jeudi 30 juillet 2020

LES CHRONIQUES D'EL'BIB : LOVECRAFT COUNTRY, Matt Ruff




Le titre est surprenant et pour le moins trompeur : Lovecraft Country de Matt Ruff (10/18, 2019) n’est lovecraftien que du bout des ongles, et encore. Le titre résulte de l’erreur d’une lecture de carte par Atticus, un jeune homme passionné de SF, devant traverser les États-Unis en compagnie de son oncle à la recherche de son père, dans la localité d’Ardham. On imagine la déception du fan lorsqu’il comprendra que l’on ne va pas chez Lovecraft à Arkham ! Mais là n’est pas l’intérêt de ce gros thriller, habilement découpé en une série de mini-romans qui s’emboîtent parfaitement.

Nous suivons les périples de deux familles noires dans l’Amérique violemment ségrégationniste des années 50 (dite Amérique de Jim Crow), en butte à une société secrète blanche, l’Ordre Adamite de l’Aube Ancienne. Ce Ku Klux Klan ésotérique se targue de magie et recherche activement le dernier descendant d’Adam ! Et ce rejeton ardent, qui n’est autre que le sympathique Atticus, a la peau basanée… Manifestement un de ses lointains ascendants avait fauté avec une servante noire….  La lutte va se dérouler à grand renfort de thématiques fantastiques : monstres terrifiants (lovecraftiens ?), portes temporelles, pouvoirs supranormaux, élixirs improbables, le tout bourré de clins d’œil amusants. L’un des jeunes noirs est un fan de comics et se sert de ses planches (Les Aventures Interplanétaires d’Orithya Blue) pour passer des messages discrets à sa famille. L’Ordre Adamite possède son livre Sacré, Le Livre des Noms, dont on nous précise bien qu’il n’a rien à voir avec le Necronomicon qui est Le Livre des Noms Morts.

Ce qui fait la force de ce roman, c’est la façon dont est traité le racisme au quotidien contre lequel il ne sert à rien de se révolter, mais qui permet aux victimes de développer toute une ingénieuse panoplie de parades pour tenter de passer entre les gouttes. Et ça fonctionne ! Bravo.

 

Note rédigée avant la diffusion en série sur OCS (août 2020)

 

jeudi 23 juillet 2020

LES CHRONIQUES D'EL'BIB : LE BAL DES OMBRES, Joseph O'Connor






Joseph O’Connor nous offre, avec Le Bal des Ombres (Rivages/Payot 2020), une petite perle : une biographie romancée de Bram Stoker, joliment écrite et superbement traduite. Le récit commence au début de le vie professionnelle de l’auteur, obscur employé dans une administration dublinoise, alors que sa véritable passion est le théâtre et l’écriture. Et de courir les salles de spectacles après son travail, pour s’abreuver des productions de passage dont il tire des petits billets critiques pour la presse. Et c’est suite à une notule enthousiaste qu’il rencontrera Henry Irving, le célèbre tragédien shakespearien anglais. Sa vie va alors totalement basculer, et malgré le manque d’enthousiasme de sa jeune femme, il décide de suivre à Londres cet acteur hors du commun qui lui confiera la gestion de son théâtre, le Lyceum. C’est l’occasion de découvrir un Londres victorien, entre splendeur et décadence. On y devine la voix d’Oscar Wilde, celle de George Bernard Shaw, et on sent la menace de Jack l’Éventreur planer dans le brouillard.
Le personnage est à la fois bourru et tendre, travailleur forcené et manager hors pair. Il est littéralement fasciné par le maître des lieux, qui est pourtant souvent odieux avec lui, et par la diva de l’époque, Ellen Terry, qui n’en finit pas de ne pas flirter avec lui. On devine chez Stoker une sexualité trouble, bien mise en lumière dans la biographie d’Alain Pozzuoli, mais qui ne le pousse jamais à l’acte. On le voit un soir aller dans un bar homosexuel, mais les clients étaient soit trop jeunes, soit trop libidineux…
Le besoin d’écrire continue de le ronger et il s’est installé un petit refuge secret dans les combles du théâtre où il noircit des nouvelles qu’il arrive difficilement à placer, et qui seront systématiquement vilipendées par Irving. On le voit, et c’est fort intéressant, mûrir dans sa tête le projet de ce qui deviendra son roman culte. Il s’intéresse aux vampires et s’inspire de Account of the Principalities of Wallachia and Moldavia de Wilkinson (1820) et de Varney le Vampire de Ryner (1845). Le récit est de surcroît truffé de clins d’œil : il remarque sur le cou de sa jeune femme des égratignures bizarres ; Mina est le fantôme qui hante le Lyceum; il embauche pour les décors un jeune artiste du nom de Jonathan Harker mais qui est en réalité une femme travestie ; il rencontre dans un hospice un fou très distingué qui mange des créatures vivantes comme le fera Renfield….
Le roman paraîtra en 1897 ; il n’aura aucun succès. Bram Stoker le fera jouer au théâtre devant une salle vide. Il recevra dans un rêve une lettre de Dracula l’injuriant pour l’avoir ridiculisé dans son livre… Puis ce sera la fermeture du théâtre, la mort d’Irving et la solitude du vieil homme dans un hospice pour handicapés. On lâche le livre avec un sentiment de tristesse, en se disant : que de ratages dans de si beaux décors…

