LA DEPECHE
Archéologie. Halte au pillage du patrimoine
Publié le 14/04/2013 à 07:12
Archéologie. Halte au pillage du patrimoine
Rapide balade sur un site de vente en ligne, de particulier à
particulier. Une photo postée il y a trois semaines depuis le Tarn :
«objets romains flèche et fibule». Mise à prix 150€. Un autre site, à
présent… Des monnaies frappées à l'effigie de Louis XIV qui valent
désormais plus que le liard qu'elles représentaient à l'époque : de 5 à
165 € réclamés par des vendeurs en nombre. Mieux ? Un doublon en or à 1
500 €, une bague sceau médiévale, une hache votive préhistorique, un
poids juif antique… Officiellement ? C'est la collection privée de feu
grand-père, un souvenir de famille qu'on revend. Officieusement ?
Ce sont parfois des contrefaçons... mais «c'est surtout de plus en
plus souvent le butin de fouilles et de trafics sauvages qu'on écoule»,
constate Jean-Jacques Grizeaud, archéologue à l'Institut national de
recherches archéologiques préventives de Midi-Pyrénées qui, à l'instar
de ses confrères, s'alarme aujourd'hui des dimensions prises par le
phénomène partout dans le monde, fléau auquel notre région n'échappe
pas. Grottes «visitées», sites gaulois ratissés comme tout ce qui peut
avoir eu affaire à l'époque protohistorique, gallo-romaine ou au Moyen
Âge... Enquêtant depuis des années sur le sujet, Jean-Jacques Grizeaud,
victime d'un pillage en 2003, a donc organisé les 12 et 13 mars derniers
à l'université de Toulouse le Mirail une table ronde pour dire «Halte
au pillage !». Une première en France.
Car s'il existe des prospecteurs du dimanche qui partent à la «chasse
au trésor» en toute innocence avec leur «poêle à frire» premier prix…
grâce aux détecteurs de métaux de plus en plus perfectionnés disponibles
aujourd'hui, une véritable «archéologie noire» s'est aussi
professionnalisée en réseaux organisés. Laquelle prospecte et fouille
clandestinement à la commande pour des collectionneurs, voire pour
certains chercheurs…
Les chiffres du fléau ont ceux fournis par l'association Halte au
pillage du patrimoine archéologique et historique (Happah), et sont
accablants. Depuis la promulgation du décret du 19 août 1991, qui, pour
protéger les collections publiques, interdit la prospection avec
détecteur de métaux sans autorisation, 11, 250 millions d'objets ont été
illégalement prélevés en France, plus de 144 000 depuis le début de
l'année indique le compteur quotidien de l'association. Mais «ce chiffre
est basé sur les estimations les plus basses», prévient l'Happah,
s'alarmant de cette «irrémédiable perte du passé».
«Les détecteurs ne sont pas des pilleurs»
Marc de Kepper en a un plein seau. Des boulons, des bouts de fil de
fer, des cuillères tordues, des lames improbables, des bouts de gamelles
et des bouts de bidons…
«En fait, nous, nous sommes des dépollueurs ! Les agriculteurs font
appel à nous pour ôter les métaux qui traînent dans leurs champs. On
peut aussi chercher des bijoux que des personnes ont égarés.»
Marc de Kepper est le représentant local de la Fédération européenne
de prospection. Après une vie très active, cet homme qui adore la
marche, la nature, la découverte, s'est trouvé une passion pour la
détection.
«Oh bien sûr, il m'est arrivé de retrouver des pièces, des Napoléons,
par exemple… Mais avec les produits que les agriculteurs mettent dans
les champs, elles sont très abîmées.» Marc explique qui lui et les
membres de sa fédération demandent toujours l'autorisation au
propriétaire des lieux de passer leur «poêle à frire». Et quand on
trouve quelque chose, on le donne au propriétaire. On garde juste une
pièce en souvenir.»
