Angoulême
Druillet, fils de collabo et génie hurlant
Angoulême - "Je suis né fils de collabo": cet infamant héritage a
marqué au fer rouge Philippe Druillet, artiste visionnaire de BD à
l'existence jalonnée de drames, mais à la rage de vivre chevillée au
corps, qui vient de publier une autobiographie coup de poing,
"Delirium".
"Il y a 40 ans, la BD était un art de débiles fait par des débiles", lance-t-il, cinglant. "Pour moi, le dessin était un exorcisme. J'avais la rage de vivre, de combattre. Aujourd'hui, la rage est toujours là. Parce que j'ai passé ma vie à côtoyer la mort, j'ai un féroce appétit de vivre et je m'éclate dans mon boulot", dit à l'AFP l'auteur de 69 ans, invité du Festival d'Angoulême.
Philippe Druillet naît le 28 juin 1944, le jour même où Philippe Henriot, secrétaire d'Etat à la propagande, est abattu par la Résistance. C'est en hommage à ce "Goebbels français" que son père, haut responsable de la Milice, l'appelle Philippe. Sa mère est aussi une fasciste convaincue, "raciste, antisémite, inculte".
"Depuis plus de soixante ans, je vis avec les fantômes d'un passé qui me révulse", avoue Druillet dans "Delirium" (Les Arènes). "Ce livre est un voyage initiatique et douloureux. Je ne le relirai pas".
Soigné par Céline
Fin 1944, la famille suit au château de Sigmaringen, en Allemagne, Pétain, son gouvernement et quelques civils, dont Louis-Ferdinand Céline, écrivain mais aussi médecin. "Céline m'a soigné, je suis resté 25 jours sous une cloche à oxygène".
Exilé ensuite en Catalogne, chez son ami Franco, son père est condamné à mort par contumace en 1945.
Druillet grandit à Figueras, la ville de Dali. "Comme je dessinais tout le temps, les gens me disaient: +tu es un futur Dali+. En classe, les élèves me traitaient de sale Français". Son père meurt en 1952. La famille plonge dans la misère, retourne en France, déménage sans cesse. "Cette enfance m'a marqué à jamais".
Dès 16 ans, Druillet se passionne pour la littérature fantastique, la science-fiction, s'abreuve de films expressionnistes à la cinémathèque, comme le Nosferatu de Murnau. "C'est tout cela qui m'a nourri". Il a d'ailleurs fait des décors de cinéma et des affiches de film, s'est essayé à la réalisation, au théâtre Il a été photographe, son premier métier, illustrateur de science-fiction, designer de meubles... Vécu aussi "des années à me faire foutre dehors et passer pour un cinglé!".
Son vrai choc en BD: "Barbarella", de Jean-Claude Forest au début des années 60. "La science-fiction était alors méprisée. Et puis Kubrick et mai 68 sont arrivés et les intellectuels à la con ont eu un problème: le monde avait changé!", s'exclame Druillet.
En 1966, il publie "Le Mystère des abîmes", dont le héros Lone Sloane deviendra un personnage récurrent dans son oeuvre. On le retrouve dans "Delirius", "Salambô" ou "Chaos". Et Sloane sera Dante dans la "Divine comédie" que Druillet adapte en 2014 chez Glénat.
"Le Consistoire juif m'a proposé un jour d'adapter la Bible. Grandiose... mais dix ans de travail ! J'ai refusé".
Et puis, c'est son arrivée à Pilote en 1970 et la révolution dans la BD. Il fonde ensuite Métal Hurlant, avec Moebius et Jean-Pierre Dionnet, en 1975, et Les Humanoïdes associés. Suivent des années d'enfer et de drogue après la mort de sa femme, Nicole, emportée par un cancer à 30 ans. Il achève en 1976 son album culte, "La Nuit", qui résonne comme un requiem, et aujourd'hui réédité.
Druillet s'est battu toute sa vie pour ne pas ressembler à son père. "J'ai voulu publier mes mémoires parce que, dans ce pays qui dérape, cela commence à sentir aussi mauvais que dans les années 30".
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