Les Gardiennes du Silence de Sophie Endelys
(Presses de la Cité 2019) est assurément un thriller original, dans la mesure
où son héros est « le livre » ou plutôt « la bibliothèque »,
et une bibliothèque pas comme les autres : elle évoque celle d’Alexandrie,
elle veut se mesurer à celle de Babel, elle cherche à surpasser celle des
Grands Anciens de Lovecraft. Une île imaginaire, Heldenskøn, au large de la Normandie, sera transformée au 15ème siècle
par un disciple de Gutenberg en un réceptacle de tout le savoir écrit de l’humanité,
afin de le préserver des foudres des pillards… et de l’Église. Un réceptacle
bien caché dans des grottes et géré de main de fer par un ordre para-religieux,
formé essentiellement de femmes, les Blanches, que l’on garde prisonnières
après leur avoir coupé la langue !
Le roman met en scène une
sympathique spécialiste en manuscrits anciens, Chloë, dont les parents sont
morts dans de mystérieuses circonstances et dont la sœur a -semble-t-il- péri
noyée. Son père, natif de l’île anglo-normande, était un romancier à succès à
qui l’on doit Le Pont des Soupirs, un récit se déroulant sur sa terre d’origine.
Pour corser le tout, elle a épousé un brillant ingénieur qui dirige une société
discrète spécialisée dans la modification du génome humain et les travaux sur l’immortalité.
Un mari qu’elle supporte de plus en plus difficilement, la conduisant du reste
à une tentative (ratée) d’assassinat. Ayant découvert dans les papiers de
famille un étrange manuscrit retraçant l’histoire de la Communauté des Blanches
qui continuerait son travail de nos jours, elle s’enfuit pour mener son enquête
à Heldenskøn et découvre avec terreur comment sa famille et son mari ont été
impliqués dans ce projet dantesque. La gestion de cette « machine »
est décrite avec précision et humour, et l’on comprend pourquoi se trouvent à
proximité de la Bibliothèque un orphelinat (il faut de la main d’œuvre) et une
clinique discrète (les techniques de PMA et GPA permettent de compléter aisément
les effectifs.).
Même si le récit flirte
assez souvent avec l’invraisemblable, il est facile de se prendre au jeu et d’arpenter
les couloirs infinis de cette Bibliothèque de l’Impossible dont la monstruosité
est sublimée par des Sœurs en quête d’Absolu. Petit clin d’œil, elles ne
redoutent pas la « numérisation », car on aura toujours besoin de se
référer à l’original !
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