A Bugarach, c’est vraiment pas la fin du monde
18 Mai 2012
Par
Friture Mag
Les
scientifiques ont révélé récemment que la fin du monde n’aurait pas
lieu dans l’Aude. Les Mayas ont bouleversé malgré eux la vie de ce petit
village des Corbières, abrité par un pic qui alimente depuis des
siècles les légendes. C’est ici, qu’au mois de décembre 2012, devait
survenir l’Apocalypse. Sur place, on aime bien se positionner en
irréductibles Audois. Contre vents et légendes.
« Et quel chemin de l’enfer, mieux que cela, des Corbières ! » Ainsi s’exprimait, au milieu du XIXe siècle, un maître d’hôtel de Carcassonne à l’adresse de deux voyageurs intrépides qui souhaitaient se rendre dans les Corbières (1), siège de tous les fantasmes. Le point culminant de ce massif pré-pyrénéen porte en lui une particularité à la fois géologique et géographique. Sans compter les légendes qui s’y accrochent aussi facilement que les nuages poussés par le Cers. Le Pech de Bugarach est couramment appelé la montagne inversée, ce qui lui donne déjà une touche ésotérique supplémentaire pour exciter les fantasmes. Ce massif sédimentaire qui fut immergé jusqu’au retrait des océans, se vit bousculer par la formation des Pyrénées, laissant apparaître les roches métamorphiques en sa partie supérieure. Ce phénomène de basculement s’observe régulièrement en lisière de la faille nord-pyrénéenne. La situation géographique du ¨Pech a fait de cette éminence le point de concours d’une triple influence climatique -méditerranéenne, atlantique et montagnarde- qui se traduit par une diversité remarquable de la flore et de la faune. D’autre part, d’aucuns ont cru déceler en ce lieu des courants telluriques singuliers. De quoi alimenter un des levains de l’ésotérisme ambiant, faisant du village le siège de stages de magnétisme.
Un village ordinaire
Sur la commune, six agriculteurs exploitent les terres et pratiquent l’élevage, une école maternelle, issue d’un regroupement pédagogique intercommunal, et une agence postale complètent un quotidien de village de montagne. Une maison de la randonnée accueille les randonneurs du “sentier cathare” en gîte et un restaurant régale les visiteurs de passage comme les habitants. Bugarach ressemble à un village tout à fait ordinaire où des panneaux “à vendre” fleurissent sur les maisons ; cependant, l’un d’eux, portant la mention « curieux s’abstenir », en dit long sur l’état d’esprit des habitants. Bugarach vit son quotidien comme d’habitude avec toutefois une inquiétude qui ne dit pas son nom. L’année 2011 a fait crouler sous le rouleau compresseur médiatique ce village où, déjà, les légendes faisaient leur terreau. Au Relais de Bugarach, on peut trouver du vin de la cuvée “Bugarach 2012”, produit dans la vallée des Fenouillèdes. Ici, on ne donne pas plus de crédit que cela à cette histoire de fin du Monde : « Cette histoire donne une image fausse, les visiteurs sont surpris de voir un village normal », constate Corine Leblanc qui a ouvert son échoppe voici deux ans. Au restaurant, Cathy Vies juge que ces annonces intempestives ne sont pas une bonne opération : « Les randonneurs n’ont pas envie de voir des gens qui font des prières en cercle au sommet du Pech. » Cependant, le Pech de Bugarach a régulièrement fait travailler les imaginations, et l’annonce que la fin du Monde, supposée prévue pour le solstice d’hiver 2012, épargnerait Bugarach, n’a pas vraiment étonné le maire de la commune.
« Il y a toujours eu des phénomènes comme cela, cette montagne dominante par rapport à toute la région attire de nombreux visiteurs en recherche de divagations », Jean-Pierre Delord préside aux destinées de la commune depuis trente-cinq ans. Malgré ses récurrences, cette fin du Monde-là a quelque peu inquiété le premier magistrat voici un an, quand l‘affaire a pris de l’ampleur sur Internet : « Jusque-là, ça ne dérangeait personne, mais il ne faudrait pas être submergé par un flot de population ». Alertée, la préfecture a pris acte et conseillé de ne pas en rajouter. Sauf que l’édile a fait le buzz dans la presse : « Ç’aurait été une erreur de ne pas en parler, il a fallu faire des mises au point », se justifie le maire. Cela étant, le nombre de visiteurs sur le sentier conduisant au sommet du Pech depuis le col de Linas a doublé en une année pour atteindre vingt mille personnes en 2011 : « On a dû nettoyer le Pech de symboles divers », confirme Jean-Pierre Delord. Au sujet du marché de l’immobilier, celui-ci est en augmentation constante dans le département depuis quinze ans et Bugarach n’a pas échappé à ce phénomène qui ne doit rien aux Mayas. En vertu de l’adage « puisque ces événements nous dépassent, feignons d’en être les organisateurs », le maire souhaite engager une étude sur la faisabilité d’un centre de mytho-ethnologie qui aurait l’avantage de canaliser le flux éventuel. Dans le village règne un sentiment partagé d’affliction et de lassitude. Derrière sa longue-vue, Thierry Rutkowski scrute un point précis dans la montagne : « J’ai pris la nature dans la gueule en arrivant ici », il s’est installé à Bugarach à la faveur d’un emploi à l’Office National des Forêts dans les années quatre-vingt.
