dimanche 20 mars 2022

LES IMAGINAIRES DU NOUVEAU MONDE, Lauric Guillaud et Georges Bertin

 Tout chaud sorti des Presses de l'ODS

 

« Le « Nouveau Monde » est une création de l’Ancien », explique Lauric Guillaud. Cet ouvrage collectif explore la notion de « nouveau monde », principalement autour des imaginaires américains et à propos des Amériques. Mais il explore surtout comment les perspectives actuelles sur le rôle de l’imaginaire dans les désirs d’exploration viennent l’éclairer – qu’ils soient ou non mis en actes, qu’ils ouvrent, ou moins, sur des rencontres fécondes. Le rapport de l’imaginaire au mythe est omniprésent dans cet essai. Plusieurs américanistes apportent leur regard à cette réflexion : un retour historique sur le basculement entre exaltation exploratoire, rencontres et violence du choc des cultures (L. Guillaud) ; une évocation de
l’influence des mythologies de l’Antiquité occidentale sur l’exploration du Nouveau Monde (J.-P. Sanchez) ; une riche analyse de l’œuvre théâtrale de Lope de Vega sur Christophe Colomb (M. Aranda) ; la notion de Paradis comme moteur imaginaire du Nouveau Monde (R. Tejada) ; un article sur l’art mural mexicain (A.C. Hornedo Marín) ; un rappel du rôle majeur d’Evita Perón dans l’imaginaire argentin contemporain (C. Marchand) ; un bref comparatif avec l’Orient chinois (G. Susong).
Le contexte historique, qui nourrit l’imaginaire, est déterminant pour tout projet d’exploration ; comme le souligne Maria Aranda : « La reconquête de Grenade et la découverte du Nouveau Monde sont les deux moitiés d’un seul avènement, celui du Christ en terre infidèle. » On aborde aussi dans ce livre, avec G. Bertin, un imaginaire en retour émanant d’Amérique au cours du XXe siècle, qui se diffuse et se diffracte comme dans une vision kaléidoscopique : celui d’un « Nouvel Âge » – comme quoi espace et temps restent intimement mêlés… Et on montre combien l’idéal de « nouveau monde » se reflète dans la nostalgie pour le, ou les, mondes anciens, et comment contemporanéité et traditions se répondent à chaque fois qu’on les évoque –une leçon à toujours garder à l’esprit.
« Qu’en est-il aujourd’hui du Nouveau Monde et des « nouveaux mondes » ? » interrogent Lauric Guillaud et Georges Bertin, une question qui ne doit pas être considérée anodine à l’heure d’un nécessaire réenchantement du monde et de l’effritement des ethnocentrismes, et à laquelle j’invite à réfléchir dans la dernière intervention.



samedi 19 mars 2022

LES CHRONIQUES D'EL'BIB : JE SUIS LES TÉNÈBRES, Joseph Denize


 


 

La fiction néo-lovecraftienne nous réserve une belle surprise avec Je suis les ténèbres de Joseph Denize (Julliard, 2022). Nous allons partager l’aventure d’un jeune dilettante belge, Kurtz, envoyé en mission « familiale » au Congo, afin -officiellement- de rédiger un mémoire sur la dimension « philanthropique » de la colonisation, mais aussi pour participer au commerce lucratif de l’ivoire. Il est vrai que la première moitié de l’ouvrage, au demeurant fort bien écrit, se traîne en longueur. On se lasse un peu de descendre le fleuve ! Mais c’est en arrivant au camp de base que l’aventure va se mettre en branle, notamment avec la rencontre d’un étrange explorateur dynamique, Moreau, à la recherche d’une peuplade inconnue. Alors que Moreau s’enfonce dans la jungle, Kurtz sympathise avec les habitants d’un village qui le considèrent comme un « vombi » (divinité) et en font leur roi, ce qui nous donne quelques pages truculentes.  Puis sur les traces de Moreau, il découvre un nouveau village fort bien tenu, dont les habitants ne sont pas totalement humains, possédant en effet certaines caractéristiques « batraciennes ». De surcroît, le village est recouvert d’une sorte de toile d’araignée blanche, qui semble être une plante, la « virgo », laquelle unit tous les indigènes dans un curieux vortex. Kurtz succombe aux charmes de la beauté de la communauté, Akkâ, avant de retrouver Moreau qui occupe une grande case dans la jungle. Il a baptisé cette race non-humaine les « Profonds » et prépare une communication qui devrait révolutionner nos connaissances en matière d’évolution.