Illo "Crème et Marron" (C)

vendredi 17 juillet 2020

LES CHRONIQUES D'EL'BIB : LES CHIENS DE TINDALOS, Frank Belknap Long






Bonne idée que de reprendre les nouvelles lovecraftiennes de Frank Belknap Long en un seul volume, même si la plupart des textes sont bien connus des amateurs. L’ouvrage porte le titre de de la nouvelle culte, Les Chiens de Tindalos (Mnémos, 2020). L’ensemble est solide et montre, s’il en était besoin, que l’auteur est l’un de ceux de « la bande » à avoir le mieux cerné le concept d’horreur cosmique.

Les Mangeuses d’espace (The Space Eaters, Frank Belknap Long, Weird Tales, 1928). Un pur produit du “Circle”, mettant en scène les deux amis, Frank et Howard. L’écrivain cherche à fixer l’horreur cosmique sur le papier mais n’y parvient guère jusqu’à ce que pénètre chez les deux amis Henry West qui leur raconte une histoire invraisemblable. Il a été poursuivi dans la forêt par une créature innommable qui lui a « balancé » ce qui semble être un morceau de cervelle. Et le brave Henry de montrer sur sa tempe un trou cylindrique profond, tout en hurlant « qu’elle veut lui prendre le cerveau ». S’ensuivra une course poursuite dans les bois pour localiser la créature qui les traquera jusqu’à à la maison au prix de la vie de Frank et de Henry. Un texte assez faible - pourquoi la créature disparaît-elle après (elle a trop mangé de cervelle ?) - au sujet duquel Lovecraft protestera avec gourmandise, n’aimant pas être le personnage d’une fiction !
Pour l’anecdote, cette nouvelle s’ouvre sur une citation du Necronomicon traduit par John Dee. Lovecraft reprendra cette pseudo-paternité dans son histoire du livre maudit.

La croix n’a rien d’un simple objet. Elle protège celui dont le cœur
Est pur, et elle est souvent apparue dans l’air au-dessus de nos sabbats,
Jetant le trouble sur les pouvoirs des Ténèbres et les faisant fuir.

Pour les amateurs, ce recueil de Mnémos contient également en fin de volume une autre citation du Necronomicon, non sourcée, avec la simple indication suivante : « F.B.L qui refuse de révéler de quelle manière ces quelques lignes sont entrées en sa possession ».

Il serait illusoire de penser que les puissances capables des pires malfaisances ne nous apparaissent que sous la forme de familiers répugnants, ou d’autres démons de même nature. Ce n’est pas le cas. Ces petits démons visibles ne sont que les émanations que les vastes amas de destruction ont laissé dans Leur sillage – des peaux mortes, voire même d’infimes particules maudites, qui se sont collées à ces êtres comme des sangsues sur un immense Léviathan mort, issu des profondeurs, et qui a ravagé une centaine de cités côtières avant de plonger à sa perte avec un millier de harpons frémissants vrillés dans la chair.
Sur ces pouvoirs hors norme, la mort n’a pas de prise, et les harpons lancés infligent, au mieux, des blessures superficielles qui se soignent rapidement. Je l’ai déjà dit, et je le répéterai jusqu’à ce que mes frères humains acceptent ce que j’ai appris sur le tard comme étant la vérité : un maître des arts magiques qui voudrait se confronter à ce qui a été, et qui sera toujours, ne devra s’en prendre qu’à lui-même et désespérer, s’il confond une victoire éphémère avec celle qu’il ne pourra jamais espérer remporter de manière permanente.


