Roumanie : Après Dracula, Ceausescu la nouvelle attraction touristique
Source: L'Express
jeudi 22 août 2013 à 07h47
Détesté de son vivant, le mégalomaniaque dictateur
roumain Nicolae Ceausescu (1918-1989) est devenu une attraction
touristique: après sa maison natale et ses villas, l'endroit où il fut
exécuté sera bientôt ouvert au public.
© AFP
L'ancienne base militaire, située à cent kilomètres au nord-ouest
de Bucarest, sera transformée en musée et recevra les premiers
visiteurs en septembre. "Nous avons reçu beaucoup de demandes de la part
de gens qui voulaient voir la caserne où Ceausescu et son épouse Elena
ont été fusillés le 25 décembre 1989", indique à l'AFP le directeur du
musée d'histoire de Targoviste (sud), Ovidiu Cârstina.
En décembre 1989, alors que le Rideau de fer s'était ouvert
entraînant la chute en série des régimes communistes d'Europe de l'Est,
Ceausescu fut renversé par un soulèvement populaire. Arrêté pendant
qu'il fuyait des manifestations à Bucarest, le couple présidentiel avait
été condamné à mort lors d'un procès expéditif devant un mystérieux
tribunal autoproclamé, puis aussitôt exécuté.
Les images télévisées avaient fait le tour du monde entier, montrant la
fin de plus de deux décennies d'un régime marqué par le culte de la
personnalité, le népotisme et la surveillance de l'omniprésente police
politique Securitate et ses dizaines de milliers d'employés et
informateurs.
"Notre but est de montrer les choses comme elles se sont passées,
sans faire de commentaires sur le procès, sur la vie du couple ou sur le
culte de la personnalité", ajoute Ovidiu Cârstina, en ouvrant la porte
de la petite salle où Nicolae et Elena avaient été sommairement jugés.
Le box des accusés, où les époux Ceausescu, dans leurs manteaux à col de
fourrure, avaient écouté les chefs d'accusation, et les bancs de
l'avocat, du procureur et du juge seront remis en place, recréant le
décor du procès.
Dans une pièce à côté, les lits en fer où les Ceausescu avaient passé
leurs trois dernières nuits n'ont pas bougé. Et dans la cour intérieure,
le mur jaune contre lequel le couple avait été fusillé garde toujours
les impacts de balles. Les images télévisées du procès, qui avait
suscité des questions sur le respect des procédures judiciaires, seront
diffusées sur un écran. S'il admet que les opinions sur l'initiative des
autorités locales de transformer cette caserne en musée sont
"partagées", M. Cârstina souligne qu'il est important de se pencher sur
un "moment qui a fait basculer l'histoire de la Roumanie". Pour le
sociologue Vasile Dâncu, "chaque peuple doit assumer son histoire, sans
occulter certaines choses." "On ne peut pas effacer l'image de ce
simulacre de procès qui témoigne de la dégringolade de la société
roumaine à cette époque-là", explique-t-il à l'AFP.Un premier groupe de
touristes suédois est attendu à la caserne de Targoviste quelques jours
après l'ouverture du musée, début septembre.
Folie des grandeurs
Plusieurs autres lieux symboliques liés à Ceausescu attirent déjà les
touristes. Ainsi, le gigantesque "Palais du peuple" qu'il avait fait
bâtir dans les années 1980 après avoir fait raser l'un des plus beaux
quartiers du centre historique de Bucarest. Emblème de la folie des
grandeurs de celui qui aimait se faire appeler le "génie des Carpates"
et deuxième bâtiment le plus grand au monde après le Pentagone, ce
palais est aujourd'hui la première destination pour les touristes
visitant la capitale. En 2012, plus de 144.000 en ont franchi les
portes, dont 110.000 étrangers.
A l'époque, 40.000 personnes avaient dû être délogées pour laisser place
à cette construction de 350.000 m2 habitables, à un moment où les
Roumains souffraient de pénuries alimentaires et de coupures de courant.
Pour Lucia Morariu, présidente de l'Association des voyagistes
roumains, transformer Ceausescu en "marque touristique" n'est pas une
bonne idée. "Pourquoi encourager les nostalgiques'" dit-elle à l'AFP,
soulignant que la Roumanie dispose d'atouts naturels exceptionnels dont
le delta du Danube, inscrit au patrimoine mondial de l'Unesco, et la
réserve naturelle des Retezat, au coeur des Carpates.
Traian Badulescu, consultant en tourisme, estime au contraire que la
Roumanie "doit maximiser ses recettes touristiques, y compris en mettant
en valeur son histoire". "Qu'on le veuille ou pas, Ceausescu a mis son
empreinte sur l'histoire de la Roumanie et il y a beaucoup de touristes
qui veulent suivre ses traces", dit-il. Le dictateur avait mis en place
un culte de la personnalité sans équivalent en Europe de l'Est: pour son
anniversaire, toutes les entreprises du pays et leurs salariés devaient
envoyer des lettres de félicitations remplies d'éloges.
A Scornicesti, ville poussiéreuse du sud, nombreux sont ceux
aujourd'hui qui arrêtent leur voiture devant la petite maison en torchis
où Ceausescu est né en 1918. Parfaitement conservée, avec son sol en
terre, sans électricité ni eau courante, la maison est parfois ouverte
au public par le neveu de Ceausescu, Emil Barbulescu, qui vit à côté. Se
félicitant de l'intérêt des touristes pour cette demeure modeste devant
laquelle un buste de Ceausescu a été installé en 2010, M. Barbulescu,
ex-redouté chef de la milice communiste de la région, reste nostalgique
du "bon vieux temps". Selon lui, "des pas ont été faits pour rétablir la
vérité" sur son oncle. "L'Histoire le remettra à la place qu'il
mérite", assure M. Barbulescu à l'AFP.
Heureuses de trouver la porte ouverte, deux élégantes quinquagénaires
bucarestoises affirment être venues "par respect et pour se sentir plus
proches" du "Conducator". Venu lui aussi visiter la maison natale de
Ceausescu, Ioan Donga, haut fonctionnaire public sous le communisme,
indique lui, comme la plupart des Roumains, n'éprouver "aucun regret"
pour le dictateur. "Il y avait trop de restrictions", dit-il, même si sa
propre famille "ne manquait de rien" à l'époque. Mais l'exécution de
Ceausescu reste une plaie ouverte: "Il méritait bien d'être fusillé,
mais ce n'est pas comme ça qu'il fallait procéder", dit-il.