vendredi 31 mars 2023

LES CHRONIQUES D'EL'BIB : LA SYNAGOGUE DE SATAN, Stanislas Przybyszewski


 

 

La Synagogue de Satan, Stanislaw Przybyszewski, Hexen. Press, 2020. L’objet est joliment réalisé et le contenu ébouriffant. Stanislas P. (1868-1927) était un intellectuel polonais qui défraya la chronique par ses écrits engagés et par une vie pour le moins tumultueuse. On croit retrouver le souffle de Zarathoustra et la poésie de Maldoror dans ce petit essai consacré à la Main Gauche. Le Dieu des chrétiens est d’une bienveillance trompeuse, cherchant à endormir d’homme dans un océan d’ignorance. Satan est le libérateur des énergies latentes de l’individu, dans une optique très « thélémite » : Fay ce que vouldras. L’auteur illustre son propos en analysant la période des cathares, puis celle de la sorcellerie moyenâgeuse. Cette seconde « saison » est solidement documentée par des citations de textes anciens, explicites jusqu’à souvent l’insoutenable.

Une lecture dont on ne sort pas indemne !


LES CHRONIQUES D'EL'BIB : MAURICE MAGRE, LE LOTUS PERDU, J.J. Bedu


 

 

Maurice Magre, Le Lotus Perdu, Jean-Jacques Bedu (Dire, 1999). Les études sur Maurice Magre (1877 – 1941) sont peu nombreuses et celle de son disciple occitan est certainement à mettre au-dessus du panier. L’écrivain de Toulouse est un peu oublié de nos jours, alors qu’il a reçu le grand prix de l’Académie Française et frôlé de près le prix Nobel. Issu d’une famille relativement aisée, il avait tout pour mener une existence confortable et conventionnelle. Mais son goût pour la liberté et sa passion pour l’écriture l’amenèrent à choisir une autre voie, celle de la littérature qui s’ouvre presque toujours par l’emprunt du chemin de la marginalité. On le verra traverser la Belle Époque puis les Années Folles ses manuscrits sous le bras, rencontrant quelques succès d’estime généralement peu rémunérateurs. La poésie, qui fut son tremplin favori, l’amena à fréquenter les Salons de l’époque, faisant vibrer les jeunes passionarias entre les bras desquelles il aimait traquer l’illumination. Mais le sexe se doubla rapidement d’une autre drogue, plus perverse et plus addictive, l’opium qui lui donna l’illusion de lui ouvrir les portes de l’Orient. C’est au détour de ces fréquentations mondaines qu’il découvrit une autre voie de l’Éveil, celle de l’ésotérisme au travers notamment de la Société Théosophique dont il devint rapidement un fidèle adepte. On le retrouvera notamment dans ‘la Fraternité des Polaires », un groupe d’illuminés dégoulinant de bonnes intentions, comme par exemple d’éviter une nouvelle guerre mondiale par la prière collective. Il nous en parle avec beaucoup d’humour dans La Magie à Paris (cf 1934) avant de nous délivrer la synthèse de son cheminement dans La Beauté Invisible (1937). Un ouvrage remarquable, tant par le charme de son écriture que par la puissance d’une démarche qui n’est rien d’autre que d’entrouvrir les portes de l’Ailleurs et de retrouver Dieu.

Mais Maurice Magre, c’est aussi le « découvreur » de l’hérésie cathare, une dissidence du christianisme alors peu connue. Son Sang de Toulouse (1932) deviendra vite un best-seller, donnant naissance à un véritable engouement pour le soi-disant mystère de Montségur. Otto Rahn sera un des premiers à se casser les dents dans la recherche du trésor des Parfaits. Ce rejet de la religion dominante catholique, mais aussi cette traque infatigable de l’Éveil le conduiront à embrasser le bouddhisme, cette religion sans Dieu susceptible de le délivrer de son angoisse métaphysique. Une quête qui le mènera en Inde, à la rencontre de Sri Aurobindo. Il quittera ce monde en 1941 dans un profond dénuement en murmurant Esprit divin, Esprit divin.


mardi 14 mars 2023

LES POETESSES NOIRES ARRIVENT À PARIS



DIMANCHE 26 MARS, de 14h à 19h, la Librairie de l'Avenue et Thierry Sinda, en partenariat avec le 20e Printemps des Poètes des Afriques et d'Ailleurs, vous invitent au lancement de  

LA PREMIÈRE ANTHOLOGIE DE

POÉTESSES NOIRES 


"Mémoires et révoltes au féminin, Cinq lauréates du Grand Prix Martial Sinda de la poésie francographe" de Thierry Sinda (éditions Unicité)

L'évènement sera accompagné d'une dédicace, ballade poétique, scène ouverte et cocktails en partenariat avec le restaurant Antilles Grillades de Saint-Ouen





La Librairie accueillera également une mini-exposition de Pascale Coutoux, illustratrice de l'anthologie.