Alors, évidemment, il comprend la grande colère des archéologues
contre les pilleurs armés de poêles à frire. «Et je veux que ceux qui
partagent le même loisir se défendent. Les pilleurs nous causent un tort
considérable. On nous prend pour des voleurs, des bandits ! Alors que
nous sommes juste des passionnés. Nous serions ravis de pouvoir, comme
en Angleterre, coopérer avec les archéologues officiels. Si on repère
quelque chose sur un terrain, on le signale et on continue de détecter
tandis que les scientifiques fouillent… Mais j'ai plutôt l'impression
que ceux-ci veulent que l'on interdise totalement toute activité de
détection. C'est dommage : je vois très souvent que l'on construit des
routes, des lotissements, des bâtiments, sans qu'on prenne la peine de
sonder le sous-sol à la recherche de vestiges archéologiques. Nous, nous
serions bénévoles et volontaires pour ce boulot-là.» Et puis Marc
pointe l'autre face du problème.
«Il y a les acheteurs ! Si l'on interdisait la vente de ces objets
sur e-Bay ou sur LeBonCoin, ce serait déjà une bonne chose. Car
maintenant, il y a des pilleurs qui en font leur activité principale,
ils en vivent et c'est inadmissible !»
Et Marc de rajouter avec un petit sourire : «D'ailleurs, sur ces
sites, on vend parfois un peu n'importe quoi. On a vu proposer des
fibules romaines qui étaient fabriquées dans les pays de l'Est ! Des
copies produites en série, que des spécialistes de notre association ont
repérées. Sans parler des pièces romaines ou gauloises qui ont été
fabriquées en Chine !»
Les rêves de Rennes-le-Château
S'il est un village qui a subi depuis belle lurette les outrages des
pilleurs et des illuminés, c'est bien Rennes-le-Château. Bien sûr, il
plane sur cette petite commune de l'Aude le mystère de la fortune de
l'abbé Saunière. La commune cache-t-elle un trésor ? C'est ce qu'ont cru
quelques amateurs d'histoires, des occultistes passionnés et de vrais
illuminés.
«Désormais, la commune est plus calme, raconte son maire Alexandre
Painco. Mais dans les années soixante 70, c'était une vraie folie.
Certaines personnes ont acheté des ruines, des granges dans le village
pour creuser des galeries qui aboutiraient sous l'église, à la recherche
de ce fameux trésor ! Certains ont même employé la dynamite ! Je dis
souvent en plaisantant : à Rennes-le-Château, on a tous les tunnels, il
ne nous manque plus que le métro !»
Sans compter tous ceux qui baladaient leurs détecteurs de métaux sur
les champs avoisinant ou qui creusaient après avoir interrogé un
pendule, une conjonction astrale ou un doigt mouillé !
«Désormais, nous avons plutôt des visiteurs qui viennent rêver,
explique le maire. 150 000 personnes chaque année passent à
Rennes-le-Château.»
Alors, pas de fouilles pour Rennes ? Si ! «Nous allons entreprendre
quelques recherches dans le cadre du «petit patrimoine». Il s'agit
surtout de mieux connaître l'histoire de notre ville, ses origines.
Certains disent que les Cathares ne sont pas venus ici, mais j'en doute…
Et si, nous disposons d'éléments intéressants, alors, éventuellement,
sous la houlette de la Direction régionale des affaires culturelles,
nous réaliserons des fouilles à Rennes-le-Château. Mais des fouilles
officielles !»
Les trésors cachés du Grand sud
Les hommes préhistoriques, les Gaulois, les Grecs, les Romains, les
Wisigoths… Ah, elles en ont vu passer des visiteurs, les terres du Grand
sud. Elles sont en quelque sorte un millefeuille où l'on peut lire les
pages du passé à quelques centimètres sous terre.
Ainsi, au bord de la Méditerranée, l'ancienne Septimanie a vu passer
les Phocéens, les Grecs et les Romains y ont fait tracer la fameuse via
Domitia, une sorte d'autoroute de l'époque. On y trouvait des sortes de
stations services tous les dix kilomètres et là, défilaient tout à la
fois les armées romaines qui manœuvraient vers l'Espagne et les
marchands venus de toute l'Europe. Le long de ces chemins, dans les
villas, les auberges, les haltes, ils ont perdu des bijoux, des fibules
(agraphes pour les vêtements), de la petite monnaie, des poids, des
outils, des armes… qui font le bonheur des pilleurs. Toute la région
Midi-Pyrénées est, elle aussi, sous l'œil des pilleurs qui préparent
leurs explorations dans les bibliothèques, les archives, les cadastres
et désormais Google Earth. Ils savent très bien repérer les endroits où
leur poêle à frire peut faire surgir des trésors engloutis par le temps.
