Thomas Ligotti est trop peu connu en France[1] et Chants du Cauchemar et de la Nuit (Dystopia Workshop 2014) vient opportunément combler – partiellement - cette lacune. Très célèbre aux États-Unis, il a du reste défrayé récemment la chronique, les réalisateurs de la série True Détective s’étant manifestement un peu trop inspiré d’une de ses œuvres. Tous les propos philosophiques, nihilistes et antinatalistes qui sortaient de la bouche du personnage principal, Matthew McConaughey, étaient en effet fortement influencés par l’essai de Ligotti : The conspiracy against the human race.
La fiction de Ligotti s’inscrit dans la lignée de celles de Poe et surtout de Lovecraft. Pas besoin de reprendre artefacts du Maître de Providence (Cthulhu, Necronomicon…) pour nous faire plonger dans une horreur cosmique sans nom. L’homme n’est rien dans une mécanique glauque qui sème l’incompréhensible à la limite du non-sens. Je n’ai pu m’empêcher en lisant ce recueil à penser au Brussolo des années 80, mais un Brussolo qui se serait totalement immergé dans la « Métaphysique du Néant ». Manuscrits mystérieux, anciens Dieux disparus, personnages sans consistance peuplent des nouvelles dont certaines ne sont pas sans rappeler La Couleur Tombée du Ciel (L’ombre au fond du monde), Dagon (Nethescurial) ou encore Gordon Pym nommément cité dans Le Tsalal.
Une petite perle, dans cet ensemble décoiffant : « Vastarien[2] ». Nous sommes en compagnie de Victor Keirion, reclus dans sa mansarde, qui passe son temps à contempler sa cité décrépie (qui porte le nom de la nouvelle) et surtout de rêver en la magnifiant. Des rêves dont il s’extrait avec de plus en plus de mal, cherchant sans fin la clef du mystère de ce charme sulfureux qu’il éprouve en arpentant les ruelles oniriques. Il fait régulièrement le tour des bouquinistes pour essayer de trouver une explication à cette extraordinaire transformation et tombe un jour, dans une obscure échoppe, sur un livre sans titre qui est une véritable plongée dans son univers impossible. Le livre coûte une fortune, mais grâce à l’aide d’un mystérieux client tout de noir vêtu, il peut emporter l’ouvrage à petit prix. Et de replonger dans ses rêves, en compagnie de ce petit guide qui lui offre des perspectives inouïes. Las, au fil du temps, la cité idéale se rétrécit et finit par se fondre. Il comprendra que le client mystérieux était sur la même piste, mais ne pouvant plonger lui-même dans l’improbable Vastarian, il piratait en quelque sorte les rêves de Keirion. Ce dernier tuera le vampire onirique et sera arrêté par une équipe de psychiatres qui ne comprendra pas pourquoi l’intéressé avait près de lui un livre… vierge !
n [1] Recueils
· Chants du cauchemar et de la nuit, Dystopia, 2014, trad. Anne-Sylvie Hommassel
n Nouvelles isolées
· La Dernière aventure d'Alice, 1990 (Alice's Last Adventure, 1988), trad. Jean-Daniel Brèque
in 13 histoires diaboliques, Albin Michel
· L'Œil du lynx, 1998 (Eye of the Lynx, 1983), trad. Thierry Sandalijan
in 21 nouvelles histoires de sexe et d'horreur, Albin Michel
· La Secte du dieu fou, 1999 (The Sect of the Idiot, 1988), trad. Eric Holweck
in Le Cycle d'Azatoth, Oriflam
· Ombre et obscurité, 1999 (The Shadow, the Darkness, 1999), trad. Claudine Richetin
in 999, Albin Michel
· L'Autre festival des masques, 1999 (The Greater Festival Of Masks, 1986), trad. Yes Meynard
in Solaris n°128
[2] « Vastarian » est le nom de la revue américaine d’études « ligottiennes ».
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