Les Chiens de Tindalos de Frank Belknap Long (The Hounds of Tindalos, 1929). J’ai toujours eu beaucoup de tendresse pour cette nouvelle du « circle » dans lquelle FBL montre qu’il a bien intégré le process de l’horreur cosmique lovecraftienne. Chalmers est un érudit en sciences occultes qui jongle en permanence entre les travaux du Dr John Dee et ceux d’Einstein. Et qui s’est mis entête de remonter le temps grâce à une redoutable drogue asiatique. Ce qu’il va faire sous la surveillance de son ami qui n’arrive pas à l’en empêcher. Et de plonger dans un maelstrom où il revoit toute l’histoire humaine. Et delà de l’homme, il pénètre dans des géométries improbables et inquiétantes où son terrés les chiens de Tindalos.  Ce sont des créatures de l’origine des temps, faites pour récupérer le mal originel. La chute est un peu téléphonée et ces sympathiques bestioles viendront faire la fête à l’importun Chalmers.

L’Horreur venue des Collines de Frank Belknap Long (1929, in Weird Tales 1931) est une production assez remarquable du « Lovecraft Circle ». Ce n’est pas une révision à proprement parler, mais un produit d’inspiration qui va jusqu’à incorporer et poursuivre un rêve de Lovecraft (cf Le peuple ancien, 1927). Tous les ingrédients du mythe sont réunis et donnent naissance à une nouvelle créature diabolique, Chaugnar Faugn.
La thématique est assez classique ; nous la retrouverons dans Surgi du fond des siècles (1933, une révision pour Hazel Heald) : un musée qui reçoit une statue maudite. Le héros est ici Algernon Harris, jeune et brillant conservateur du département d’archéologie au Manhattan Museum of Fine Arts, et digne successeur à ce poste de feu Halpin Chalmers (cf Les Chiens de Tindalos). L’un de ses collaborateurs, Clark Ulman, lui rapporte d’Asie une créature monstrueuse, sorte d’éléphant avec des tentacules et des palmes, en lui demandant de le détruire après examen car il en a été la victime. Et de suivre le récit d’une traque archéologique mouvementée au terme de laquelle le gardien du temple où est adoré Chaugnar accepte de lui remettre la statue pour l’amener en Amérique, à condition de la nourrir. Ce que la sympathique bestiole fera de sa propre initiative en vidant l’archéologue de son sang. On apprend du reste en aparté que Chaugnar est un grand voyageur et qu’il a déjà séjourné dans les Pyrénées. Ulman va décéder alors que plusieurs meurtres atroces sont commis dans le musée. Le dossier d’investigation sera pris en charge par le Dr Henry Imbert, une haute autorité américaine en matière d’ethnologie et son ami, Roger Little, détective psychique. Très versé dans l’étude des mythes, mais aussi fin connaisseur de la physique quantique, ce dernier embraye immédiatement lorsque Harris lui résume l’affaire ; ce Chaugnar n’est pas un inconnu et lui rappelle un étrange rêve qu’il avait fait ; cela se passait dans les Pyrénées sous l’occupation romaine où un peuple très ancien se livrait à de sinistres rituels dans la région de Pomelo. Little a par ailleurs mis au point une machine spatio-temporelle, capable de voyager dans les quatre dimensions. Celle-ci sera utilisée pour traquer Chaugnar qui s’est échappé du musée afin de le renvoyer dans d’autres contrées.
Ce mini-roman se termine par un débriefing en compagnie de Little qui explique (clin d’œil à Lovecraft, cf Les Montagnes Hallucinées) avoir été en présence d’une créature bien matérielle, venant d’autres dimensions, mais sans aucune connotation divine.

