À LA MÉMOIRE DE GENEVIÈVE BEDUNEAU
(1947-2018)
N’est point mort qui peut éternellement gésir,
Au cours des temps, la mort même peut mourir.
Cette célèbre citation du Necronomicon s’applique parfaitement à notre amie Geneviève. Sa colossale contribution aux nombreux domaines de la culture de marge est par définition impérissable et l’Association l’Œil du Sphinx, qu’elle avait désignée par testament comme légataire de son œuvre, jouera à l’évidence son rôle de préservation et de promotion.
Succomber d’une crise cardiaque sur un quai de métro le 4 avril, dans la galère des grèves parisiennes, est un abominable coup du sort, d'autant plus qu' elle allait enfin, dans les jours qui suivaient, emménager dans un nouvel appartement. La mobilisation de ses nombreux amis pour cette opération de « relogement » a été ici exemplaire ; je pense notamment à Bernard Fontaine et à Emmanuel Thibault.
J’ai rencontré Geneviève à la fin des années 90 dans les univers virtuels, ceux de forums « spécialisés » dans l’affaire de Rennes-le-Château. Elle intervenait sous le pseudo d’Yragaëlle et j’étais véritablement soufflé par sa connaissance du dossier et par ses éclairages à la fois historiques et mythologiques1. Nous ne tarderons pas à nouer contact « en vrai » et Geneviève commencera à fréquenter les diverses manifestations de l’ODS. On la voit ainsi participer au Congrès Fortéen de 2008 avant d’intervenir dans ce même cadre, en 2010, sur « Julius Obsequens, un proto-fortéen romain ». Elle adhérera en 2009 à l’association dont elle deviendra rapidement coadministratrice. Son intelligence pétillante et sa gentillesse lumineuse ponctueront nos réunions trimestrielles auxquelles elle ne venait jamais les mains vides (ah le fromage de Geneviève !).
Geneviève était d’une extrême discrétion sur sa vie passée. Elle se définissait elle-même sur son blog (http://reflexsurtempscourants.blogspot.fr/) comme chercheuse « hors institution ». Ancienne élève de l'EPHE (École Pratique des Hautes Études), titulaire d’une maîtrise de Philosophie de la connaissance à Paris X Nanterre et d'un doctorat de théologie orthodoxe (étude comparative des expériences visionnaires relatées dans les vies de saints mérovingiens et les témoignages similaires de notre époque), elle a longtemps enseigné à l'Institut Français de Théologie Orthodoxe de Paris (Histoire des Églises). Malgré ce bagage brillant, Geneviève n'a pas eu la vie facile et a terminé son cursus comme téléopératrice (à temps partiel) dans un institut de sondage, mais toujours très digne, parfois presque trop : « je ne veux pas être assistée, car je veux continuer à me regarder dans la glace.
Elle dirigeait, pour le compte de L’Œil du Sphinx, la revue Historia Occultae dont elle venait de me remettre les épreuves du numéro 9.
Nos relations sur ces dix dernières années ont été tellement riches qu’il est impossible de les résumer. Elle était et avait été partout… arpentant les Terres de l’Ailleurs à la lumière d’une curiosité inépuisable, d’un solide bon sens et d’une chaleur humaine communicative. On la retrouve dans le fandom de science-fiction des années 80/90 2 ainsi que dans les milieux ésotériques de marge de la même époque. Elle flirtera alors avec la kabbale, le thélèmisme, l’alchimie et surtout l’astrologie qui était sa véritable passion. Elle fut aussi un des piliers discrets de la recherche ufologique, arpentant les couloirs d’improbables conventions en compagnie d’amis comme Gildas Bourdais, Bertrand Méheust3, puis Richard D. Nolane ou Thibaut Canuti. Elle était restée très branchée sur cette problématique, devenant l’une des contributrices phare4 de la liste de diffusion ufologique sur internet, « Magonie ». Lors d’un voyage dans les Ardennes le mois dernier, elle nous avait résumé ses fortes convictions en la matière : Ils existent, leur existence est physique même s’ils défient les lois de ladite physique, Ils se comportent de façon intelligente, Ils ont une intentionnalité…
Nous sillonnerons ensemble les chemins de la Colline Envoûtée, autre fascination déjà évoquée. Ses interventions aux nombreux Colloques et Conférences que nous avons organisés ne se comptent plus, passant avec aisance de Poussin à Boudet, de Plantard à la géographie sacrée du Haut Razès en faisant un crochet par Saint-Paul du Fenouillet et à son abbé Grassaud. Mais son plus grand plaisir était de participer aux festivités autour d’une table avec les nombreux amis qu’elle s’était faits dans les douces couleurs castelrennaises. Je pense à Charly Samson, Pierre et Josette Cormery, Lauric Guillaud, Hugo Soder, Octonovo et bien d’autres. L’appareil photo toujours en bandoulière, elle immortalisera -car elle avait du talent- les curiosités innombrables de cette belle région de Rennes-le-Château.
