Jean-Pierre Bacot
Philippe Marlin, un enfant de Planète.
C’est sous ce titre fort bien choisi que le responsable des éditions de
L’Œil du Sphinx publie, dans sa propre maison d’édition, des entretiens
menés par Claude Arz, grand amateur de voyages sur les lieus réputés
étranges. Au risque d’apparaître surplombant, « patronisant »
dirait-on par anglicisme, nous n’hésiterons pas à qualifier ce texte
d’essence biographique comme un matériau sociologique précieux. On
traverse en effet avec le parcours de Philippe Marlin plusieurs plans
qui se croisent et tissent un univers de pensée. L’entrevue retranscrite
après une longue série de rencontres entre les deux hommes permet de
suivre l’évolution de la situation politique et sociale depuis un
demi-siècle, la transformation du paysage imaginaire pendant cette
période, la mutation du monde éditorial, le pari de maintenir l’écrit,
la présentation des amitiés, ainsi que des partenaires de recherche et
d’édition, la détermination honnête des influences, l’hommage rendu aux
écrivains jugés majeurs dans la transmission de l’imaginaire.
Le directeur d’Historia Occultae ne
dit rien de sa vie personnelle, si ce n’est de temps en temps, une
notation sur des beautés féminines rencontrées au fil du temps. On ne
saurait lui reprocher d’avoir évacué la lecture psychologique de son
parcours, ce qui accentue l’intérêt historique et sociologique du
portrait diachronique de cet acteur, au sens social du terme, adepte du
fortéanisme, c’est dire d’une curiosité critique, marquée par la
recherche d’un registre de preuve susceptible de faire passer les
adeptes d’un statut de croyant-e à un registre de sachant-e. Cela nous
semble d’autant plus intéressant à observer que cette attitude n’est pas
la même que celle de la critique universitaire. Il ne s’agit pas là
d’établir une hiérarchie entre les deux approches, mais, au contraire de
tenter de nous repérer dans ce que Michel Foucault appelait les régimes
de vérité, bref de tenter de comprendre épistémologiquement les choses.
Ainsi pourrons-nous tenter de lire ce livre ou le numéro 11 de la revue Historia Occultae sorti
récemment d’un double point de vue critique et empathique. Une limite
cependant doit être bien établie : traiter dans le seul registre de la
critique, hors empathie, tout ce qui concerne une extrême-droite que
l’on pourrait dire aujourd’hui postfasciste. Même si le vent est à
reconnaître le rôle des émotions en politique, même si une sociologie
compréhensive possède son intérêt qui expliquera par exemple comment,
par suite d’un sentiment de relégation, tel/le « gilet jaune » votera
Marine Le Pen, notre non-religion est sur cet aspect inflexible. Un tel
énoncé pourra sembler étrange à certain(e)s. Mais comment faire lorsque
Philippe Marlin fait l’éloge d’une amie, Geneviève Béduneau qui, d’une
part, pactisa avec le Front national et, d’autre part a participé d’une
opération éditoriale de prétendus nouveaux magiciens que notre auteur
n’apprécie que modérément ?
Quant à ce que l’on pourrait juger comme de doux délires, largement présents dans le mouvement Planète ancré sur Le Matin des Magiciens,
mais à quoi on ne saurait réduire le phénomène, soyons clairs, ils ne
datent pas des années 1960. En effet, le fait de croire, par exemple,
aux soucoupes volantes qui témoigneraient d’une civilisation qui nous
visiterait, voire qui nous aurait créés est-il plus délirant que de se
référer à la résurrection du Christ ou à la virginité de Marie, sans
préjudice d’autres croyances religieuses ? Que nenni !
Dans cet ouvrage, le choix d’un registre oral reprenant le verbatim des entretiens solidifie l’aspect témoignage. Philippe Marlin en ressort avec l’image d’un boulimique de lecture, tombant sur Planète et Le Printemps des Magiciens comme un mort de faim, dans ce que Hans Robert Jauss appelait un « horizon d’attente. »
On suit les moments d’écriture, les rencontres, la bibliophilie, les
voyages, le tout à la recherche des terres et ciels de l’ailleurs, des
témoins, des lieux.
Si l’on regroupe ce livre de témoignage, la collection de la revue, les ouvrages consacrés à « la littérature maudite »
et à d’autres sujets, tout cet ensemble témoigne de l’installation,
pour ne pas dire de la gestion, d’un courant de pensée qu’on pourrait
dire « spiritualiste littéraire », davantage intéressé par le présent
que par le passé, sans négliger pour autant les mystères anciens, une
configuration assez peu ésotériste, mais franchement occultiste, dans la
mesure où la recherche d’une réalité cachée, souterraine, tient une
grande place, plutôt qu’une recherche de sens accessible aux seuls
initiés. À ce propos, Philippe Marlin qui n’a rien d’hostile envers la
maçonnerie, puisqu’il participe chaque année à la Bellevilloise à Paris
au salon du livre
organisé par l’Institut maçonnique de France, n’est pas enfant de la
veuve, même s’il dit avoir été souvent sollicité. Cela se sent dans la
mesure où le terrain qu’il balaye est assez différent du corpus
méta-religieux qui est souvent celui des maçons spiritualistes.
Philippe
Marlin ne laboure pas non plus, malgré le fait que certains de ses amis
aient posé le pied au delà de la ligne boueuse, dans les terres
cultivées par la nouvelle droite, grande amatrice d’imaginaire. Le
sphinx en chef est même plutôt de gauche, parfois piégé, oserons-nous
dire, par le sentiment de proximité de celles et ceux qui partagent sa
passion pour l’étrange.
On
pourra aussi regretter la faible qualité des photographies, qui,
certes, ajoute à l’effet de reportage dans le livre, mais est plus
dommageable pour la revue dont nous voudrions maintenant dire quelques
mots.
La revue Historia Occultae
Historia Occultae,
fondée en 2008 par Dominique Dubois, se porte bien. Sa périodicité
augmente, passant d’annuelle, à semestrielle ou presque. Son format se
maintient et l’équipe de rédaction s’élargit, toujours sous la direction
d’Emmanuel Thibault. Philippe Marlin a donc de quoi se réjouir. Pas
moins de quatorze articles dans cette dernière livraison, des notes de
lecture, un sommaire des onze numéros parus et un index par thèmes, tout
cela défie le résumé.
En
feuilletant ce numéro, on comprend combien la revue est intégrée à un
système, elle est parsemée de notes de lecture (avant celles de la fin
du numéro) d’ouvrages publiés par L’Œil du Sphinx. Ce système est
cohérent, les textes courts sont faciles à lire et les enfants des
années 1960 restent fidèles à ce que fut leur émerveillement, tout en
vivant dans leur époque et, nonobstant les amitiés sulfureuses,
maintenant une veille de bon aloi face aux dérives.
Réenchantement, retour de la magie, Zauberflöte
du conte mis en musique par Mozart pour les guider dans leur voyage,
c’est peut-être d’un maintien qu’il s’agit, plutôt que d’un retour.
Autrement dit, ni gâtisme, (m.d.r), ni retour en enfance, mais un
maintien, le dernier épisode de Star Wars sort quarante deux ans après
le premier, l’industrie du divertissement y pense aussi.
On
notera à ce titre la deuxième partie de l’étude d’Olivier Steing, « Les
musiques du chaos », consacré au rôle néfaste d’un appel fait à des
groupes de Black Metal et de Dark Folk à la mythologie nazie, avec le grand danger de leur influence sur la jeunesse.
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