La Fraternité des Polaires, Richard Raczynski (Dualpha 2018). Je n’ai pas
beaucoup de sympathie pour la ligne éditoriale de cette maison, mais je dois
admettre qu’elle nous livre un travail sérieux et bien documenté sur un sujet
controversé. L’étude tord le cou à toute une série de légendes glauques (cf
1931) et essaie d’analyser en profondeur ce qu’était cette mystérieuse fraternité.
On trouve à l’origine deux occultistes italiens installés à Paris. Le premier, Mario
Fille se verra remettre par un vieillard italien, le père Julian, à qui
il avait rendu service un manuscrit supposé contenir un grand secret. Il n’y prêtera
pas attention sur le champ, mais le montrera ultérieurement à son ami César
Accomani, dit Zam Bothiva, qui découvrira qu’il contient une forme d’oracle
assez sophistiquée, basée sur des transpositions de lettres en chiffres et vice
versa. Cette méthode aurait été mise au point par des Sages installés en
Agartha. Enthousiaste, Zam Bothiva rédige un livre sur le sujet (Asia
Mystériosa et les Mystères de Polaires, Dorbon Ainé, 1930) et
avec son partenaire s’investit dans une Fraternité capable d’établir le contact
avec l’Agartha. Fidèle reflet des sociétés occultes de l’époque, elle baigne
dans la philosophie martiniste et flirte avec la Théosophie. Son Bulletin
navigue dans les eaux de la Tradition Primordiale, de la Terre creuse, du Roi
caché et recourt au moyen de communication en vogue à l’époque, le spiritisme.
Ses propos publics sont placés sous le signe de la bonté, de la lutte contre le
mal et de la nécessaire transformation de l’homme par lui-même. Les menaces de
guerre planent alors sur l’Europe, et à l’instar de Dion Fortune en son temps,
la Fraternité déploie toute une mécanique de prières pour repousser l’Antéchrist.
Elle attirera nombre de chercheurs en occulte et un noyau d’intellectuels comme
Maurice Magre, l’auteur du Sang de Toulouse (Flasquelle, 1931). Ce
dernier consacrera du reste, sous le pseudonyme de René Tilly, un chapitre sur
les Polaires dans La Magie à Paris (Éditions de France, 1934). Sans avoir
la preuve formelle qu’il eût appartenu au groupe,
Conan Doyle est fortement sollicité par les adeptes au cours de séances de
spiritisme fidèlement retranscrites dans les bulletins. Pas de scoop ici sur le
père de Sherlock Holmes, mais un exposé très complet sur spiritualisme de l’époque.
La liaison entre les Polaires et le Graal est
certainement plus le fruit d’initiatives individuelles que d’une démarche
ésotérique structurée. On se souvient que le jeune Otto Rahn est venu à Paris
pour se documenter sur l’Ariège et ses légendes dans la cadre d’une thèse sur
La recherche du maitre Kyiot de Wolfram. Le hasard amènera l’étudiant
allemand à rencontrer, à la closerie des Lilas, le poète et ésotériste occitan,
Maurice Magre. Celui-ci lui conseillera vivement s’investiguer en Ariège où les
cathares auraient laissé de nombreuses traces, voire de précieux artefacts. Là
commence la queste de celui qui deviendra pour certains « Indiana Jones » !
Contact est pris avec Antonin Gadal, président du syndicat d’initiatives d’Ussat-les-Bains
et avec la comtesse de Pujol-Murat, présidente de La Société du Souvenir et
du Graal. Plusieurs groupes de Polaires se précipitent sur place, ce qui n’est
pas sans défrayer la chronique locale. Ce qui
vaudra à un journaliste (en mal de copie ?),
D. Lamothe, un article « à sensation » daté du 6 mars : Est-ce
une nouvelle ruée vers l’or ? Sous la conduite d’un allemand, un groupe de
Polaires se livrent à des fouilles dans la région de Massat. L’allemand
en question serait un certain Rams (qui deviendra Rahu dans un second article).
Ils seraient à la recherche de reliques cathares et surtout du fameux Évangile
de Saint Bartélémy. Mr Gadal, président du Syndicat d’Initiative d’Ussat,
proteste vivement contre ces affabulations tendant à accréditer la présence du
trésor des Cathares dans la région. Otto Rahn participera lui-même à la polémique
en publiant le 10 mars un article A propos des Polaires dans lequel il
explique sa démarche, purement historique. La suite on la connaît. Otto
Rahn s’enthousiasmera à un tel point au mystère cathare qu’il sera surpris en
train de rajouter ses propres graffitis à ceux des Parfaits pour démontrer ses
thèses. Il commettra Croisade contre le Graal (1933), ouvrage
remarqué par Himmler qui lui commandera une suite accréditant la thèse de l’origine
aryenne des Cathares, La Cour de Lucifer (1937). Il ne
trouvera ni le Graal, ni le château de Montsalvage, mais sera « récompensé »
par une admission au sein de la SS, groupe dont il démisionnera. On le
retrouvera « suicidé » en 1939.
Quant au groupe des Polaires, et malgré ses prières
régulières en faveur de la Paix, il ne pourra éviter le déclenchement de la
seconde guerre mondiale et disparaîtra dans les brumes de Thulé !