Les choses se termineront mal entre les deux amis, mais ne spolions pas une chute surprenante !


lundi 14 mars 2022

LES CHRONIQUES D'EL'BIB, Arkham Mysteries T1, Nolane & Garcia

 


Arkham Mysteries, I Le ciel des Grands Anciens, Nolane & Garcia (Soleil 2022). Une belle réalisation qui nous plonge à nouveau dans le Arkham des années 20. Le Pr Armitage, en poste à Harvard, abandonne ses fonctions malgré le veto de sa hiérarchie, pour partir au secours d’un ami disparu en Mongolie, le Pr Tanner. Ce dernier était sur la trace de civilisations non-humaines. Il le retrouvera agonisant dans un temple dédié à une monstruosité, vraisemblablement Lloigor, adorée par le peuple Tcho-Tcho. Jurant de le venger et de poursuivre la recherche de son ami, il plongera dans les méandres des bouges de China Town. La chasse aux indices sera violente ; il risquera sa vie lors d’une cérémonie occulte er découvrira qu’on lui a tatoué dans le dos d’étranges symboles. Ayant perdu son poste à Harvard, il trouvera une chaire à l’Université de Miskatonic à Arkham, prenant la responsabilité du département des « religions et cultes disparus ». Grâce aux livres maudits qu’il peut facilement consulter, mais aussi grâce à l’aide de Skylark, la patronne de « L’Arkham Sentinel » - dont le correspondant à Providence est un certain Lovecraft-, il va se lancer dans une quête ésotérique sanglante, « quelque chose semblant d’être sur le point de … » Il est vrai que les Coldies, créatures mi-humaines, mi-batraciennes, qui hantent la cité de nuit ont de quoi refroidir l’entrain de nos investigateurs.

 Les pastiches lovecraftiens sont souvent « téléphonés », mais Nolane a su trouver une accroche originale. Quant au trait de Garcia, il est magnifique. La double page qui représente Arkham sous la neige m’a fait pousser un « ouaou » !

 


 

vendredi 11 mars 2022

LES CHRONIQUES D'EL'BIB : HORREUR A ARKHAM, le dernier Rituel, S.A. Sidor

 


J’ai pris beaucoup de plaisir à lire Horreur à Arkham, Le dernier rituel, S.A. Sidor (404 éditions, 2021). Une fiction néo-lovecraftienne, bien écrite et qui ravira tous ceux qui adorent se balader à Arkham. Alden Oaks, peintre maudit et dilettante devant l’éternel, rentre dans sa bonne ville natale d’Arkham pour assister au mariage de son ami Preston avec son ex, Minnie. Il a découvert, au cours de son périple en Europe d’étranges symboles, et participé à une cérémonie impie en Espagne où il crut reconnaitre le plus grand artiste surréaliste de l’époque, un certain Balthazar. Il finira par s’installer à la « Colonie » d’Arkham, ancien hôtel particulier devenu une sorte de maison des artistes ». Il y retrouvera Nina, ex de Preston, qui mène une enquête pour écrire un livre sur les crimes odieux qui ont défrayé récemment la petite ville. Alden se joint à elle et, ensemble, ils découvriront autour de ces meurtres des éléments laissant penser à des crimes rituels. Je ne spolierai pas la chute, sinon pour dire qu’à l’occasion d’un bal masqué organisé par Balthazar de passage dans la cité, nos deux investigateurs découvriront « d’autres dimensions ».

mercredi 2 mars 2022

LES CHRONIQUES D'EL'BIB : LA SEPTIEME EXTINCTION, Alain Delbe

 


Belle surprise que La Septième Extinction (autoédition 2021) d’Alain Delbe. Ce dernier nous livre en effet un véritable traité d’apocalypse joyeuse sur fond de collapsologie bienveillante. La trame est hélas bien connue : réchauffement climatique, épuisement des ressources naturelles, pollutions en tout genre, capitalisme débridé et sans scrupules…. Bref, l’humanité court à sa perte et elle en est la seule responsable. L’auteur nous invite à réfléchir à cette catastrophe inévitable en compagnie d’un petit garçon du Nord de la France et de sa famille. Et quelle famille, puisqu’elle a trouvé le remède définitif aux maux de l’humanité.

L’inspiration vient du grand-père paternel, Simon, psychanalyste de terrain, mais aussi touche-à-tout, toujours plongé dans ses livres, que ce soient des ouvrages de fiction ou des traités de philosophie. Il développera du reste une vision métaphysique sulfureuse qui fera ultérieurement de lui un théologien réputé : Dieu est bon et il ne peut pas avoir créé une espèce humaine fondamentalement destructrice ; il est à l’origine de l’univers, de la terre et de ses merveilles naturelles ; mais c’est Satan qui a créé l’homme afin de saccager l’œuvre de la Divinité. Simon aimait bien taquiner la plume à l’occasion et rédigea une nouvelle devenue célèbre, Décréation, dans laquelle on voit une humanité mettre fin volontairement à son existence. Publié à l’origine dans une revue confidentielle d’amateurs de science-fiction, ce texte suscita les commentaires amusés de plusieurs lecteurs. C’est ainsi qu’un certain Emmanuel Thibault laissa entendre que les hommes ainsi décréés se retrouvaient dans un monde parallèle dans lequel ils pouvaient poursuivre leurs saccages.

