H.P. Lovecraft, le Dieu Silencieux, Didier Hendrickx (l’Age d’Homme, 2012). Un petit ouvrage écrit par un passionné, qui, en introduction, regrette l’âge d’or du fantastique et déplore les formes prises aujourd’hui par ce type de littérature. Et il n’y va pas avec le dos de la cuillère ! « … songeons à la pléthore de cycles interchangeables dans le domaine de l’Héroic Fantasy… », « … des écrivaillons à la mode trafiquent les mythologies d’antan… », « il semble même que nos abîmes intérieurs soient cotés en bourse » …
L’ouvrage
est agréable car la démonstration colle de très près aux écrits de Lovecraft :
le repli sur soi et sur un XVIIIème siècle idylique, gâché par la démocratie,
le parlementarisme et l’immigration. Un racisme « de son temps »,
mais qui prend parfois des couleurs hallucinantes lorsqu’il est question de
métissage et donc de décadence. Un régionalisme « cosmique », sur fond
d’un éternel retour qui ramènera toujours l’anti-héros à son point de départ,
Providence. Une cosmologie structurée qui n’a rien à faire de l’homme, mais qui
a besoin de ce dernier pour « réveiller » les Grands Anciens.
Les êtres de cette autre race qui se
livraient, des millions d’années dans le passé, les luttes titanesques pour la
conquête du pouvoir sur notre planète, sont désignés sous l’appellation de
Grands Anciens ou Anciens. Les principaux représentants en sont : Azatoth,
présenté comme le dieu aveugle et idiot, Yog-Sothoth qui n’est pas soumis aux
lois du temps et de l’espace, Nyarlathotep, le messager des Grands Anciens,
Hastur, l’Indicible, Shub-Niggurath, divinité de la fertilité. A un rang
inférieur, on trouve Hypnos, Dagon ou encore Yig, le dieu serpent. Mais la
figure centrale est Cthulhu dont il est dit qu’il vit dans la cité engloutie de
R’lyeh et qui donnera son nom au mythe.
Lassés par les guerres interminables de
ces puissances du mal, les Dieux très Anciens qui incarnent le bien et ne sont
jamais nommés à l’exception de Nodens, bannissent les Anciens. Depuis lors, ces
derniers tentent avec l’aide de races qu’ils ont engendré ou d’humains qui leur
vouent un cultre fanatique de reconquérir leur emprise sur cet univers. On peut
retrouver dans cette configuration la dichotomie traditionnelle entre forces du
bien et entités démoniaques, qui est une constante principalement dans les
monothéismes issus du Proche-Orient. En apparence, le mythe élaboré par
Lovecraft est animé d’une tension entre les deux puissances. Mais on est en droit
d’y débusquer également la texture complexe d’anciennes mythologies indo
européennes où des divinités de troisième fonction affrontent celles des
première et deuxième fonctions, combats qui aboutissent à une paix dans l’ordre
cosmique. Cet ensemble de légendes s’appuie vraisemblablement sur des faits
historiques que seule la langue du Mythe a conservés. Les Grands Anciens voient
leur fureur maîtrisée au bout de millions d’années par les Autres Dieux qu’ils
emprisonnent dans des citésenglouties ou au-delà des étoiles. Lovecraft a fait
voler en éclat les frontières terrestres et la scène est devenue cosmique, mais
les Dieux très Anciens ou Autres Dieux apparaissent comme des entités sages qui
veillent à la préservation d’un ordre cosmique si tant est que la notion de
sagesse ait un sens dans l’univers de Cthulhu – tandis que les Grands Anciens
relèvent plutôt du domaine de la guerre et de la Terre sauvage.
Cette
(longue) citation est assez discutable, dans la mesure où elle sous-entend un
conflit entre le bien et le mal qui ne me semble pas pertinent dans « la
philosophie » de Lovecraft. Et c’est peut-être là où pèche l’analyse. Le côté
matérialiste est certes bien mis en lumière, malgré les faiblesses de l’auteur
pour les grandes religions comme le catholicisme : tout est faux, mais
cette doctrine a été un exceptionnel vecteur de développement « civilisationnel
» et un solide outil de cohésion sociale. En revanche n’est pas pointée l’extraordianire
contradiction de l’auteur qui va plonger dès son plus jeune âge dans le décorum
de l’occultisme alors qu’il pourfend par ailleurs « le cancer de la
superstition ».
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