Les Mangeurs de Cerveaux (The Brain Eaters, 1932, première traduction) nous fait partager un voyage maritime avec le professeur Stephen Williamson. La mer est agitée par de mystérieuses créatures et le vaisseau croise une embarcation dont les passagers sont morts, l’un d’entre eux étant de surcroît décapité. L’enquête menée par le savant l’amène à la conclusion que des monstruosités du dehors sont friandes de cerveaux humains, et notamment ceux de personnes possédant une grande intelligence. Un piège leur sera tendu sur le pont du navire, et Williamson ne sera sauvé in extremis que par l’intervention du capitaine qui avait compris que le bateau s’était engagé dans une dimension maléfique qu’il fallait quitter de toute urgence. Le savant sort de cette aventure ravi, car il a pu récolter suffisamment de matière première pour rédiger son étude sur les Créatures du Dehors.

Avec L’Envahisseur des Profondeurs (The Malignant Invaders, 1932, première traduction), l’auteur nous fait retrouver le professeur Williamson, auteur de Le Monde Souterrain : un essai sur ses étranges habitants. Il sort d’une conférence où il a cherché à développer une théorie révolutionnaire : J’ai la conviction que nous sommes cernés par des forces qui nous veulent le plus grand mal et que nous deviendrions fous si nous pouvions apercevoir les êtres qui se terrent et creusent leur chemin dans le sol, sous nos pieds. Mais force est d’admettre qu’il a fait un bide et qu’il a dû écourter sa conférence sous les huées du public. Il se réfugie au bord de la plage pour méditer sur son échec, reprenant sa démonstration en détail sans lui trouver de faille. Absorbé par ses pensées, il ne remarque pas les petites boules gélatineuses qui remuent sur le sable. Des tentacules en jailliront et l’entraîneront dans les profondeurs. Un quidam observera la scène et reviendra avec un ami pour mener l’enquête. Le même phénomène se reproduira et les deux compères ne s’en sortiront que de justesse.

Sombre éveil (Dark Awakening, (1980, in « Livre Noir », Pocket 1991) est un petit texte attachant, mettant en scène un jeune citadin venu se reposer dans une pension de famille, sur la côte de Nouvelle-Angleterre. Il sympathise avec sa voisine au restaurant, une jeune veuve avec ses deux enfants. Lors d’une promenade au bord de la plage, le petit garçon s’échappe et tombe dans un trou d’eau caché entre les rochers. Il réussira à le ramener à la surface et constate qu’il serre dans sa main un objet qu’il lui est difficile d’extirper. Il s’agit d’une « médaille » représentant un abominable être marin. Il la prendra à son tour et se précipitera vers l’océan en tenant des propos difficilement compréhensibles, sur le thème « je vais les rejoindre ». Ce sont les deux enfants qui le sauveront. Il apprendra de retour à la pension de famille qu’une secte ésotérique était passée là quelques semaines auparavant et se réunissait près du trou d’eau.
Le récit dénote de la prose habituelle de F.B.L. et laisse place à une tendre idylle qui semble naître entre le voyageur et la jeune veuve. On a le sentiment de lire un bref résumé de ce qui aurait pu être une nouvelle consistante, donnant plus d’épaisseur aux personnages et les lançant dans une aventure intéressante à la recherche de la secte mystérieuse.

Il faudra 55 années pour que F.B.L se décide à reprendre la plume pour donner une suite à sa nouvelle culte. Le passage vers l’éternité (Gateway to Forever, 1984, première traduction) met en scène Thomas Granville qui vit seul dans un manoir, suite au décès de sa femme, et mène des recherches dans le domaine de l’expansion de la conscience. La solitude lui pèse et il se rend un soir dans un « bar à rencontres » où il va faire la connaissance d’une jeune femme, ravissante et mystérieuse. Le courant passe entre les deux et chacun se raconte, permettant à Thomas d’apprendre que la jeune femme et son oncle travaillent sur le même sujet. L’oncle est momentanément absent et elle l’invite à visiter la demeure familiale, située dans un quartier décrépi, mais richement décoré… et particulièrement bien approvisionné en drogues de toutes sortes. Un immense tableau attire son attention et semble l’hypnotiser. Dans un décor de désert dans lequel il pénètre, il retrouve l’oncle poursuivi…. par les chiens de Tindalos.