Dans le Gers, on a vu des prospecteurs aux abords de la villa gallo
romaine de Séviac, près de Condom, d'autres dans des champs près de
Lectoure. Tout autour d'Agen, qui était un lieu de passage de la Garonne
depuis la plus haute antiquité, on fouille, notamment à Sos, siège des
Sotiates.. A Agen, la Maison du Sénéchal, qui appartenait aux Templiers
fait rêver. En Tarn-et-Garonne, on croit savoir qu'une légion romaine
s'était établie au bord de l'Aveyron, près d'Albias. Dans le sud de la
Haute-Garonne, on connaît les villas de Montmaurin et de Lugdunum
Convenarum près de Saint-Bertrand-de-Comminges. D.D.
«Notre passé archéologique est fortement menacé par cette catastrophe silencieuse»
Archéologue à l'Institut national de recherches et d'archéologie
préventive, Jean-Jacques Grizeaud a organisé la première table ronde
pour dire halte au pillage, les 12 et 13 mars dernier à Toulouse.
Interview
Que représente le pillage archéologique aujourd'hui ?
Le pillage archéologique a toujours existé. Au temps de l'Égypte
ancienne, il y avait déjà des pilleurs de tombes comme en Asie centrale
dans l'Antiquité. Aujourd'hui, il existe plusieurs formes de pillage. Il
y a celui qui est associé à une destruction, pour effacer une culture,
comme au Mali récemment, avec les djihadistes. Et il y a le pillage des
sites et des monuments, partout dans le monde à des fins de collection
et de revenus. C'est-à-dire qu'il y a une demande mondiale, toutes
époques confondues, pour des collectionneurs qui passent commande par
internet, ainsi qu'on l'a vu lors du pillage du musée de Bagdad, lors de
la deuxième guerre du Golfe. Et ce mouvement n'épargne pas la France,
causant un véritable désastre culturel.
Quels sites sont menacés dans la région ?
Tous, sans exception. Et en règle générale, les pilleurs agissent
presque toujours avec des détecteurs de métaux. Le problème n'est pas
nouveau, mais il explose ces dernières années sur fond de crise et sous
une pression du lobby des marchands de détecteurs, en Europe, qui
camoufle cette pratique derrière le «loisir».
Qui sont ces pilleurs ?
Il y a les pilleurs professionnels qui écument les bibliothèques.
Ils ont toujours un chercheur ou un archéologue comme contact pour les
renseigner et ils disposent de documentation professionnelle, pour
préparer leurs prospections, ce qui pose le problème des dérives pouvant
survenir lorsqu'il y a collaboration entre chercheurs et prospecteurs
et provoque du coup une certaine gêne autour du dossier. Et puis il y a
les autres, qui, effectivement, le font en dilettante mais ne font pas
moins de dégâts et pas forcément sur des sites connus. Dans les deux
cas, la loi de 1989 limitant l'usage des détecteurs de métaux est
extrêmement claire, en France. «L'autorisation d'utiliser du matériel
permettant la détection d'objets métalliques est accordée, sur demande
de l'intéressé, par arrêté du préfet de la région dans laquelle est
situé le terrain à prospecter. La demande d'autorisation précise
l'identité, les compétences et l'expérience de son auteur ainsi que la
localisation, l'objectif scientifique et la durée des prospections à
entreprendre».
Or aucune déclaration n'est jamais faite et en France il y a au moins
10 000 utilisateurs actifs de détecteurs. Certes, les vendeurs disent
tous qu'ils sont contre le pillage et qu'ils rappellent à tout
utilisateur les règles. Mais pour les contourner, on a inventé la notion
de «loisir», de «chasse au trésor», voire d'associations de
«dépollution».
Que préconisez-vous ?
Contre ces réseaux, cette véritable «archéologie noire», il faut
rappeler que l'archéologie est un métier, avec des méthodes strictes de
recherches et qu'en détruisant des sites en cours de fouille ou
potentiels, ces gens privent la Franceet les générations futures du
droit et du devoir de connaître leur patrimoine et leur passé.
Aujourd'hui, il faut commencer par appliquer la loi, tout en
s'interrogeant sur sa pertinence et comment mieux la faire respecter,
mais il faut aussi mieux protéger et surveiller les chantiers, notamment
avec le DAP (Dispositif anti pillage). Et il faut interdire la vente
en ligne de tels objets ce qui limiterait vraiment le marché.
Propos recueillis par Pierre Challie