La lassitude des habitants
Aujourd’hui à la retraite, il préside la section audoise de la Ligue de Protection des Oiseaux : « Quand on arrive comme naturaliste, on est parfois considéré comme un illuminé, jumelles et longue-vue interrogent les gens », mais contrairement aux villages environnants, Bugarach a plutôt reçu moins de « peluts », les chevelus en langage local. Selon Thierry Rutkowski, les germes de cette histoire de fin du Monde reposent sur la proximité de Rennes le Château, où sévit naguère un étrange curé monarchiste à la fin du XIXe siècle. Dans la « carriéra dal fons dal vilatge », deux cousins natifs de Bugarach pensent en occitan. Gilbert et Claude Cros cachent mal leur agacement face à ceux qui viennent leur parler de la fin du Monde : « J’ai pris le parti de ne plus rien dire, le message n’était pas retranscrit », Gilbert aspire à la tranquillité. Cela tombe bien, nous sommes là pour parler d’autre chose, la vie du village par exemple : « Nous sommes les derniers des Mohicans », confie Claude avec humour. Son cousin est une des chevilles ouvrières de la Marche du Sel qui réunit chaque année une bonne centaine de personnes dans une randonnée conduisant aux sources salées situées de l’autre côté du serre de Lace : « Nous veillons à ce que l’accueil soit raisonné et rationnel, il faut respecter la montagne. »
Mais la montagne elle-même semble s’y mettre, sur le pignon Sud du Pech de Bugarach, beaucoup distinguent l’effigie du Bouddha, il n’en a pas fallu plus pour rajouter une pièce au puzzle de l’imagination délirante. Près de la mairie, trois personnes viennent de faire le tour du village, parmi celles-ci, Anne-Catherine Lavocat est étudiante en master anthropologie et prépare un mémoire sur le buzz Internet : « J’ai l’impression que c’est une pure création Internet », commente-t-elle. Son guide de la journée acquiesce : « Il y a une similitude avec ce qui s’est passé à Rennes le Château en 1988, on parlait déjà du calendrier Maya, c’est le même processus de manipulation », ajoute Uranie Teillaud, qui vit à Rennes le Château depuis cette époque...
- Extraits d’un long reportage à paraître dans le magazine N°16, sortie le 11 juin par par Philippe Serpault sur www.frituremag.info
« Et quel chemin de l’enfer, mieux que cela, des Corbières ! » Ainsi s’exprimait, au milieu du XIXe siècle, un maître d’hôtel de Carcassonne à l’adresse de deux voyageurs intrépides qui souhaitaient se rendre dans les Corbières (1), siège de tous les fantasmes. Le point culminant de ce massif pré-pyrénéen porte en lui une particularité à la fois géologique et géographique. Sans compter les légendes qui s’y accrochent aussi facilement que les nuages poussés par le Cers. Le Pech de Bugarach est couramment appelé la montagne inversée, ce qui lui donne déjà une touche ésotérique supplémentaire pour exciter les fantasmes. Ce massif sédimentaire qui fut immergé jusqu’au retrait des océans, se vit bousculer par la formation des Pyrénées, laissant apparaître les roches métamorphiques en sa partie supérieure. Ce phénomène de basculement s’observe régulièrement en lisière de la faille nord-pyrénéenne. La situation géographique du ¨Pech a fait de cette éminence le point de concours d’une triple influence climatique -méditerranéenne, atlantique et montagnarde- qui se traduit par une diversité remarquable de la flore et de la faune. D’autre part, d’aucuns ont cru déceler en ce lieu des courants telluriques singuliers. De quoi alimenter un des levains de l’ésotérisme ambiant, faisant du village le siège de stages de magnétisme.