Outre l’extrait du Necronomicon déjà cité, l’ouvrage se termine par quelques poèmes dans grand intérêt sauf celui, touchant, dédié à Lovecraft.

vendredi 10 juillet 2020

LES CHRONIQUES D'EL'BIB : LE CHIFFRE DE CTHULHU, Brian Stableford





Les aventures du Chevalier Dupin contre Cthulhu s’enrichissent d’un nouveau volume signé Brian Stableford, Le Chiffre de Cthulhu (Les Saisons de l’Étrange, Moutons Électriques, 2020). Un récit agréablement écrit et mis en valeur par une traduction de qualité. On y retrouve avec plaisir notre détective de l’Étrange et son faire-valoir américain, une copie conforme de Watson dont on ne connaîtra jamais l’identité. Appelé à l’aide par un psychiatre de Bicêtre, nos deux compères vont rencontrer une prostituée qui se meurt de la syphilis, Ysolde, et ne survit que sous hypnose qui la plonge dans d’agréables rêves. On a droit ici à quelques belles pages de réflexion sur la folie et le combat de l’époque entre les thèses rationalistes (maladie du corps) et les thèses spiritualistes (maladie de l’esprit). Mais ce qui frappe chez la malade, ce sont ces inscriptions étranges qui figurent sur son dos et que Dupin identifiera rapidement comme étant du R’lyehien. La patiente sera sortie de Bicêtre et installée chez « Watson », afin de permettre à nos enquêteurs d’analyser en profondeur ses récits sous hypnose. Et c’est là ou Brian Stableford nous étonne, faisant basculer l’enquête dans une chasse au trésor menée par des pirates deux siècles auparavant. Ysolde faisait partie de l’équipe, et avec d’autres comparses, a survécu jusqu’à nos jours en se mettant dans un état de transe. Le chiffre de Cthulhu bien sûr était destiné à protéger les brigands. Mais cette protection est-elle toujours efficace aujourd’hui ?

dimanche 5 juillet 2020

RICHARD UPTON PICKMAN





Notre cher Richard Upton Pickman continue d’inspirer les « pasticheurs fous ». Avec L’Autre Modèle de Pickman, Caitlìn R. Kiernan met en scène un ami de Thurber[1], perturbé par le suicide de ce dernier. A la demande de la famille, il met de l’ordre dans les papiers du défunt et tombe sur quelques croquis représentant une jolie jeune femme. Les coupures de presse jointes au carton à dessin lui apprennent qu’il s’agit d’une actrice de seconde zone, Vera Endecot dont l’histoire est pour le moins sulfureuse : participation à des orgies, meurtre, satanisme… Obsédé par l’actrice, et après de longues recherches, il finit par la rencontrer. Elle n’est plus que l’ombre d’elle-même et avoue avoir servi de modèle à Pickman, en raison de sa particularité physique : sa colonne vertébrale se prolonge par une queue. Elle avoue aussi que Endecot est un pseudo pour dissimuler sa véritable identité, celle d’une famille d’Ipswich. On la retrouvera quelque temps après pendue à un arbre et affreusement déchiquetée.
Il est amusant de noter que le narrateur, qui se veut un pur rationaliste, consacre un long développement à Charles Fort et aux « imbécilités » qu’il véhicule dans Le Livre des Damnés.

C’est au tour de Brian Stableford de poursuivre les investigations sur le peintre démoniaque avec La Vérité sur Pickman. Silas Eliot, petit fils d’un ami de Pickman, vit isolé dans une maison de l’île de Wight et reçoit la visite de Aleister Thumber, petit-fils du Thumber de la primo-nouvelle. C’est un savant biologiste qui travaille sur les processus de dégénérescence qui ont affecté Pickman et ses « modèles ». A ce titre, il souhaite compulser les archives de Silas sur l’artiste, à la recherche d’un ADN « pur ». Il remarque dans la salle de séjour un tableau étonnant. En fait, il ne s’agit pas d’une œuvre de Pickman, mais de Silas qui a attrapé le virus de dégénérescence, particulièrement contagieux…

In 
Les Chroniques de Cthulhu, anthologie dirigée par S.T. Joshi, Bragelonne/Sans Détour, 2017.


[1] Ami de Pickman dans la primo-nouvelle de Lovecraft.