Le grand-père maternel, de son côté, garagiste en son temps, était un passionné de paléontologie et sa philosophie pouvait se résumer ainsi : … n’était-il pas plus heureux quand il n’avait qu’à assommer le bison, cueillir les fraises des bois, s’extasier devant les paysages et convoiter celles de la tribu d’à côté ?

Extrêmement motivé pour mettre fin aux malheurs de l’homme, le père, brillant scientifique, mettra au point le produit miracle : un virus particulièrement contagieux qui empêche toute fécondité. Mais avec des dégâts collatéraux : le mal être des femmes qui aspirent toutes peu ou prou à la maternité. D’où l’intervention de la mère, autre scientifique émérite, qui développera un virus complémentaire : un produit légèrement euphorisant qui met fin au mal être et qui permet de voir la vie toujours du bon côté. La contagion se répandra à une vitesse fulgurante, la terre entière reconnaissant l’aspect positif de ce qui sera appelé « Le Bienfait ». Les deux inventeurs seront du reste nobélisé.

Alain Delbe réussit l’exploit de faire balancer en permanence le lecteur entre une réflexion douloureuse (le saccage de la planète est bien croqué) et un immense éclat de rire. L’humour de l’auteur atteint des sommets lorsqu’on apprend que Mélenchon, après un nouvel échec aux présidentielles de 2027, s’est retiré dans les ordres au monastère de la Grande Chartreuse !

Un ouvrage qui ravira les disciples de l’essayiste Cioran dont le pessimisme métaphysique, évoqué au fil des pages, est à l’évidence la colonne vertébrale du récit.


mardi 1 mars 2022

ADIEU, HENRY LINCOLN

Henry Lincoln (Henry Soskin pour l’état civil) vient de nous quitter alors qu’il allait rentrer dans sa 92e année. Personnage incontournable de « l’affaire de Rennes-le-Château », il s’était épris de la région du Haut Razès au point d’abandonner son Angleterre natale pour s’installer avec l’un de ses deux fils à Montferrand (Rennes-les-Bains).
Comédien et scénariste, Henry Lincoln s’est illustré dans des séries télévisées comme Chapeau Melon et Bottes de Cuir ou Doctor Who dont il a co-écrit trois épisodes. Mais c’est surtout par ses enquêtes historiques qu’il se fera connaître. Lors de vacances dans les Cévennes en 1969, il découvrira L’Or de Rennes de Gérard de Sède, une lecture qui le marquera profondément, au point de proposer à la BBC de mener une enquête sur le « mystère » de l’abbé Saunière. Le prêtre du Razès aurait-il trouvé un trésor ? Il en résultera trois documentaires, le premier diffusé en 1972 (The Lost Treasure of Jerusalem). Le succès de ces reportages conduira le scénariste, avec la collaboration de deux de ses amis (Richard Leigh et Michael Baigent), à publier en 1982 un ouvrage qui fera l’effet d’une « bombe » : The Holy Blood and the Holy Grail (L’Énigme Sacrée) : Bérenger Saunière aurait découvert des documents faisant état d’une descendance du Christ, passant par la dynastie mérovingienne et aboutissant à Rennes-le-Château. Une ligne sacrée protégée par une mystérieuse société secrète, le Prieuré de Sion. Cette thèse développe une « belle histoire » qui aura beaucoup de succès et qui sera reprise par le romancier américain, Dan Brown, avec the Da Vinci Code (2003).
Cela dit, Lincoln découvrira progressivement que les sources qu’il avait utilisées pour ses recherches n’étaient pas très fiables et qu’il avait été, tout comme Gérard de Sède du reste, la victime d’une petite équipe de mystificateurs pilotés par un personnage douteux appelé Pierre Plantard. Il continuera pourtant à chercher la clef du secret du « curé aux milliards », orientant par la suite ses travaux sur la géométrie sacrée.
Henry Lincoln était unanimement apprécié dans notre région. Toujours disponible pour partager avec ses interlocuteurs le résultat de ses recherches, il était souvent à « La Table de l’Abbé » (aujourd’hui « Le Jardin de Marie ») à Rennes-le-Château, avec ses cartes et ses documents. Il organisait régulièrement des visites guidées du village et, en tant que Président de la très sélecte « Sauniere ‘Society », pilotait chaque année des groupes de chercheurs anglo-saxons dans les endroits les plus insolites du Haut Razès.
Nous venons de perdre un érudit passionné et un ami fidèle de la « Colline ». Bon voyage, Henry. 



(Publié dans "L'Indépendant du 1er mars 2022)