Un village ordinaire
Sur la commune, six agriculteurs exploitent les terres et pratiquent l’élevage, une école maternelle, issue d’un regroupement pédagogique intercommunal, et une agence postale complètent un quotidien de village de montagne. Une maison de la randonnée accueille les randonneurs du “sentier cathare” en gîte et un restaurant régale les visiteurs de passage comme les habitants. Bugarach ressemble à un village tout à fait ordinaire où des panneaux “à vendre” fleurissent sur les maisons ; cependant, l’un d’eux, portant la mention « curieux s’abstenir », en dit long sur l’état d’esprit des habitants. Bugarach vit son quotidien comme d’habitude avec toutefois une inquiétude qui ne dit pas son nom. L’année 2011 a fait crouler sous le rouleau compresseur médiatique ce village où, déjà, les légendes faisaient leur terreau. Au Relais de Bugarach, on peut trouver du vin de la cuvée “Bugarach 2012”, produit dans la vallée des Fenouillèdes. Ici, on ne donne pas plus de crédit que cela à cette histoire de fin du Monde : « Cette histoire donne une image fausse, les visiteurs sont surpris de voir un village normal », constate Corine Leblanc qui a ouvert son échoppe voici deux ans. Au restaurant, Cathy Vies juge que ces annonces intempestives ne sont pas une bonne opération : « Les randonneurs n’ont pas envie de voir des gens qui font des prières en cercle au sommet du Pech. » Cependant, le Pech de Bugarach a régulièrement fait travailler les imaginations, et l’annonce que la fin du Monde, supposée prévue pour le solstice d’hiver 2012, épargnerait Bugarach, n’a pas vraiment étonné le maire de la commune.
« Il y a toujours eu des phénomènes comme cela, cette montagne dominante par rapport à toute la région attire de nombreux visiteurs en recherche de divagations », Jean-Pierre Delord préside aux destinées de la commune depuis trente-cinq ans. Malgré ses récurrences, cette fin du Monde-là a quelque peu inquiété le premier magistrat voici un an, quand l‘affaire a pris de l’ampleur sur Internet : « Jusque-là, ça ne dérangeait personne, mais il ne faudrait pas être submergé par un flot de population ». Alertée, la préfecture a pris acte et conseillé de ne pas en rajouter. Sauf que l’édile a fait le buzz dans la presse : « Ç’aurait été une erreur de ne pas en parler, il a fallu faire des mises au point », se justifie le maire. Cela étant, le nombre de visiteurs sur le sentier conduisant au sommet du Pech depuis le col de Linas a doublé en une année pour atteindre vingt mille personnes en 2011 : « On a dû nettoyer le Pech de symboles divers », confirme Jean-Pierre Delord. Au sujet du marché de l’immobilier, celui-ci est en augmentation constante dans le département depuis quinze ans et Bugarach n’a pas échappé à ce phénomène qui ne doit rien aux Mayas. En vertu de l’adage « puisque ces événements nous dépassent, feignons d’en être les organisateurs », le maire souhaite engager une étude sur la faisabilité d’un centre de mytho-ethnologie qui aurait l’avantage de canaliser le flux éventuel. Dans le village règne un sentiment partagé d’affliction et de lassitude. Derrière sa longue-vue, Thierry Rutkowski scrute un point précis dans la montagne : « J’ai pris la nature dans la gueule en arrivant ici », il s’est installé à Bugarach à la faveur d’un emploi à l’Office National des Forêts dans les années quatre-vingt.
La lassitude des habitants
Aujourd’hui à la retraite, il préside la section audoise de la Ligue de Protection des Oiseaux : « Quand on arrive comme naturaliste, on est parfois considéré comme un illuminé, jumelles et longue-vue interrogent les gens », mais contrairement aux villages environnants, Bugarach a plutôt reçu moins de « peluts », les chevelus en langage local. Selon Thierry Rutkowski, les germes de cette histoire de fin du Monde reposent sur la proximité de Rennes le Château, où sévit naguère un étrange curé monarchiste à la fin du XIXe siècle. Dans la « carriéra dal fons dal vilatge », deux cousins natifs de Bugarach pensent en occitan. Gilbert et Claude Cros cachent mal leur agacement face à ceux qui viennent leur parler de la fin du Monde : « J’ai pris le parti de ne plus rien dire, le message n’était pas retranscrit », Gilbert aspire à la tranquillité. Cela tombe bien, nous sommes là pour parler d’autre chose, la vie du village par exemple : « Nous sommes les derniers des Mohicans », confie Claude avec humour. Son cousin est une des chevilles ouvrières de la Marche du Sel qui réunit chaque année une bonne centaine de personnes dans une randonnée conduisant aux sources salées situées de l’autre côté du serre de Lace : « Nous veillons à ce que l’accueil soit raisonné et rationnel, il faut respecter la montagne. »
Mais la montagne elle-même semble s’y mettre, sur le pignon Sud du Pech de Bugarach, beaucoup distinguent l’effigie du Bouddha, il n’en a pas fallu plus pour rajouter une pièce au puzzle de l’imagination délirante. Près de la mairie, trois personnes viennent de faire le tour du village, parmi celles-ci, Anne-Catherine Lavocat est étudiante en master anthropologie et prépare un mémoire sur le buzz Internet : « J’ai l’impression que c’est une pure création Internet », commente-t-elle. Son guide de la journée acquiesce : « Il y a une similitude avec ce qui s’est passé à Rennes le Château en 1988, on parlait déjà du calendrier Maya, c’est le même processus de manipulation », ajoute Uranie Teillaud, qui vit à Rennes le Château depuis cette époque...
- Dessins Pierre Samson
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