Geneviève rejoindra en 2015 l’association Portes de Thélème avec laquelle l’ODS avait noué un partenariat. Une association centrée sur les travaux du métaphysicien Jean-Charles Pichon, qui tient son congrès annuel dans un château de la région de Limoges. Elle enrichira considérablement les travaux du groupe par ses compétences très pointues sur la Mythologie et les Cycles. Elle élargira, une fois de plus, le cercle de ses amis, fascinés par ce petit bout de femme qui plantait sa tente dans le parc du château « pour ne déranger personne ».
A l’instigation de Thibaut Canuti, responsable de la Médiathèque de Charleville-Mézières et ufologue déjà cité, elle deviendra membre permanent du groupe organisant tous les mois de septembre Le Salon des Littératures Maudites. Elle s’était inscrite pour la session 2018 avec une contribution sur « le petit peuple ». Proche de Thibaut, elle envisageait du reste de s’installer un jour dans les Ardennes. Elle avait envoyé à son ami, quelques jours avant sa mort, sa postface au nouveau livre d’ufologie qu’il s’apprête à publier.
On l’aura compris, Geneviève était « dévorée » par la recherche sur les grands mystères de l’univers et sur les arcanes de l’histoire. Le recensement de ses publications reste à faire, et ce ne sera pas chose commode, car elle essaimait ses écrits sur des floppy disks, des disquettes, des cartouches, supports aujourd’hui devenus archéologiques, avant de découvrir la clef USB ! Parmi ses dernières publications, citons, écrits en collaboration avec de nombreux amis dont Bernard Fontaine, Les Illuminati, l’Histoire Secrète Mondiale ; Des Sociétés Secrètes au Paranormal ou encore Mystères et Merveilles de l’Histoire de France (J’Ai Lu). Elle avait également traduit en français le « testament ufologique » de Jacques Vallée, Science Interdite (Aldane) et consacré deux gros ouvrages de compilation au philosophe Aimé Michel (La Clarté au cœur du Labyrinthe et L’Apocalypse Molle, Aldane). Elle venait de terminer, avec notamment Bernard Fontaine et Emmanuel Thibault, un nouvel ouvrage de réflexions ésotériques sur la société actuelle. Elle avait encore ouvert un chantier sur Pierre Plantard, cherchant à démontrer comment il avait été manipulé dans l’affaire du Prieuré de Sion bien connue à Rennes-le-Château.
Geneviève n’en était pas moins un personnage controversé, en raison du caractère trempé de ses positions politico-sociales qui avaient largement évolué tout au long de sa vie et de ses recherches, mais toujours fondé sur la connaissance et le respect de la vie et d'autrui. Pour paraphraser son amie Catherine Mortière, il n'y a vraiment que les imbéciles qui ne pouvaient pas le comprendre. Sa sensibilité s’épanouissait surtout dans une spiritualité profonde, celle de la religion orthodoxe. Elle était un des piliers de sa petite paroisse de banlieue et se réjouissait, ce dernier samedi, de participer à la Fête des Lumières de la Pâque.
C’est maintenant toi qui est partie rejoindre la Lumière, ma chère Geneviève. Nous ne t’oublierons jamais et nous n’avons pas fini de mesurer l’ampleur du vide que tu nous laisses.
Philippe Marlin
Dimanche 8 avril 2018,
En ce jour de la Pâque Orthodoxe
1 Dans le cadre de notre « devoir de mémoire », il y a là de toute évidence une mine à remettre au jour.
2 Nous préparons à l’ODS un recueil de ses premiers écrits dans le domaine de l’imaginaire, piloté par Emmanuel Thibault. Nous remercions ici les « 42 », collectionneurs devant l’éternel, qui nous ont permis de retrouver des publications improbables.
3 Elle préparait, pour le compte de l’ODS, un recueil des premiers articles ufologiques de Bertrand Méheust.
4 Même remarque qu’en (1).