la nature de la poésie est liée non seulement aux facultés du subconscient mais aussi aux cultes magiques traditionnels.
Mais la littérature s’était emparée des produits psychotropes bien avant les sixties.
En Rampant dans le Chaos (1920, une révision effectuée par Lovecraft pour Elizabeth Berkeley – pseudo de Winifried Virginia Jackson –, in The United Amateur, 1920).

Un texte qui, d’après S.T. Joshi, a été profondément remanié par Lovecraft qui le cosigne du pseudo Lewis Theobald JR. Et heureusement, car le style inimitable de notre auteur sauve ce texte de la platitude. L’histoire est mince, celle des rêveries d’un fumeur d’opium qui va découvrir un mystérieux cottage au bord d’une falaise rongée par la mer (mais il n’est pas dit que nous sommes à Kingsport !) puis sera entraîné par des «anges» qui lui feront découvrir de merveilleux paysages avant de replonger dans notre monde sinistre... (in recueil L’Horreur dans le Musée).
Les Chiens de Tindalos de Frank Belknap Long (The Hounds of Tindalos, 1929).

J’ai toujours eu beaucoup de tendresse pour cette nouvelle du «cercle lovecraftien » dans laquelle FBL montre qu’il a bien intégré le process de l’horreur cosmique du Maître. Chalmers est un érudit en sciences occultes qui jongle en permanence entre les travaux du Dr John Dee et ceux d’Einstein. Et qui s’est mis entête de remonter le temps grâce à une redoutable drogue asiatique. Ce qu’il va faire sous la surveillance de son ami qui n’arrive pas à l’en empêcher. Et de plonger dans un maelstrom où il revoit toute l’histoire humaine. Et au-delà de l’homme, il pénètre dans des géométries improbables et inquiétantes où sont terrés les chiens de Tindalos. Ce sont des créatures de l’origine des temps, cherchant à traquer le mal originel. La suite est un peu téléphonée et ces sympathiques bestioles viendront faire la fête à l’importun Chalmers.
L’Ancêtre (un texte de Derleth d’après des notes de Lovecraft, The Ancestor in The Survivor and Others, Arkham House 1957).

Le narrateur (non nommé) rejoint son cousin, le Dr Ambrose Perry, dans une demeure isolée du Vermont où il s’est installé et a fait construire un vaste laboratoire. À l’aide de drogues et de musique, il se livre à des expériences de régression, remontant dans le passé à la recherche de sa mémoire ancestrale. Ambrose Perry le charge de mettre en ordre et de retranscrire ses notes d’expérience. Il s’enferme dans son laboratoire, ne prend plus ses repas et l’on entend dans la maison des bruits inquiétants alors que le chien hurle à mort. Le cousin entendra une nuit le bruit d’une créature pestilentielle s’éloigner vers la forêt. Il lancera le chien à ses trousses et retrouvera, déchiqueté par ce dernier, une abominable forme vaguement humaine : Ambrose Perry, bien sûr, qui était remonté trop loin dans le temps.
Deux contributions majeures sur la période post-sixties

Au-Delà du Réel de Paddy Chayefsky (Altered States, 1978; J’ai lu, 1979) nous plonge au cœur de la régression génétique.

Ce roman, qui sera brillamment porté à l’écran par Ken Russel en 1980, met en scène un chercheur en physiologie de l’Université de Cornell, Edward Jessup, qui travaille sur la schizophrénie et les états modifiés de la conscience. Il utilise pour ce faire un caisson d’isolation sensorielle avec immersion du cobaye dans un bain de saumure.

L’auteur s’est manifestement inspiré des travaux de John Cunningham Lily, médecin américain (1915-2001), qui avait travaillé sur le sujet et déclenché toute une vague d’engouement pour cette nouvelle technique de relaxation. Il est vrai que, combinée à l’absorption de psychotropes, elle permettrait selon certains de... rencontrer Dieu. Une petite parenthèse personnelle pour indiquer que ce type de recherche est aujourd’hui poursuivie par notre ami suisse Hugo Soder..

Edward fréquente une jeune femme, Emily, qu’il épousera. Celle-ci est anthropologue et effectue des recherches sur le langage des singes les plus évolués.

Edward ramènera d’un voyage au Mexique des produits hallucinogènes qu’il utilisera lors de ses nouvelles immersions dans le caisson d’isolation. Il régressera jusqu’au stade de l’homme primitif, et c’est un petit singe qui sortira du caisson, semant la terreur dans les couloirs de l’université et dans le Jardin zoologique où il ira se repaître de tendres antilopes. Revenu à l’état «normal» une fois les effets du produit dissipés, il pourra constater que les enregistrements de son langage ressemblent fortement à ceux réalisés par son épouse dans le cadre de ses propres travaux. 
Une nouvelle expérience amènera Jessup au-delà de sa propre identité, découvrant que l’origine de l’univers entier, de la matière avant même la vie, est inscrite dans notre ADN. Nos propres gènes s’inscrivent dans la mémoire de l’univers, du «big bang». Tout est en chacun de nous. Une approche qui rejoint du reste les avancées les plus récentes de la philosophie quantique, comme on peut le constater en lisant le dernier ouvrage de Serge Carfantan, Connaissance de la Totalité (Almora, 2017).

Et c’est entièrement métamorphosé qu’il ressurgira de cette expérience de nature quasi-religieuse. Car s’il a vu la vérité en face, celle-ci est hideuse. La vérité finale de toute chose est qu’il n’y a pas de vérité finale.

On notera que ce roman est fort bien documenté sur le plan scientifique et qu’il nous offre des moments très rafraîchissants sur le thème «savants fous», comme cette rencontre avec une bande de jeunes physiciens quantiques pour essayer de comprendre le mystère des transformations physiques du chercheur.
La Pierre Philosophale (Colin Wilson, 1969, Néo 1982) est un livre important, car s’il s’agit bien d’un roman, il se présente sur les 2/3 du texte comme un traité, aux frontières de la science, de la philosophie et de l’ésotérisme. Le personnage principal, Howard Lester, nous entraîne dans une réflexion étourdissante sur les deux sujets qui le préoccupent depuis son plus jeune âge: comment élargir ses niveaux de conscience? Est-il possible de ralentir le processus du vieillissement par une activité cérébrale soutenue? Avec un de ses compères, le savant Henry Littleway, il arrive à la conclusion que la réponse à ces questions se trouve dans le cortex préfrontal et que, moyennant une très légère intervention chirurgicale, il est possible «d’ouvrir les portes». 

Opération qu’ils ne manqueront pas d’effectuer sur eux-mêmes, nous entraînant dans une aventure puisant profondément ses racines dans la mythologie lovecraftienne. Il leur est en effet possible de voir dans le passé et de remonter aux origines de l’humanité. On touche ici au thème de la «régression génétique ». Leurs visions, confortées par la lecture d’un codex maya, Le Codex Vaticanus et d’extraits du Necronomicon repris par le manuscrit Voynich, nous font revivre la création de l’homme par les Grands Anciens, la grandeur et la décadence de Mû dont le grand prêtre était K’thlo (certainement le Cthulhu de Lovecraft nous précise l’auteur).

Les Grands Anciens disposaient d’un immense pouvoir. En observant les hommes, ils comprirent la puissance de l’imagination humaine, lorsqu’elle est nourrie d’idéal et d’optimisme. Et ils comprirent qu’il leur fallait prendre le risque de développer, aussi, la délicatesse et la précision, d’arriver à concentrer leur incroyable puissance. Ils passèrent alors par une phase d’acquisition d’un nouvel état de conscience, individualisé, au cours de laquelle ils laissèrent faire leurs instincts. Au début, ce fut un succès, jusqu’au jour où les instincts refoulés explosèrent, détruisant les civilisations de Mû et ses serviteurs humains. Seuls quelques-uns survécurent.
Voilà la première partie de ce compte rendu. C’est tout pour le moment. Amitiés à tous.

mardi 7 avril 2020

ANN RADCLIFFE CONTRE DRACULA, Bénédicte Coudière




Les « Saisons de l’Étrange » nous proposent, sous la signature de Bénédicte Coudière, un cross-over au titre alléchant, Ann Radcliffe contre Dracula (2020). Mais l’hémoglobine proposée prête à sourire, tant le scénario est invraisemblable laissant une désagréable impression de bâclé. Notre auteure anglaise est invitée à une réception chez le Comte qui peuple régulièrement son sommeil de cauchemars atroces. Mais elle décide pourtant d’y aller, emmenant mari et valet et cornaquée au travers de l’Europe Centrale par un guide aux canines pointues. Tout ce petit monde va disparaître en cours de route laissant Ann seule face à une jeune femme aux lèvres écarlates. Accueil rapide par le Comte qui la laisse avec un chat qui parle ! Elle se prépare pour le bal, aidée par une domestique exsangue. Le bal est somptueux et réunit la crème des créatures de la nuit. Ann s’intéresse surtout aux cocktails qui défilent et se prend une belle cuite dont elle sortira brutalement lorsqu’elle comprend que c’est à son tour de passer à la casserole. Heureusement, sorti de nulle part, son valet fait éclater les meubles dont les morceaux peuvent servir de pieux. Quant à elle, elle trouve une hache dans la cave, mais décide au dernier moment de laisser le Comte en vie. Elle s’enfuit avec son valet et son mari retrouvé drogué dans les sous-sols !
On est vraiment loin des Mystères d’Udolphe…