NUIT DES LEGENDES 2



 
     Nuit des Légendes
 nuitdeslegendes.wordpress.com
 Page Facebook   -   Chaîne YouTube        
 
Nuit des Légendes 2 est paru aux Éditions de l'Œil du Sphinx. C’est le second volume d’une collection éponyme qui a un double objectif : d’une part, collecter les histoires des conteuses et des conteurs du spectacle Nuit des Légendes qui a lieu fin juillet chaque année depuis 2018 en Bretagne, à Pleuven (Finistère Sud) ; d’autre part, permettre à ces derniers de commenter le parcours qui les a amenés à devenir conteuses ou conteurs.
Dans la première partie de Nuit des Légendes 2, on retrouve ou on découvre les histoires contées au cours du spectacle Nuit des Légendes de juillet 2019 par Nolwenn CHAMPAGNE, conteuse d’histoires féeriques, et Ludovic SOULIMAN, figure emblématique du conte urbain. On découvre aussi leur parcours et comment ils sont devenus conteuse et conteur.
Dans la deuxième partie de Nuit des Légendes 2, la conteuse LULU et les conteurs Jean-Marc DEROUEN, Claude ARZ et Mark GLEONEC ont retranscrit les histoires qui ont enchanté les promeneurs de la Balade contée dans la belle campagne de Pleuven en septembre 2019.

vendredi 3 juillet 2020

LES CHRONIQUES D'EL'BIB : LE SONGE DE "CENT-CINQUANTE", Tony Baillargeat



Nous avions apprécié le premier opus des aventures d’Arthur Brenac, Le Secret de Diana Dãnesti de Tony Baillargeat. L’auteur nous livre, toujours chez « La Pierre Philosophale », une suite étonnante pour qui apprécie le thriller ancré dans les profondeurs les plus secrètes de l’ésotérisme : Le Songe de « Cent-Cinquante ». Nous avons quitté l’univers des vampires. Le moteur de ce récit repose maintenant sur deux gros cylindres. Le premier, indiqué dès l’exergue, est formé par les œuvres de Jean Parvulesco et de Jean Robin. J’y rajouterais volontiers celles de Lovecraft, auteur souvent cité, du moins le Lovecraft tel qu’interprété par Jean Robin[1]. En substance, les Monstruosités du Dehors (Les Grands Anciens) veillent et attendent que leurs disciples leur ouvrent la porte pour réaliser l’eschatologie noire. Le second cylindre n’est autre que « Cent-Cinquante », le petit Louis XVII, revenu à la vie après d’obscures opérations magiques. Inutile de dire que les Grands Anciens veulent son extermination.
Le récit commence à Paris où Arthur Brenac et son compère Pierre Laroche suivent un petit oiseau bleu qui les mène de nuit place d’Aligre où ils pénètrent dans un obscur tripot peuplé d’êtres repoussants, de véritables caricatures de l’humanité. Brenac poursuivra seul son investigation dans les souterrains du rade pour pénétrer dans une vaste grotte où les monstruosités humaines invoquent un Grand Ancien qui se verra offrir en sacrifice un enfant. Les amateurs du Prince Noir de Providence connaissent bien ce type de scène d’horreur (Le Festival (1924) par exemple), mais force est d’admettre que Tony Baillargeat y a rajouté une couche particulièrement nauséabonde ! Brenac se sortira de ce lieu infect, non sans être passé par un cachot souterrain où était emprisonné l’enfant sacrifié. Il se retrouvera dans le cimetière de l’église Sainte Marguerite, émergeant de la tombe supposée de l’Enfant du Temple, où l’attendent Pierre Laroche et une charmante créature qui répond au nom d’Agnès de Lupé.
Cette descendante des mérovingiens a en fait sauvé le néo petit Roi auquel a été substitué une autre pauvre victime. Grâce à la géométrie sacrée et au décryptage symbolique, nos trois aventuriers, accompagnés de l’enfant partiront poursuivre leur enquête à Lyon. Et pas seulement pour goûter à la cuisine délicieuse des « Bouchons », mais parce ce que c’est dans les sous-sols d’une église de la capitale des Gaules que doit se réaliser « l’avènement ». Je n’en dirais pas plus pour ne pas « spolier » cet invraisemblable récit d’une érudition époustouflante. Attention du reste, l’excès d’érudition peut tuer l’érudition : 233 notes sur 412 pages, c’est parfois assez lourd à digérer !!!
Un roman au total très attachant, et on a hâte de retrouver Arthur Brenac et Pierre Laroche dans de nouvelles aventures aux confins de l’Extrême.


[1] Lovecraft et le Secret des Adorateurs de Serpent, Trédaniel 2017.