Les Saisons de l’Étrange font
souvent de bonnes choses et le doublé de Brian Stableford (2019) vaut vraiment
le détour. Je connais assez peu le pastiche poesque mais il est vrai que, par
le biais du Chevalier Dupin, la déclinaison est facile. Le premier mini-roman, Le
Testament d’Erich Zann, est du reste plus qu’un pastiche mais un véritable
cross-over entre les univers des écrivains de Providence et de Baltimore. 15
ans après le décès du mystérieux violoniste, son instrument et ses compositions
sont l’objet de toutes sortes de convoitises pouvant aller jusqu’au meurtre.
L’auteur étoffe de façon intéressante le personnage du musicien autrichien
(allemand pour Lovecraft), élève de l’école de Tartini qui selon la légende
aurait passé un pacte avec le diable. Son sublime Il trillo del diavolo serait
le produit de cet accord. Un maître de musique qui fit cadeau à son
élève Zann d’un Stradivarius que le fabriquant italien considérait comme mal
fini. Zann terminera une carrière mouvementée à Paris, rejoignant l’orchestre
d’un théâtre de quartier, L’Ambigu, tout en se livrant la nuit à des
exercices solitaires dans sa masure de la rue d’Auseil[1] ?
En effet, la maîtrise de ce Stradivarius, jointe à de redoutables
connaissances occultes, que l’on peut notamment trouver dans Les Harmonies
de l’Enfer de l’abbé Apollonius (14ème siècle), permettraient
d’ouvrir certaines portes sur l’Ailleurs. L’occasion est toute trouvée pour
Brian Stableford de nous livrer un véritable cours de Cosmologie
Lovecraftienne, pointant du doigt le rôle clef joué par Nyarlatothep dans les
univers extérieurs et insistant sur le caractère non dualiste de la
Métaphysique du Néant : il n’y a pas de véritable séparation entre le bien
et le mal et l’accès à l’illumination se confond souvent à une plongée dans
l’horreur.
Les objectifs de l’équipe chargée
de soutirer l’héritage de Zann (violon et partitions) sont pour le moins
troubles, reflétant parfaitement l’ambiguïté que nous venons de souligner. Tout
l’Art de Dupin sera de démêler les fils de cet écheveau, en essayant de garder
une approche rationnelle mais convaincu également que l’espace est loin d’être
vide !
Second mini-roman, La Fille de
Valdemar prolonge avec talent l’une des nouvelles importantes du canon
poesque. Dupin et son inséparable faire valoir américain reçoivent à Paris la
visite surprise d’une certaine Ewelina Hanska, maîtresse d’un Honoré de Balzac mal
en point. Elle avait fait adresser par un médecin américain un colis précieux à
nos deux compères, intermédiaires considérés comme de confiance. Hélas, le
paquet n’est jamais arrivé. On comprend que la fille de feu Valdemar,
magnétiseuse célèbre installée à Paris, attend ce paquet avec impatience tout
comme la compagne de Balzac. Il s’agirait en effet des restes de Valdemar,
sublimées par ce dernier, lors de la cérémonie du baiser au Gardien du Seuil[2], en une
potion de longue vie. La jeune Vlademar espère ainsi pouvoir obtenir des
résultats extraordinaires lors de ses consultations qui ne sont aujourd’hui que
charlatanisme. Quant à Ewelina, elle est persuadée que ce produit pourra sauver
le grand écrivain qui craint de ne pouvoir terminer La Condition Humaine avant
de mourir.
Le Chevalier Dupin va nous offrir
une nouvelle enquête aux frontières du rationalisme et de l’occultisme, sans
jamais se prononcer sur la nature réelle de ses pistes. L’utilisation du process
initiatique développé dans Zanoni est tout à fait originale et nous vaut
de belles pages sur le trip cosmique subi à la fin du récit par le partenaire
de Dupin. On ne serait pas complet, enfin, sans souligner la participation
inquiétante du Comte de Saint Germain à l’obscure machination.
Deux bons récits qui restituent
de façon sympathique l’atmosphère du milieu du XIXème siècle et qui
interpellent le fidèle sherlockien que je suis. Car si Sherlock a balayé avec
mépris son prédécesseur, le qualifiant de « médiocre », force est de
constater les nombreuses similitudes qui existent entre les deux détectives.
Dupin a pour faire valoir littéraire le correspondant à Paris de Poe (jamais
nommé), Holmes le Dr Watson. Les « deux couples » cohabitent
fréquemment et reçoivent des visites inopinées qui vont déclencher l’enquête.
Dupin s’appuie sur « les gamins de Paris », Sherlock sur « les
Irregulars de Londres ». On pourrait multiplier à l’envi les points de
convergence que Stableford accentue malicieusement en faisant intervenir
l’Inspecteur Lestrade dans le premier récit. Et au diable la chronologie,
« ici on rêve ».
[1] L’auteur
décrit la rue comme étant une rue non répertoriée mais que l’on désignait de la
sorte. Elle était située au somment d’une mini-falaise surplombant la Bièvre,
affluent de la Seine progressivement transformé en égout.
[2] D’après Zanoni
de Bulwer Lytton. Cette cérémonie est le stade ultime de l’initiation.
1 commentaire:
Je confirme pour avoir lu ce livre : excellent et bien mené.
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