Lieu : Librairie de l'Avenue - Henri Veyrier

31 avenue Lecuyer, 93400 SAINT-OUEN, Marché aux puces

Metro : Porte de Clignancourt (L4) ou Garibaldi (L13)

Tram : 3b Angélique Compoint - Porte de Montmartre

Bus : 85, 95, 60, 137

Parking Porte Montmartre - Ibis Budget Hôtel

Contact : 0140119585 / librairie.avenue@wanadoo.fr

https://librairie-avenue.fr/

 

 

dimanche 12 mars 2023

LES CHRONIQUES D'EL BIB : LA FRATERNITÉ DES POLAIRES, Richard Raczynski

 


 

La Fraternité des Polaires, Richard Raczynski (Dualpha 2018). Je n’ai pas beaucoup de sympathie pour la ligne éditoriale de cette maison, mais je dois admettre qu’elle nous livre un travail sérieux et bien documenté sur un sujet controversé. L’étude tord le cou à toute une série de légendes glauques (cf 1931) et essaie d’analyser en profondeur ce qu’était cette mystérieuse fraternité. On trouve à l’origine deux occultistes italiens installés à Paris. Le premier, Mario Fille se verra remettre par un vieillard italien, le père Julian, à qui il avait rendu service un manuscrit supposé contenir un grand secret. Il n’y prêtera pas attention sur le champ, mais le montrera ultérieurement à son ami César Accomani, dit Zam Bothiva, qui découvrira qu’il contient une forme d’oracle assez sophistiquée, basée sur des transpositions de lettres en chiffres et vice versa. Cette méthode aurait été mise au point par des Sages installés en Agartha. Enthousiaste, Zam Bothiva rédige un livre sur le sujet (Asia Mystériosa et les Mystères de Polaires, Dorbon Ainé, 1930) et avec son partenaire s’investit dans une Fraternité capable d’établir le contact avec l’Agartha. Fidèle reflet des sociétés occultes de l’époque, elle baigne dans la philosophie martiniste et flirte avec la Théosophie. Son Bulletin navigue dans les eaux de la Tradition Primordiale, de la Terre creuse, du Roi caché et recourt au moyen de communication en vogue à l’époque, le spiritisme. Ses propos publics sont placés sous le signe de la bonté, de la lutte contre le mal et de la nécessaire transformation de l’homme par lui-même. Les menaces de guerre planent alors sur l’Europe, et à l’instar de Dion Fortune en son temps, la Fraternité déploie toute une mécanique de prières pour repousser l’Antéchrist. Elle attirera nombre de chercheurs en occulte et un noyau d’intellectuels comme Maurice Magre, l’auteur du Sang de Toulouse (Flasquelle, 1931). Ce dernier consacrera du reste, sous le pseudonyme de René Tilly, un chapitre sur les Polaires dans La Magie à Paris (Éditions de France, 1934). Sans avoir la preuve formelle qu’il eût appartenu au groupe[1], Conan Doyle est fortement sollicité par les adeptes au cours de séances de spiritisme fidèlement retranscrites dans les bulletins. Pas de scoop ici sur le père de Sherlock Holmes, mais un exposé très complet sur spiritualisme de l’époque.

La liaison entre les Polaires et le Graal est certainement plus le fruit d’initiatives individuelles que d’une démarche ésotérique structurée. On se souvient que le jeune Otto Rahn est venu à Paris pour se documenter sur l’Ariège et ses légendes dans la cadre d’une thèse sur La recherche du maitre Kyiot de Wolfram. Le hasard amènera l’étudiant allemand à rencontrer, à la closerie des Lilas, le poète et ésotériste occitan, Maurice Magre. Celui-ci lui conseillera vivement s’investiguer en Ariège où les cathares auraient laissé de nombreuses traces, voire de précieux artefacts. Là commence la queste de celui qui deviendra pour certains « Indiana Jones » ! Contact est pris avec Antonin Gadal, président du syndicat d’initiatives d’Ussat-les-Bains et avec la comtesse de Pujol-Murat, présidente de La Société du Souvenir et du Graal. Plusieurs groupes de Polaires se précipitent sur place, ce qui n’est pas sans défrayer la chronique locale. Ce qui vaudra à un journaliste (en mal de copie ?[2]), D. Lamothe, un article « à sensation » daté du 6 mars : Est-ce une nouvelle ruée vers l’or ? Sous la conduite d’un allemand, un groupe de Polaires se livrent à des fouilles dans la région de Massat. L’allemand en question serait un certain Rams (qui deviendra Rahu dans un second article). Ils seraient à la recherche de reliques cathares et surtout du fameux Évangile de Saint Bartélémy. Mr Gadal, président du Syndicat d’Initiative d’Ussat, proteste vivement contre ces affabulations tendant à accréditer la présence du trésor des Cathares dans la région. Otto Rahn participera lui-même à la polémique en publiant le 10 mars un article A propos des Polaires dans lequel il explique sa démarche, purement historique. La suite on la connaît. Otto Rahn s’enthousiasmera à un tel point au mystère cathare qu’il sera surpris en train de rajouter ses propres graffitis à ceux des Parfaits pour démontrer ses thèses. Il commettra Croisade contre le Graal (1933), ouvrage remarqué par Himmler qui lui commandera une suite accréditant la thèse de l’origine aryenne des Cathares, La Cour de Lucifer (1937). Il ne trouvera ni le Graal, ni le château de Montsalvage, mais sera « récompensé » par une admission au sein de la SS, groupe dont il démisionnera. On le retrouvera « suicidé » en 1939.

Quant au groupe des Polaires, et malgré ses prières régulières en faveur de la Paix, il ne pourra éviter le déclenchement de la seconde guerre mondiale et disparaîtra dans les brumes de Thulé !

 




[1] Conan Doyle n’est du reste pas répertorié dans l’excellent annuaire des membres de la Fraternité qui figure dans l’ouvrage de Raczynski.

[2] Cela me fait bien évidemment penser au « lancement de l’affaire de Rennes-le-Château » par des journalistes de L’Indépendant à Limoux !