Le Sacre du Noir de Lauric Guillaud. Editions Cosmogone 6, rue Salomon Reinach, 69007 Lyon.
Lauric
Guillaud, professeur émérite de littérature et de civilisation
américaines à l’Université d’Angers, est un spécialiste des imaginaires
anglo-saxons et notamment de Lovecraft. Dans ce nouvel ouvrage, beau par
sa forme et passionnant par son propos, il invite le lecteur à explorer
l’imaginaire gothique et ses relations avec l’imaginaire maçonnique.
Lauric
Guillaud ne s’est pas restreint à la littérature, ni à la culture
nord-américaine et britannique, il a mis en place une véritable démarche
interdisciplinaire, s’inscrivant même dans cette transdisciplinarité
appelée de ses vœux par Gilbert Durand, et a recherché des matériaux
dans les cultures allemande et française.
D’emblée,
le lecteur se demandera quel peut bien être le lien entre le gothique
et la Franc-maçonnerie. Lauric Guillaud met au jour pour la première
fois des terreaux, des influences, des croisements improbables qui ont
pu irriguer certains aspects de l’imaginaire maçonnique.
« Nous
verrons d’abord, annonce Lauric Guillaud, les grandes tendances du
gothique avant de les mettre en perspective avec certains rituels
maçonniques. Nous vérifierons enfin cette double influence sur les
productions contemporaines. A l’ombre des colonnes, nous découvrirons
l’effroi délicieux du romantisme noir ; à l’ombre des cachots et des
souterrains gothiques, nous découvrirons les mystères de la
Franc-maçonnerie. »
Lauric
Guillaud commence ce voyage imaginaire, parfois imaginal, dans
l’Angleterre des débuts du XVIIIème siècle, un siècle où prolifèrent les
clubs les plus divers et les sociétés plus ou moins secrètes. Nous
découvrons les Hell-Fire Clubs, réceptacles d’anciens cultes, de
pratiques libertines ou de défis divers. Le premier de ces clubs,
transgressif, anti-religieux, libertaire fut fondé à Londres en 1719 par
le duc de Wharton. Il accueille femmes et hommes sur un pied d’égalité.
Ce nouvel égalitarisme réservé contribuera plus tard à faire évoluer
les pratiques dans la société anglaise et tardivement dans la
Franc-maçonnerie. Les Hell-Fire Clubs se développeront sous des
formes et avec des objectifs très divers allant de la société savante
aux cérémonies sexuelles pseudo-satanistes, en passant par les très
nombreux rites paramaçonniques qui animent la scène ésotérique
britannique. Progressivement, ces groupes quittent les tavernes pour la
clandestinité. L’expérience des Hell-Fire Clubs semble
caractériser cette période de transition et de confusion pendant
laquelle la religion perd de son influence sous les avancées de la
science, la pensée rationnelle se développe, et les pouvoirs se
déplacent.
« Ainsi,
nous dit Lauric Guillaud, coexistaient les perspectives progressistes
reflétées par les philosophes des Lumières et la fascination durable
pour les pratiques rituelles dont l’origine se perdait dans la nuit des
temps (cultes païens, druidisme, rosicrucianisme, etc.). »
Dans
cette tension entre ombre et lumière, entre ville et nature, entre
progrès et régression, entre conformisme et excès, de nouvelles
créativités vont apparaître qui influenceront aussi bien les arts que la
pensée, initiatique ou profane. Dès le siècle précédent, la mélancolie
annonce le romantisme, noir puis gothique. La rupture des Lumières avec
les sociétés traditionnelles est violente et suscite un mal-être
sociétal, des résistances et des résurgences de pratiques anciennes plus
ou moins comprises.
Lauric
Guillaud analyse divers aspects de ce vaste mouvement de transformation
complexe : Y-a-t-il eu un proto-gothique américain ? Comment se sont
développées les sociétés secrètes gothiques, quelles questions pose le Frankenstein de Mary Shelley ? Qu’est-ce qui caractérise l’initiation gothique ?
La
seconde entrée de l’ouvrage est donc maçonnique et débute par une
recherche sur l’impact littéraire et artistique de la Franc-maçonnerie.
L’un des ponts entre l’imaginaire maçonnique et l’imaginaire gothique se
trouve dans leurs approches respectives de l’architecture et de
l’archéologie.
« Pourquoi,
interroge Lauric Guillaud, le roman « maçonnique » se présente-t-il
comme une extension culturelle d’une pratique circonscrite à la Loge ?
Sans doute parce que l’imaginaire du romantisme dit « noir » a été
exacerbé par des notions purement maçonniques comme le lieu clos (reflet
de la Loge), l’obligation du secret, les oppositions ténèbres/lumière,
rejet/admission, soleil/Lune et surtout vie/mort. C’est l’initiation qui
cimente ces notions en les incorporant dans des rituels proches du
psychodrame. »
Au
fil des pages, à travers les très nombreux extraits ou références,
apparaît au lecteur une « étroite parenté de plusieurs textes gothiques
et de certains rituels maçonniques marqués par le goût du noir et du
cérémonial ». Cette attirance vers l’obscur et la nuit est cependant
associée à une orientation vers un « centre », un axe, à une recherche
de verticalité. Il s’agit de rester dans l’ombre pour mieux trouver la
lumière. Il existe une dimension initiatique propre à l’originalité et
la liberté du courant gothique qui trouve un reflet, parfois une réponse
dans l’imaginaire maçonnique.
Un livre à ne pas manquer pour son originalité et la richesse de son contenu.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire