Une note de Rémi Boyer (La Lettre du Crocodile)
La conspiration Jeanne d’Arc (deux tomes) par Gerald Messadié. Editions de L’œil du Sphinx, 36-42 rue de la Villette, 75019 Paris – France.
Alors que des documentaires télévisuels cherchent à mieux cerner l’histoire de Jeanne d’Arc (1412-1431), Les Editions de L’œil du Sphinx ont la belle idée de publier le dernier ouvrage de Gerald Messadié (1931-2018) consacré à cette figure de l’histoire comme du roman national français.
L’érudition extraordinaire de Gerald Messadié, sa capacité à l’analyse critique, son écriture stylée, lui ont permis de publier des ouvrages de référence sur beaucoup des grandes figures de la culture occidentale, interrogeant l’histoire convenue et les mythes. L’Homme qui devint Dieu, consacré à Jésus fut un grand succès. Parmi ses très nombreux ouvrages, signalons ceux consacrés à la Bible, au diable, à Mahomet, à Moïse, à Judas, à Marie-Madeleine ou au comte de Saint-Germain… optant soit pour l’essai soit, comme c’est le cas pour Jeanne d’Arc, pour le roman historique.
S’il se passionna pour les avant-gardes comme pour les traditions ésotériques ou l’histoire des religions, il fut un esprit scientifique, rédacteur en chef adjoint de Sciences et Vie pendant un quart de siècle, nous rappelle Joseph Vebret dans une préface qui est aussi un hommage à l’homme et à l’auteur :
« D’une culture phénoménale, nous dit-il, d’un savoir-vivre malheureusement démodé, usant d’un style soutenu et de tournures parfois délicieusement surannées, Gerald Messadié était d’un autre temps. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, ce pourfendeur de la bêtise humaine aurait été reconnu à sa juste valeur et se serait assurément fait une place aux côtés des plus grands, par sa personnalité, son style littéraire, sa force créatrice et sa propension à composer de vastes fresques. Il y avait chez lui un côté baudelairien, un spleen profond, une détestation de son siècle ; un albatros doublé d’un antimoderne – il n'avait ni téléphone portable ni internet – néanmoins passionné par les avancées de la science. L’esprit constamment en éveil, aucun sujet ne lui était inconnu. »
Son Jeanne d’Arc fut achevé peu de temps avant sa mort, il clôt ainsi une œuvre qui compte et présente une certaine valeur testamentaire, par l’écriture, par la rigueur de la recherche, par l’orientation de la pensée.
Comme toujours dans les ouvrages de Gerald Messadié, particulièrement quand il fait le choix du roman historique, l’appareil de notes est de première importance car il rend compte de l’état de ses recherches sur les faits et indique ses sources.
Nous sommes, dans ce roman, à la fois pris dans une aventure épique et dans une démarche de démystification. Alors que Jeanne d’Arc reste l’enjeu d’appropriations religieuses ou politiques diverses, elle apparaît dans ce livre sous des angles inhabituels, mettant à mal ces appropriations très abusives. Gerald Messadié questionne et déconstruit les discours plaqués sur la sainte pour résoudre quelques énigmes ou mystères et faire apparaître une figure autre qui, si elle n’est pas totalement mise à nu, permet de mieux comprendre les faits et en tout cas de ne plus se laisser prendre par une légende savamment organisée et entretenue.
« D’un point de vue historique, signale Gerald Messadié dans sa postface, je crois l’avoir démontré dans les notes qui étayent le récit, les documents d’époque sont aussi douteux que les interprétations successives de l’histoire furent un tissu d’affabulations. Les faits avérés sont peu nombreux et ils contredisent toute l’imagerie d’Epinal qu’il est convenable de suivre. Les textes des procès en condamnation et en réhabilitation invitent tout deux à la circonspection et parfois suscitent le pessimisme, sinon l’incrédulité. »
Le roman, qui se lit avec plaisir, met en évidence une pensée logique et une analyse précieuse du fait. Il existe une méthode Gerald Messadié, rigoureuse, et un talent littéraire, ici conjugués pour le bonheur du lecteur.
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