jeudi 30 janvier 2020

L'ENFANT DE PLANETE PAR CRITICA MASONICA




Jean-Pierre Bacot

Philippe Marlin, un enfant de Planète. C’est sous ce titre fort bien choisi que le responsable des éditions de L’Œil du Sphinx publie, dans sa propre maison d’édition, des entretiens menés par Claude Arz, grand amateur de voyages sur les lieus réputés étranges. Au risque d’apparaître surplombant, « patronisant » dirait-on par anglicisme, nous n’hésiterons pas à qualifier ce texte d’essence biographique comme un matériau sociologique précieux. On traverse en effet avec le parcours de Philippe Marlin plusieurs plans qui se croisent et tissent un univers de pensée. L’entrevue retranscrite après une longue série de rencontres entre les deux hommes permet de suivre l’évolution de la situation politique et sociale depuis un demi-siècle, la transformation du paysage imaginaire pendant cette période, la mutation du monde éditorial, le pari de maintenir l’écrit, la présentation des amitiés, ainsi que des partenaires de recherche et d’édition, la détermination honnête des influences, l’hommage rendu aux écrivains jugés majeurs dans la transmission de l’imaginaire.

Le directeur d’Historia Occultae ne dit rien de sa vie personnelle, si ce n’est de temps en temps, une notation sur des beautés  féminines rencontrées au fil du temps. On ne saurait lui reprocher d’avoir évacué la lecture psychologique de son parcours, ce qui accentue l’intérêt historique et sociologique du portrait diachronique de cet acteur, au sens social du terme, adepte du fortéanisme, c’est dire d’une curiosité critique, marquée par la recherche d’un registre de preuve susceptible de faire passer les adeptes d’un statut de croyant-e à un registre de sachant-e. Cela nous semble d’autant plus intéressant à observer que cette attitude n’est pas la même que celle de la critique universitaire. Il ne s’agit pas là d’établir une hiérarchie entre les deux approches, mais, au contraire de tenter de nous repérer dans ce que Michel Foucault appelait les régimes de vérité, bref de tenter de comprendre épistémologiquement les choses.

Ainsi pourrons-nous tenter de lire ce livre ou le numéro 11 de la revue Historia Occultae sorti récemment d’un double point de vue critique et empathique. Une limite cependant doit être bien établie : traiter dans le seul registre de la critique, hors empathie, tout ce qui concerne une extrême-droite que l’on pourrait dire aujourd’hui postfasciste. Même si le vent est à reconnaître le rôle des émotions en politique, même si une sociologie compréhensive possède son intérêt qui  expliquera par exemple comment, par suite d’un sentiment de relégation, tel/le « gilet jaune » votera Marine Le Pen, notre non-religion est sur cet aspect inflexible. Un tel énoncé pourra sembler étrange à certain(e)s. Mais comment faire lorsque Philippe Marlin fait l’éloge d’une amie, Geneviève Béduneau qui, d’une part, pactisa avec le Front national et, d’autre part a participé d’une opération éditoriale de prétendus nouveaux magiciens que notre auteur n’apprécie que modérément ?

Quant à ce que l’on pourrait juger comme de doux délires, largement présents dans le mouvement Planète ancré sur Le Matin des Magiciens, mais à quoi on ne saurait réduire le phénomène, soyons clairs, ils ne datent pas des années 1960. En effet, le fait de croire, par exemple, aux soucoupes volantes qui témoigneraient d’une civilisation qui nous visiterait, voire qui nous aurait créés est-il plus délirant que de se référer à la résurrection du Christ ou à la virginité de Marie, sans préjudice d’autres croyances religieuses ? Que nenni !
Dans cet ouvrage, le choix d’un registre oral reprenant le verbatim des entretiens solidifie l’aspect témoignage. Philippe Marlin en ressort avec l’image d’un boulimique de lecture, tombant sur Planète et Le Printemps des Magiciens comme un mort de faim, dans ce que Hans Robert Jauss appelait un « horizon d’attente. » On suit les moments d’écriture, les rencontres, la bibliophilie, les voyages, le tout à la recherche des terres et ciels de l’ailleurs, des témoins, des lieux.

Si l’on regroupe ce livre de témoignage, la collection de la revue, les ouvrages consacrés à « la littérature maudite » et à d’autres sujets, tout cet ensemble témoigne de l’installation, pour ne pas dire de la gestion, d’un courant de pensée qu’on pourrait dire « spiritualiste littéraire », davantage intéressé par le présent que par le passé, sans négliger pour autant les mystères anciens, une configuration assez peu ésotériste, mais franchement occultiste, dans la mesure où la recherche d’une réalité cachée, souterraine, tient une grande place, plutôt qu’une recherche de sens accessible aux seuls initiés. À ce propos, Philippe Marlin qui n’a rien d’hostile envers la maçonnerie, puisqu’il participe chaque année à la Bellevilloise à Paris au salon du livre organisé par l’Institut maçonnique de France, n’est pas enfant de la veuve, même s’il dit avoir été souvent sollicité. Cela se sent dans la mesure où le terrain qu’il balaye est assez différent du corpus méta-religieux qui est souvent celui des maçons spiritualistes.

Philippe Marlin ne laboure pas non plus, malgré le fait que certains de ses amis aient posé le pied au delà de la ligne boueuse, dans les terres cultivées par la nouvelle droite, grande amatrice d’imaginaire. Le sphinx en chef est même plutôt de gauche, parfois piégé, oserons-nous dire, par le sentiment de proximité de celles et ceux qui partagent sa passion pour l’étrange.

On pourra aussi regretter la faible qualité des photographies, qui, certes, ajoute à l’effet de reportage dans le livre, mais est plus dommageable pour la revue dont nous voudrions maintenant  dire quelques mots.

La revue Historia Occultae

Historia Occultae, fondée en 2008 par Dominique Dubois, se porte bien. Sa périodicité augmente, passant d’annuelle, à semestrielle ou presque. Son format se maintient et l’équipe de rédaction s’élargit, toujours sous la direction d’Emmanuel Thibault. Philippe Marlin a donc de quoi se réjouir. Pas moins de quatorze articles dans cette dernière livraison, des notes de lecture, un sommaire des onze numéros parus et un index par thèmes, tout cela défie le résumé.

En feuilletant ce numéro, on comprend combien la revue est intégrée à un système, elle est parsemée de notes de lecture (avant celles de la fin du numéro) d’ouvrages publiés par L’Œil du Sphinx. Ce système est cohérent, les textes courts sont faciles à lire et les enfants des années 1960 restent fidèles à ce que fut leur émerveillement, tout en vivant dans leur époque et, nonobstant les amitiés sulfureuses, maintenant une veille de bon aloi face aux dérives.

Réenchantement, retour de la magie, Zauberflöte du conte mis en musique par Mozart pour les guider dans leur voyage, c’est peut-être d’un maintien qu’il s’agit, plutôt que d’un retour. Autrement dit, ni gâtisme, (m.d.r), ni retour en enfance, mais un maintien, le dernier épisode de Star Wars sort quarante deux ans après le premier, l’industrie du divertissement y pense aussi.
On notera à ce titre la deuxième partie de l’étude d’Olivier Steing, « Les musiques du chaos », consacré au rôle néfaste d’un appel fait à des groupes de Black Metal et de Dark Folk à la mythologie nazie, avec le grand danger de leur influence sur la jeunesse.

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